Entouré de ses pairs du Congo Brazzaville Denis Sassou Nguesso et du Niger Mahamadou Issoufou, le chef de l’état guinéen Alpha Condé a inauguré le barrage de Kaléta le 28 septembre dernier. Un projet en gestation depuis 49 ans selon Damantang Albert Camara, ministre du Travail, de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle et porte-parole du gouvernement guinéen.
Le barrage de Kaléta, c’est une œuvre monumentale de 23 millions de mètres cubes de volume d’eau et développant une puissance de 240 mégawatts. Mais aussi une ligne électrique de 186 kilomètres. Depuis la mise en service de la première de ses trois turbines le 31 mai dernier, seules les populations de la basse et de la moyenne Guinée ont accès de façon continue à l’électricité. Les autres, soit environ 2/3 des Guinéens doivent encore prendre leur mal en patience.
Mais pas de quoi susciter l’enthousiasme de Jean-Louis Borloo, lui aussi convié à la cérémonie. «C’est le projet de la parole tenue. Projet qui change la vie de 4 millions de Guinéennes et de Guinéens et le tout malgré Ebola», s’est réjoui l’ancien ministre français, reconverti depuis peu en Monsieur «Energies pour l’Afrique».
En 2010, alors candidat à la magistrature suprême, Alpha Condé avait promis de donner du «courant aux Guinéens en 3 mois. Les opposants qui ont beau jeu de rappeler cette promesse, histoire de rafraîchir la mémoire des Guinéens, ont qualifié cette inauguration de coup de campagne à quelques encablures du premier tour de l’élection présidentielle du 11 octobre.
En réalité, l’écart entre les engagements de campagne de l’ex «l’opposant historique» et leurs réalisations concrètes est à l’image de son quinquennat. En demi-teinte. Depuis son élection à la tête de la Guinée, des progrès notables ont été accomplis dans la gestion des affaires publiques. En témoigne les conclusions du rapport 2014 de la Fondation Mo Ibrahim qui publie chaque année un indice sur la gouvernance en Afrique: «la Côte d’Ivoire, la Guinée et le Niger notamment ont, depuis 2009, inversé une trajectoire négative, pour se hisser en tête des pays ayant le plus progressé au cours des cinq dernières années».
«Des progrès notables»
L’indice Ibrahim sur la gouvernance africaine (IIAG) est élaboré par une équipe de politologues autour de 86 indicateurs. Avec pour ambition d’évaluer objectivement la gouvernance des états dans les domaines de la corruption, des droits de l’Homme, de la vie politique, de l’enseignement, de la santé.
Un satisfecit qui s’ajoute à celui attribué en 2012 par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. Leurs conseils d’administration ont ainsi confirmé l’atteinte par Conakry du point d’achèvement de l’initiative en faveur des Pays pauvres très endettés (PPTE). Une décision qui s’est soldée par l’annulation des deux tiers de la dette du pays, soit deux milliards de dollars, avec comme conséquence notable, des économies d’environ 141 millions d’euros chaque année.
«De nombreux progrès ont été accomplis depuis 2010: restauration du contrôle fiscal, politique monétaire resserrée, taux de change stabilisé, baisse de l’inflation», s’était félicité Antoinette Sayeh, directrice adjointe du FMI en septembre 2012. L’annulation et la renégociation à la hausse de la plupart des conventions minières signées avant son élection, peuvent être également être mises au crédit du régime de celui qui fut l’un des leaders de la FEANF (fédération des étudiants d’Afrique noire en France) de 1967 à 1975. Ainsi que la construction de nouvelles infrastructures comme les 45 kilomètres d’autoroutes. Il ne se gêne d’ailleurs pas pour répéter qu’en cinq ans, il a fait mieux que tous ses prédécesseurs réunis en 50 ans.
Problème, avec un taux de croissance d’environ 3% en 2011 et 2012, c’est-à-dire avant le déclenchement de l’épidémie Ebola en mars 2014, l’économie guinéenne reste l’une des moins performantes de la sous- région. Une faiblesse qui s’explique en partie par un défaut de réformes en profondeur du secteur privé. «Son accession -Ndlr d’Alpha Condé- au pouvoir avait suscité beaucoup d’espoir. De nombreuses entreprises du secteur minier avaient élaboré des projets et n’attendaient qu’un signal positif du gouvernement qui n’est jamais venu. Depuis, plusieurs d’entre elles ont mis la clé sous le paillasson», tacle l’opposant Mohamed Tall, porte-parole de l’Union des forces républicaines (UFR), le parti de l’ancien Premier ministre Sydia Touré.
«Une économie encore peu performante»
«Je suis rentrée avec des projets agricoles, et des machines prêtes à fonctionner, et j’ai été choquée par l’attitude de l’administration des différents appareils de l’état», a renchéri Marie Madeleine Dioubaté du parti écologiste de Guinée dans les «Grandes Gueules», une célèbre émission d’une radio privée locale très écoutée à Conakry. Et d’ajouter dépitée: «elle- Ndlr l’administration-a stoppé tous nos projets à un moment donné, alors que les autorités nationales n’arrêtent pas de nous parler d’autosuffisance alimentaire», Du coup Dioubaté a décidé de se présenter à l’élection présidentielle.
Plus préoccupant pour le pouvoir, Alpha Condé qui aime se comparer à Nelson Mandela avait publiquement laissé entendre en 2010 qu’il ferait de la Guinée un Etat de droit à la démocratie exemplaire. Or la corruption y est toujours aussi endémique et les forces de l’ordre réputées pour ne pas faire dans la dentelle, continuent à réprimer avec une rare violence, et en toute impunité la moindre manifestation. Bilan de cette répression depuis 2011: au moins 64 morts et plusieurs centaines de blessés lors des marches de protestation organisées par l’opposition. Un état de fait également souligné par Human Rights Watch dans son rapport mondial 2014 sur les affrontements intercommunautaires qui se sont déroulés en Guinée forestière en juillet 2013 et qui ont fait 58 morts et 160 blessés.
«Une situation préoccupante des droits de l’Homme»
«Certains progrès ont été réalisés en Guinée au niveau de l’obligation de rendre des comptes concernant les atrocités perpétrées par le passé (…)», indique l’organisation américaine de défense des droits de l’Homme tout en enfonçant le clou: «la corruption endémique, la profonde négligence au sein du système judiciaire et la lenteur de la réforme de la sécurité sont autant de phénomènes qui ont nui au respect de l’Etat de droit».
Dans un document publié en marge des travaux de la 22ème session du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme qui se sont déroulés à Genève le 26 février 2013, la Guinée a été une fois encore épinglée. «La situation des droits de l’Homme demeure préoccupante en Guinée (…) Les violations des droits de l’Homme sont d’une part liées à des problèmes d’ordre structurel comme l’impunité, et d’autre part générées par le contexte politique tendu», peut-on lire dans le texte. Qui insiste sur «les violences politiques, notamment la répression des manifestations publiques, les cas d’atteinte à l’intégrité physique et actes de torture, la persistance de l’impunité, particulièrement des forces de l’ordre en charge de la sécurité».