Au cours des vingt-cinq dernières années, le bilan des pratiques de la démocratie et des élections en Afrique francophone comporte certes des acquis indéniables dans la mise place des institutions de la démocratie et de l’Etat de droit ainsi que des progrès dans l’instauration du multipartisme et la tenue d’élections libres, fiables et transparentes. Ce bilan présente aussi de nombreuses insuffisances et des échecs récurrents : interruptions de processus démocratiques, coups d’Etat militaires, désaffection du citoyen.
C’est hélas le cas de la Guinée où les violences politiques sont une pratique constante. La Guinée est en effet une terre de violence politique. Cette violence a précédé l’Etat guinéen souverain et l’a accompagné durant un demi-siècle d’existence. C’est aussi par la violence politique que les régimes se sont succédé en Guinée de Conté à Condé. En bref, on peut dire que la violence politique en Guinée est la forme la plus régulière d’accès au pouvoir, de sa gestion et de sa contestation.
A moins de deux mois de l’élection présidentielle, le pouvoir et l’opposition ont signé le 20 août 2015 un accord politique final sur les conditions de la tenue de l’élection du 11 octobre prochain. Grâce aux efforts déployés en particulier par Mohamed Ibn Chambas, le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU et Mohamed Solia Sokona pour l’OIF. Le politiquement correct a amené la France à saluer cet accord « fruit du dialogue placé sous l’égide de la communauté internationale » (Organisation des Nations unies (ONU), Organisation internationale de la Francophonie (OIF), Union Africaine (UA), Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)) et « à souligner les efforts consentis par les partis politiques, qui ont fait preuve d’esprit de compromis afin que le scrutin présidentiel puisse se dérouler dans un climat apaisé. »
Le dire est une chose, y croire en est une autre. Mais une médiation conjointe de la communauté internationale permet en général de se défausser utilement de beaucoup de ses responsabilités. Car le plus difficile reste à faire :
La recomposition des communes rurales et urbaines pour remplacer les 28 délégations spéciales installées par le régime Condé et les autres élus locaux dont le mandat avait expiré en 2010 sera un exercice contrôlé par le régime en place. Cette revendication avait suscité d’importantes manifestations en début d’année, violemment réprimées.
Il n’y aura pas de recomposition paritaire pour la Commission électorale nationale indépendante (CENI), véritable tour de contrôle du régime, dont la composition actuelle laisse planer le doute quant à la sincérité du scrutin.
Quant à l’assainissement du fichier électoral, toujours « composé de cadavres et d’enfants », selon un candidat, le comité mixte qui doit être créé (mouvance présidentielle, opposition et société civile sans oublier les experts internationaux) afin de déceler et corriger les imperfections comme les enrôlements multiples ou les enrôlements de mineurs, fera ce qu’il fera, mais point trop n’en faut. Le fichier électoral pris en compte le 11 octobre 2015 ne garantira en rien l’équité.
Le recours à la rue
Le chef de file de l’opposition Cellou Dallein Diallo parle déjà « de l’inévitable recours à la rue » en cas de non respect de l’accord…Deux formes de violences continueront à se manifester, comme toujours, en Guinée :
D’une part, la violence entre militants des partis adverses, entre Soussous et Malinkés, entre Peulhs (majoritaires mais jamais encore au pouvoir) et Malinkés.
D’autre part, la violence d’Etat, exercée par le parti au pouvoir à l’encontre de ses adversaires politiques, leaders et militants y compris. La Première République est tristement célèbre pour ses purges innombrables à la suite d’annonce de complots. Lansana Conté a réprimé sans pitié les militants et les dirigeants du RPG. La fin de son règne est marquée depuis par la transformation de la Guinée en narco-Etat avec une corruption généralisée, des révoltes régulières, des mutineries et des massacres multiples. Depuis l’accession d’Alpha Condé au pouvoir, ce sont les militants de l’Union des forces démocratiques qui sont victimes de sa répression. La Guinée vit au rythme d’une violence politique banalisée et de l’affairisme des plus hautes autorités de l’Etat largement dénoncés par les ONG.
L’élection présidentielle qui s’annonçait après l’exil de Moussa Dadis Camara semblait ouvrir la perspective d’une compétition politique plus ouverte que par le passé. En fait, elle a eu pour effet de stimuler le jeu ethnique. Selon les mots mêmes de « l’International Crisis Group », la compétition électorale est devenue « un combat où s’affrontent les ethnies ». Cette ethnicisation du jeu politique prolonge et renforce les inégalités historiques dans les secteurs économiques et professionnels. Ce jeu ethnique qui se superpose au jeu politique et à une culture de fraude généralisée est un terreau fertile pour la violence. Comment garantir que les fraudes de 2010 et 2013 ne seront pas rééditées ? « L’International Crisis Group » dans son rapport Afrique n° 178 de 2011 soulignait deux points qui marquent en profondeur la vie politique en Guinée : « la politisation de l’ethnicité et la difficulté à mener un processus électoral crédible ».
Absence d’une véritable éthique de la démocratie
Pour avoir un processus électoral crédible, il faudrait une véritable éthique de la démocratie. Comme le disait si bien Vaclav Havel, « sans des valeurs et des obligations morales partagées par tous et profondément ancrées, ni la loi, ni un gouvernement démocratique…ne pourront fonctionner normalement. »
Qui peut raisonnablement bien connaître la politique guinéenne et ne pas prétendre que la quasi-totalité des acteurs politiques guinéens utilisent le langage de la démocratie sans véritablement y adhérer et même plus simplement y croire ou en accepter les principes essentiels. Bano Barry, professeur en sociologie guinéen de renom, écrit que les hommes politiques guinéens pensent comme Staline que « dans une élection ce qui compte ce n’est pas ceux qui votent, mais ceux qui comptent le vote de ceux qui votent ». D’où l’importance de la bataille pour le contrôle de la CENI par le pouvoir en place.
Soit le processus politique est plus transparent et le pouvoir et les forces de sécurité et de défense plus respectueuses des droits humains et le risque de violence s’éloigne. C’est peu probable.
Soit la Guinée continue avec un processus démocratique problématique et des forces de l’ordre répressives et le pays écrira le 11 octobre et dans les semaines qui suivent un nouveau chapitre dans son grand livre des violences politiques. Car c’est l’accès au pouvoir, son exercice et son contrôle qui fait que tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins. Pour ceux qui exercent le pouvoir, la perte de légitimité démocratique compte moins que de s’accrocher à leurs prérogatives présidentielles. Quel que soit le bilan : même si Alpha Condé ne s’est pas montré à la hauteur de la tâche. Il n’a pas réformé son pays et le laisse au contraire au plus bas de tous les indices de développement humain, de pauvreté et de croissance économique. La pandémie Ebola a certes frappé le pays de plein fouet, mais ce n’est pas une excuse pour expliquer ce bilan désastreux. Alpha Condé n’a initié aucune réconciliation nationale et n’a pas changé qualitativement la vie des Guinéens. Malheureusement, l’influence d’Alpha Condé à tous les échelons de l’administration, et son aptitude à dénigrer l’accord politique signé avec l’opposition, sont des signaux forts qu’il va probablement être réélu.