Triple fiasco en Tunisie pour le Président Saïed

Marqué par une abstention de 88,7%, le scrutin législatif signe un triple échec : celui du président Saïed, celui de l’opposition désunie et celui de la démocratie. Un tour de vis autoritaire est attendu.  

 Kaïs Saïed pris dans les replis de la toile qu’il a tissée ? L’échec des législatives qu’il a voulue, provoquée, façonnée à son envie (une assemblée aux pouvoirs restreints) est-il le sien ? A première lecture, le désaveu de dimanche ne prête pas à confusion tant l’abstention est massive : 88,7% ! Un chiffre qui cingle le cuir du berceau du printemps arabe. Après un premier tour anémié, 11,22% de participation, le second s’est achevé sur un taux guillotine. A la fermeture des bureaux de vote, l’Instance électorale (ISIE) annonçait 11,3%. Certains zélotes du président évoquent pêle-mêle des « chiffres qui s’inscrivent dans la tendance mondiale » voire « des conditions météorologiques extrêmes ».

Comme chaque année, la fin janvier est grumeleuse, froide et neigeuse dans le centre et au nord-ouest. Les Tunisiens n’avaient pas besoin de mots d’excuses bidons, ils ont boudé les urnes, les bureaux de vote, les chemins des bureaux de vote et la volonté du président de la république. Parmi les 887.638 votants, très peu de jeunes. Cette jeunesse sensée soutenir le président de la république représente à peine 4,84% de 18-25 ans. A l’international, il semble urgent d’attendre pour réagir. Au niveau national, il y’en a un qui a trouvé une explication satisfaisante : Saïed. Il avait jugé que l’élection est « comme un match de foot, on juge après le match retour ».

24h après, il s’est rendu à la Kasbah, dans le bureau de la cheffe du gouvernement Najla Bouden, pour délivrer son analyse politico-footballistique : « 90% n’ont pas participé parce que le parlement ne leur dit plus rien, parce que pendant les dix dernières années, les Tunisiens ont constaté que le parlement s’est transformé en une institution qui malmène l’État. » Et d’affirmer que cette abstention est la réaction naturelle à tout cela ». Ou comment, d’un fiasco faire une victoire. Une seconde chambre, dite des districts, doit être élue dans l’année.

Un scrutin, trois défaites

L’homme qui dirige seul le pays depuis le coup d’État qu’il a mené le 25 juillet 2021 se retrouve quoi qu’il en pense dans une position inconfortable : isolé dans son palais de Carthage tout autant que sa diplomatie vindicative a isolé le pays de ses partenaires coutumiers. Les liens rompus avec le Maroc depuis l’été sont une plaie que de nombreux Tunisiens veulent voir cicatriser. Les ambassadeurs en poste à Rabat et Tunis ont été rappelés fin août et depuis les chargés d’affaires évacuent le quotidien.

Quant aux partenaires occidentaux, peu regardant sur les dérives autoritaires du personnage mais n’en pensant pas moins, ils sont de plus en plus préoccupés par l’absence de contact avec Kaïs Saïed, le fait qu’il ne voyage plus en Europe (près de 80% du commerce tunisien), qu’il ait un entourage inexistant. « Nous n’avons aucun contact, aucun vis-à-vis au palais de Carthage » se lasse l’un d’entre eux dont le pays a des liens économiques importants. Le fiasco des législatives devrait renforcer la détermination de Saïed à occire les institutions qui existaient à son arrivée en fonction. L’ex-bâtonnier Boudebala, fervent soutien du président, justifie les faibles taux de participation par la coupe du monde de football au premier tour et la météo pour le second. Signal fort que tout cela n’a d’importance : le président n’est pas allé voter dimanche.

La défaite de l’opposition fantôme

Pour autant, ce n’est en rien une victoire pour ses opposants. Le Front du Salut National, attelage de partis opposés au 25 juillet, a boycotté l’élection et annoncé ne pas en reconnaître les résultats.  Il n’existe aucune ferveur à l’égard de figures qui pour une majorité représentent le passé. Ahmed Néjib Chebbi, le « Bayrou tunisien » ou Hamma Hammami, le leader septuagénaire du parti communiste, sont des personnalités éminentes qui ont lutté contre la dictature mais la population est lasse de visages trop vus. Et de personnalités qui n’ont pas su faire progresser la vie des gens. Ghazi Chaouachi, ex-ministre, ex-député, avocat, a quitté le Courant démocratique (Attayar), jugeant que « la réponse ne se trouve pas dans des partis ». Il veut mettre en place une plateforme réunissant le syndicat Ugtt, la société civile, le patronat, d’ex-politiques.

Quand au parti islamiste Ennahdha, il émet des communiqués condamnant, demandant de nouvelles élections… Samir Dilou, avocat, ancien député, monsieur droit de l’homme » de la formation, intervient régulièrement sur le th§me: « Les Tunisiens sont dégoutés de la politique durablement ».

Mais si Saïed a pu représenter, lors de son élection triomphale en 2019,  un espoir de changement, une possible redistribution des ressources confisquées par la rente, l’engouement est terminé. Si l’on a applaudi le 25 juillet ça et là, on fait triste mine. 154 députés ont été élus, comportant des supporters du président, des anciens de Nidaa Tounes (le parti de l’ancien président Béji Caïd Essebsi) notamment Fatma Mseddi élue à Sfax 2, preuve que l’ancien système honnis par Saïed n’a pas été démantelé. Sept circonscriptions n’ont pas d’élu faute de candidat.

Un virage sécuritaire prévisible

Selon l’ATIDE et Mourakiboun, deux acteurs historiques des scrutins démocratiques, ont fait part de comportements peu compatibles avec l’exercice électoral. L’instance électorale a annoncé porter plainte pour diffamation contre ceux propagent ce genre d’informations. Le décret-loi 54 promulgué par le président en septembre promet de lutter contre la propagation de fausses nouvelles. La peine encourue ? Dix ans de prison. L’avocat et ancien ministre des droits de l’homme Ayachi Hammami est actuellement poursuivi par la ministre de la justice pour des propos jugés de « mensongers ». La critique de la politique menée devient propagation de fausses nouvelles.

Un vent favorable pour les militaires 

Dans les mains d’un pouvoir de plus en plus autocratique, ce décret-loi est une arme redoutable. Deux ministres ont été limogés au lendemain des élections : éducation nationale, agriculture. Ce dernier maroquin sera occupé par un militaire, Abdelmonem Belati. Il a été désigné ministre de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche. Il est général de division. Précédemment, un militaire avait été nommé à la Santé. L’homme a obtenu la médaille de la paix de l’ONU. Soutenu en silence par l’armée (dont il est le chef) et la police, Kaïs Saïed avance à pas cadencés vers son projet de société. Un président isolé mais sans contre-pouvoirs, une population qui vit en marge de toute vie politique, une opposition famélique : voici le paysage.

Ce 14 janvier 2011 qui ébranla la Tunisie