Politiste, maître de conférences en science politique à Sciences Po Lyon, Haouès Seniguer n’est surtout pas François Burgat, mais pas non plus Gilles Kepel. Alors que le manichéisme domine les débats publics, il livre un discours courageux, n’épargnant finalement pas grand monde.
Ian Hamel, journaliste
L’auteur de « La République autoritaire. Islam de France et illusion républicaine (2015-2022) se montre catégorique dès son introduction : La France n’est ni sous la coupe d’un régime autoritaire, ni au bord de la guerre civile (1). Il n’y pas d’islamophobie d’État ou d’islamophobie institutionnalisée. S’opposant au chercheur François Burgat, proche des Frères musulmans, Haouès Seniguer souligne que l’État français « n’a pas fait voter des lois d’exclusion et de marquage systématiques et systémiques des musulmans, indistinctement donc, du simple fait qu’ils seraient musulmans ». Et s’il y a bien eu dans le passé un antisémitisme d’État, les musulmans n’ont jamais eu à subir une telle ignominie.
Alors tout va très bien dans l’Hexagone ? Et bien non, pas du tout, assure l’auteur de « L’islamisme décrypté ». Il estime que depuis les attentats de 2015, qui ont provoqué la mort de 131 morts, sans oublier des centaines de blessés, l’État est tombé dans une « politique de soupçon » vis-à-vis des musulmans. Les raisons ? L’islam est dorénavant supposé conduire à l’islamisme, et l’islamisme au terrorisme. D’où le titre du livre : « La République autoritaire ». « Cette confusion entre djihadisme, intégrisme, conservatisme et radicalisme, qui postule un continuum, c’est-à-dire de vases communicants, va se traduire sur le terrain à la fois par une stigmatisation, voir une criminalisation, de la pensée des musulmans », écrit-il.
Être salafiste et légaliste
Entre novembre 2015 et février 2016, il y aurait eu plus de 3 000 perquisitions chez des musulmans avec souvent comme unique motif qu’ils portaient la barbe, ou un voile, des vêtements de couleur noire ou qu’ils auraient eu une pratique rigoureuse de la religion musulmane. Des pères de famille auraient été menottés devant leurs épouses et leurs enfants, et même mis en joue au milieu de la nuit. Résultat : moins de 1% des perquisitions ont « finalement donné lieu à des chefs d’accusation pour activités à caractère terroriste ».
Or, un musulman peut fort bien porter la barbe et se dire attaché au halal sans être pour autant un islamiste ou un salafiste. Et même un islamiste ou un salafiste, très conservateur au niveau des mœurs, peut intégralement respecter la laïcité. La majorité des islamistes et des salafistes seraient, selon Haouès Seniguer, légalistes et dénonceraient le terrorisme et de djihadisme. Et c’est là que l’auteur s’oppose à Gilles Kepel et aux chercheurs qui le suivent, et qui développent « le postulat du continuum entre le conservatisme musulman visible, l’islamisme, fut-il légaliste, et le djihadisme ».
Réorganiser le champ islamique français
Les chapitres consacrés à la laïcité sont les plus polémiques, mais ils appellent à une réflexion enrichissante sur le sens donné à la laïcité. Notamment lorsque l’auteur écrit que le président de la République et son gouvernement foulent aux pieds la neutralité laïque : « Il n’a en principe ni à souhaiter un islam des Lumières ou libéral ni à approuver un islam éventuellement légaliste ». Haouès Seniguer s’insurge contre cette fameuse charte des principes pour l’islam de France. Elle présuppose que la loi commune applicable à tous « n’est pas suffisante pour s’assurer, plus spécifiquement, et du légalisme et du loyalisme des représentants de l’islam de France et de leurs fidèles, ce qui relève de l’abus de pouvoir ».
De quel droit le pouvoir se permet-il de vouloir réorganiser le champ islamique français en émettant, en prime, ses préférences ? Que diront-on si Emmanuel Macron annonçait les orientations que doit dorénavant prendre l’Église de France ? S’il s’autorisait à critiquer les curés en soutane et la messe en latin ? Et qu’il donnait ses faveurs aux catholiques modérés. Pour faire simple, l’État n’a pas à se mêler des questions théologiques.
Printemps républicain
Le modèle républicain n’est-il pas principalement indifférent aux origines, aux différences ethnoreligieuses, linguistiques ? L’universitaire constate que depuis les attentats de 2015 la laïcité est érigée en tant que valeur et non plus en principe. Or, à l’origine, en 1905, Aristide Briand n’aurait jamais utilisé le terme de « valeur ». « En érigeant la laïcité au rang de valeur, on opère une distinction entre “laïcité dans les têtes“ et “laïcité dans les textes“, ce qui conduit à scruter les consciences des individus », déclare-t-il dans une interview accordée après la sortie de son ouvrage (2). On regrettera peut-être le ton quelque peu virulent pris pour accabler les inspirateurs du Printemps républicain, Gilles Clavreuil et Laurent Bouvet (aujourd’hui disparu) qu’il accuse carrément de « maccarthysme laïque », et qu’il traite de « propagateurs de laïcisme ». D’autant que l’aventure du Printemps républicain est déjà bien oubliée.
- Edition Le bord de l’eau, 279 pages.
- « L’État n’a pas à scruter les consciences des individus », « La gazette des communes ».