De son père, Omar Bongo Ondimba, ancien président du Gabon, pilier du système de la Françafrique instauré par Jacques Foccart, tout ou presque, a été raconté. C’est loin d’être le cas de son fils, Ali, au pouvoir depuis 2009, et dont le mandat s’apprête à être remis en jeu lors des présidentielles du 27 août.
Et pour cause. Moins sensible que son père aux révérences des visiteurs du soir venus de Paris qui se bousculaient autrefois à Libreville, le premier garçon des cinquante-deux enfants Bongo soigne minutieusement le flou qui entoure ses jeunes années. Comme dans un jeu de piste, les dates manquent, les faits s’entrechoquent, ne laissant filtrer que quelques bribes de vérité sur le parcours de cet héritier hanté par le complexe du père.
La guerre des origines
Né officiellement en 1959 à Brazzaville, chef lieu à l’époque de l’Afrique équatoriale française (AEF) qui recouvre en partie le Gabon actuel, l’héritier du grand Omar a rapidement appris que le pouvoir aime les apparences. Longtemps, il a cherché à se fondre dans la peau d’un chef d’Etat viable, au parcours sans accrocs. Quitte a réinventer l’histoire.
De ce goût pour les masques et l’opacité, Ali récolte désormais les critiques de l’opposition qui l’accuse de ne pouvoir légalement se présenter aux présidentielles du 27 août. La principale controverse porte sur ses origines. En effet l’article 10 de la Constitution gabonaise adopté en 2005 dispose qu’il faut être né gabonais pour briguer le poste de chef de l’Etat. Or, selon le journaliste français Pierre Péan, auteur du livre Nouvelles affaires africaines d’où est née la polémique, Ali Bongo aurait falsifié son acte de naissance et serait en fait un enfant nigérian adopté pendant la guerre du Biafra, à la fin des années 1960. Omar Bongo et sa première épouse Patience Dabany ont la réputation d’avoir adopté plusieurs membres de leur nombreuse progéniture. Ali, qui serait l’un d’entre eux, serait automatiquement inéligible. A moins de violer la Constitution, ce que lui reprochent de nombreux opposants.
Face à ces accusations portées devant la justice française, l’Etat civil de Nantes, qui recensait les naissances dans les anciennes colonies, a exhumé la simple copie d’un acte de naissance où Ali, fils d’Omar, serait né à Brazzaville. Le mystère reste entier…
L’enfance du chef de l’Etat, tout aussi bardée d’incertitudes, se partage entre le Gabon et l’Europe. En guise de récit fondateur, propre aux légendes, Ali narre volontiers le traumatisme qu’il a gardé du coup d’Etat de 1964 au cours duquel son père est arrêté. L’expérience aurait précipité son départ vers la France. Les incohérences de son témoignage sur le putsch éveillent les soupçons. Contrairement à ce que raconte son fils, Omar ne s’est pas fait arrêter à son domicile mais près du Palais de la présidence. Et si Ali se serait envolé pour la France avant que l’orage n’éclate ?
C’est à Alès, une commune du département du Gard qu’il prétend avoir passé une partie de sa scolarité en compagnie des enfants d’autres notables gabonais. Pierre Péan là encore affirme n’y avoir trouvé aucune trace du président gabonais. Inscrit un temps au collège Sainte-Croix de Neuilly-Sur-Seine, Ali n’aurait, en tout, poursuivi ses études que jusqu’à la cinquième.
Passionné de musique , amateur de « rhythm and blues », il pousse volontiers la chansonnette et obtient, un temps, le soutien de Charles Bobbit, ex manager de James Brown, icône du funk dans les années 1970. Après quelques concerts au Gabon et un dans la capitale ivoirienne, Abidjan, où Omar Bongo s’est lié d’amitié avec le président Felix Houphouët-Boigny, autre géant de la Françafrique, les rêves de gloire du jeune héritier sont vite déçus. De cette carrière musicale éclair ne restera qu’un album, « Brand New man », produit aux Etats-Unis où Ali a toujours conserver des attaches plus qu’à Paris…
Quant aux études secondaires du président gabonais, elles se perdent dans les sables. Le baccalauréat obtenu par Ali en France aurait été le résultat d’un arrangement entre Omar Bongo et le président français de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing. Une certitude, jusqu’en 2012, le site internet de la présidence attribuait au chef de l’Etat un doctorat de droit obtenu à l’Université Paris I Panthéon la Sorbonne. C’est pourtant une thèse de géographie qui est recensée sur le catalogue du « Sudoc », une plateforme qui répertorie l’ensemble des thèses produites en France. Qu’a donc fait Ali de ses années entre la fin du collège et son retour au Gabon dans les années 1980 ? Peu d’informations ont percé les murs du Palais du bord de mer.
Au 56 avenue Foch, à deux pas de la résidence d’Omar Bongo, le jeune prince âgé d’une vingtaine d’année, marié à sa première épouse, la franco-gabonaise Annick Aubierge Lafitte Mouvagha, se passionne pour l’histoire des rois de France. Le tout sous l’œil bienveillant d’un certain M. Bonafuente, chargé de l’intendance, et d’Eric Chesnel, actuel conseiller à la présidence qui joue alors un rôle de précepteur. Une fois président, la passion d’Ali pour les monarchies le conduira à nouer d’excellentes relations avec le roi du Maroc Mohammed 6. Le royaume chérifien pourrait même servir de point de chute au président gabonais au cas où l’élection de samedi le pousserait vers l’exil.
La saga des Bongo
Musicien déçu, autodidacte féru d’histoires royales, Ali met finalement ses pas dans ceux de son père. En 1981, de retour au Gabon, il entre au bureau politique du parti unique dont Omar Bongo est le président, puis au cabinet de la Présidence entre 1987 et 1989. Au cœur du pouvoir, il découvre les coulisses d’un système bien huilé dont la stabilité doit tout à la distribution de prébendes. Lui tout comme sa redoutable sœur aînée Pascaline, la préférée, et la directrice de cabinet d’Omar qui tient entre ses mains le magot de la famille, se partagent les retombées de la manne pétrolière qui à l’époque coule à flots. Un seul chiffre, les 86 millions de dollars dépensés par Pascaline en billets d’avion témoignent de leur statut d’enfants gâtés.
Dans cette saga familiale que la presse compare volontiers à « Game of thrones », série télévisée pétrie d’histoires de meurtres en famille et de coucheries incestueuses, l’ironie du sort frappe tôt. C’est Ali Bongo qui organise le retour au Gabon de son adversaire politique d’aujourd’hui : Jean Ping diplomate à l’UNESCO qui devient le compagnon de Pascaline.
Après une vague tentative d’incarner un courant « réformateur » au sein du Parti-Etat, Ali obtient le ministère des affaires étrangères tout juste âgé de trente ans. La nouvelle Constitution qui impose un âge minimum fixé à 35 ans pour exercer des fonctions ministérielles met fin à la courte expérience.
Grâce au soutien inconditionnel de son père, il devient député de Bongoville au sud du pays dans la province du Haut-Oogoué dont l’un des hommes forts, Idriss Ngari, n’est autre que le ministre de la défense de l’époque et un cousin de la famille. Dans la foulée, il est nommé président de l’Office des ports et rades du Gabon (OPRAG) médiatisé à l’occasion d’un grand scandale de détournement de biens publics.
En âge, cette fois, de prendre les manettes d’une fonction qu’il estime à sa mesure, il obtient, en 1999, le poste de ministre de La Défense jusqu’en 2009. Il se lie d’amitié avec son conseiller d’alors, futur tout puissant directeur de cabinet à la présidence, le béninois Maixent Accrombessi, initialement proche du ministre de l’intérieur André Mba Aubame (AMO) qui le guide dans les méandres de l’administration gabonaise. A l’époque, Ali emploie le plus clair de son temps à gagner les faveurs de l’armée à coups de dépenses extravagantes. Des efforts aujourd’hui récompensés, les militaires inféodés au régime s’improvisant colleurs d’affiches pour l’actuelle campagne du président. Pour Omar Bongo, la grande muette est la meilleures des assurances vie. La leçon est retenue.
Le fiston par défaut
Malade, âgé, fatigué d’un système à bout de souffle qu’il a usé jusqu’à la corde pour servir ses intérêts, Bongo père ne songe à sa succession qu’à la fin des années 2000. La favorite, Pascaline, ne peut prétendre à la plus haute fonction d’Etat dans une société où le pouvoir revient traditionnellement aux hommes. Il y a bien Christian Claude, le fils prodige, banquier de formation. Depuis le début des années 1990, les deux ne se quittent plus. Mais comme le veulent les usages, c’est au plus âgé, Ali, que doit revenir le poste. A reculons, Omar doit composer.
En mai 2008, quelques mois avant de disparaitre, il demande à son ami l’avocat franco libanais Robert Bourgi proche du président d’alors, Nicolas Sarkozy, de l’aider à préparer sa succession. « Je veux que tu présentes Ali au président français ». « Dans l’esprit de Bongo, il fallait qu’Ali et Pascaline qui dirigent le pays en tandem ».
Claude Guéant, alors Secrétaire général de la Présidence rencontre Ali qu’il introduit ensuite auprès de Nicolas Sarkozy. Adoubé par Paris, le jeune prince part aux élections fort du soutien français et de celui de son père. Deux hommes liges d’Omar Bongo, Guy Nzouba Ndama, et Jean-Pierre Lemboumba organisent minutieusement la victoire du fils, élu au forceps avec 42% des voix dans des circonstances troubles. Une faible légitimité dont pâtira à jamais son image, sans cesse comparée à celle de son père. « Je ne vois pas du tout Omar Bongo derrière Ali Bongo » regrette Bourgi dans une interview donnée au micro de France 24.
Une fois au pouvoir, Ali n’hésitera pas à mettre à l’écart plusieurs barons de l’ère Omar et à mettre sur pied une nouvelle garde rapprochée. Au point de se mettre à dos un grand nombre de son propre parti politique, le PDG. Le « tandem » avec Pascaline tourne à la tragédie familiale lorsqu’Ali, décidé à régner seul, coupe un à un les leviers d’influence de sa soeur, à commencer par sa principale chaîne de télévision, « Télésud ».
Après sept ans de pouvoir, son bilan catastrophique et ses rapports tendus avec l’opposition avec laquelle il refuse de négocier scellent définitivement le divorce avec Robert Bourgi qui lui reproche de ne pas jouer la « palabre ». Comme souvent les fils, Ali a plus hérité des défauts de son père que de ses qualités.
Vendredi, Mondafrique publiera un deuxième article consacré au bilan du président Ali Bongo.