Après la chanson « Baraye » de Shervin Hajipour devenue un hymne dans les manifestions, l’interprétation en farsi de la chanson italienne « Bella ciao » par une jeune femme, cheveux défaits, est en passe de devenir un nouveau symbole de résistance au régime des Mollahs.
La chanson a été reprise par des femmes kurdes de Turquie et des expatriés iraniens de Paris. Ils ont entonné la chanson ces derniers jours en solidarité avec les Iraniens protestant contre la mort de la jeune Mahsa (Zahina) Amini suite à son son arrestation par la police des mœurs pour infraction au code vestimentaire strict de la République islamique. L’hymne est devenu un symbole des manifestations en Iran et ailleurs lorsqu’une vidéo est devenue virale : celle d’une chanteuse — la tête découverte, au mépris du hijab obligatoire — interprétant une version lente et émouvante en persan.
L’hymne officieux des combattants antifascistes
Cette chanson est utilisée depuis des décennies par des manifestants. Il n’existe pourtant aucune preuve que « Bella ciao » ait jamais été chanté par les partisans italiens, selon Carlo Pestelli, auteur du livre « Bella Ciao : la canzone della libertà« .
L’histoire du Bella ciao a un parcours non dénué de côtés sombres et si l’axe principal est constitué par les Apennins de la vallée du Pô dans les ruines de la dernière guerre mondiale, les échos de la mélodie circulaient bien avant : parmi les anciennes ballades chantées dans les cours de ferme, les motifs yiddish grésillés par les violons des migrants. Le lieu d’atterrissage le plus connu est celui de la Résistance partisane, mais l’histoire passe aussi par les tranchées de la Première Guerre mondiale, le Paris de Montand, le New Orleans Jazz Band de Woody Allen et la voix des combattants kurdes de Kobané, dans une cavalcade incessante qui résonne, aujourd’hui, jusque sur les places de Hong Kong, Istanbul et New York.
La capacité de cette chanson à susciter l’adhésion, l’émotion et l’implication est la preuve avérée de l’universalité de la condition humaine au-delà des frontières et du génie multiple d’une appartenance commune : le destin partagé de la passion pour la valeur de la liberté.
Une résonance mondiale
Des Ukrainiens l’ont entonnée cette année depuis l’intervention militaire russe, elle a été la bande-son de manifestants dansant à Tripoli, et un appel à l’action des militants climatiques de Sydney à Bruxelles. En 2019, les manifestants de l’opposition en Irak se rassemblaient au chant de « Blaya Chara », qui signifie « pas d’issue » en dialecte irakien, sur cette même mélodie de « Bella Ciao ». En Italie, « Bella Ciao » est un hymne national officieux, et fut chanté depuis les balcons pendant le confinement dû à la pandémie de coronavirus en 2020.
Bibi ciao
A Jérusalem l’an dernier, les opposants au Premier ministre sortant Benjamin Netanyahu, surnommé « Bibi Netanyahu », ont même entonné « Bibi Ciao ». A la veille du vote de confiance pour le nouveau gouvernement israélien de Naftali Bennett et Yaïr Lapid à la Knesset, environ 2.000 manifestants anti-Netanyahou se sont rassemblés le samedi soir 12 juin 2021 à Jérusalem devant sa résidence officielle pour « célébrer sa chute », après 12 ans au pouvoir.
La révolution en chanson
En 2019, les Iraniens manifestaient en masse contre le régime corrompu des Mollahs suite à la hausse du prix de l’essence. Comme aujourd’hui, le soulèvement était général, et la République islamique riposta en tuant de nombreux manifestants. Aujourd’hui, sous l’étendard de la liberté et du slogan WOMEN. LIFE. FREEDOM, la révolte des iraniens pourra-t-elle être décuplée par la ferveur de ces chansons et toucher au but?
Présentation du livre Bella ciao par son préfacier Monia Ovadia
L’interprétation de Yves Montand de Bella ciao en 1972
Sources
Carlo Pistelli, Bella ciao, la canzone della libertà, Add editore, 2020.
L’Iran incarcère le musicien dont l’hymne devient viral dans les manifestations, Mondafrique, 5 octobre 2022.
AFP.