Vous vous souvenez de la base pétrolière de Tiguentourine durant l’été 2013 ? Vous vous souvenez qu’un commando d’une quarantaine d’hommes armés avait parcouru sans encombre plus d’un millier de kilomètres à travers le Sahara malgré les check-points de l’armée, malgré les images satellites fournies par les Américains et malgré les drones qui couvrent le territoire ? Vous vous souvenez bien sûr que ce commando avait pénétré jusqu’au cœur des installations industrielles et de la base de vie et y avait pris des otages. Vous savez également que l’opération s’était terminée dans un bain de sang, qu’elle avait coûté la vie à au moins 70 personnes – tuées par les missiles tirés par les hélicoptères du DRS – et avait causé des dégâts considérables au centre de production de gaz.
Ce que l’on savait moins par contre, mais que l’on commence à entrevoir, ce sont les conséquences de cette opération sur Sonatrach et sur le pays dans son ensemble. Parce qu’évidemment les compagnies directement concernées, BP et Statoil, mais aussi les autres, les américaines notamment, ne sont pas restées les bras croisés durant les mois écoulés depuis l’attaque terroriste. Elles ont enquêté, examiné le déroulement des faits avant et pendant l’opération et ont tiré des enseignements pour l’avenir. Il en est de même des services de renseignements américains et britanniques qui ont eux aussi étudié l’affaire et abouti à certaines conclusions. Puis, de concert, services de renseignements et compagnies ont porté à la connaissance des Algériens les résultats de leurs cogitations et exigé des actions de leur part.
La conclusion la plus évidente à laquelle sont parvenus Américains et Britanniques est que si une telle opération avait pu avoir lieu et avait causé autant de pertes en vies humaines et autant de dégâts matériels, c’est parce qu’elle a bénéficié de complicités au sein du personnel en place sur le champ — peut-être même au sein des services de sécurité — mais aussi en raison de l’incompétence de certains chefs militaires. Ils ont alors exigé des Algériens que des sanctions exemplaires soient prises à l’encontre de certains hauts responsables militaires et une amélioration de l’interconnexion entre certaines structures de l’ANP.
En somme, un remodelage du DRS et de l’état-major, comme eux le voient. Il fallut attendre la fin du long séjour d’Abdelaziz Bouteflika en France pour lui faire signer les décrets (que lui seul est constitutionnellement en droit de signer) mettant à la retraite un certain nombre de généraux ou généraux-majors, ou mettant fin aux fonctions d’autres cadres supérieurs de l’armée. Le tout suivi des modifications de structures de l’armée exigées. C’est alors qu’on eut droit à une énorme mise en scène qui montre toute la capacité de manipulation du régime algérien et jusqu’à quel point sont pernicieux ces barons qui nous gouvernent.
Souvenez-vous comment la presse algérienne dans son ensemble a rapporté l’événement. Elle nous a dit qu’Abdelaziz Bouteflika, cloué sur un fauteuil roulant, dont certaines facultés vitales ont été sévèrement atteintes par l’AVC qu’il a subi, qui arrive péniblement à soulever une tasse de café ou à prononcer quelques mots, s’est transformé, à peine arrivé à Alger, en une sorte de Superman, qui s’en est pris violemment à ce «pauvre» Tewfik le débarrassant de quasiment toutes ses prérogatives, limogeant à tout-va ses collaborateurs et prenant ainsi le contrôle total de l’armée. Lui qui n’était qu’un trois-quarts de Président autrefois, nettement moins encore depuis sa maladie, a été transformé par la magie de l’information made in DRS, en monarque absolu !
La réalité est, hélas, nettement moins glorieuse : ces décisions ont été «suggérées» par Londres et Washington qui ont, toutes deux, dit stop à ces magouilles à l’algérienne, à ces compositions, décompositions et recompositions d’alliances claniques, bâties sur des compromis boiteux. Les deux capitales ont visiblement fait comprendre aux Algériens que leur politique d’infiltration d’AQMI était foireuse – preuve en est, Mokhtar Belmokhtar n’était pas un simple trafiquant d’armes, de cigarettes ou de drogue comme on le leur avait fait croire – et que le pétrole et le gaz étaient des matières stratégiques avec lesquelles il ne fallait pas jouer.
Sauver le soldat Tewfik
Américains et Britanniques ont probablement demandé que soit donné un coup de balai encore plus important que celui auquel on a assisté, tout comme il est fort probable que Tewfik lui-même n’a sauvé sa tête que grâce à une alliance des généraux janviéristes qui se sont retrouvés tous unis derrière lui, quitte à «sacrifier» les Athmane Tartag, Abdelmalek Guenaïzia, Rachid Lallali, Ahmed Bousteila, Fewzi et M’henna Djebbar. Car il fallait «sauver le soldat Tewfik», le dernier rempart de protection du clan. Faut-il se réjouir pour autant d’une telle situation et se dire : «Ouf, on s’en est enfin débarrassé » ? Bien sûr que non.
D’abord parce que ce remue-ménage n’a pris place que parce que la CIA, le MI 5, le FBI et Scotland Yard, l’ont voulu et agissant séparément ou ensemble ont dicté aux hauts responsables de l’armée algérienne la conduite à suivre (…)Le clan des généraux vient de permettre à des services de sécurité étrangers de dicter leur conduite à des organes de souveraineté nationaux, à des puissances étrangères de s’ingérer dans les affaires intérieures de l’Algérie. Or, ces puissances, ne l’oublions pas, n’agissent qu’en fonction de leurs seuls intérêts.