Au delà du basculement des deux tiers de la population libanaise dans la pauvreté, les braquages de banque qui se multiplient marquent le début d’une anarchie larvée, premier pas vers l’effondrement du pays.
À qui profitent les braquages des banques? Certainement pas aux malheureux déposants qui ont vu leurs avoirs fondre comme neige au soleil depuis que la Banque du Liban a du suspendre la convertibilité de la livre libanaise en dollar. Laquelle se négociait jusqu’en 2019 et durant les années financières glorieuses qu’a traversées le Liban à un taux traditionnellement très avantageux pour la population libanaise (1).
Le vendredi16 septembre, six banques au moins ont été braquées à travers le pays, dans ce qui semble être un ciblage organisé, malveillant et prémédité. Un chaos total s’est installé à Beyrouth et sa banlieue et a commencé à s’étendre aux régions périphériques où toutes les banques ont fermé leurs portes, alors que l’intervention des forces de l’ordre restait hésitante par peur d’un embrasement général.
Incitations aux meurtres
Depuis dix jours, le groupe « Mouttahidoun », qui avait accompagné la procureure générale près la cour d’appel du Mont-Liban et proche du Président libanais Michel Aoun, Ghada Aoun, dans ses incursions rocambolesques d’une société de changes en 2021. Ce groupe aux arrières pensées politiques évidentes avait soutenu ses campagnes contre les banques, et annoncé sur sa page Facebook une campagne visant « au Liban et à l’étranger les établissements bancaires libanais et leurs PDG ».
Depuis quelques jours, la même page sur les réseaux sociaux accompagne ces attaques d’incitations au meurtre. Ce qui s’est effectivement traduit par des braquages armés, mettant en danger la vie des employés et des clients des banques attaquées dans un climat dégradé et malsain.
Sally Hafez, nouvelle icône
C’est Sally Hafez, une jeune activiste qui a donné le la, en effectuant une incursion dans la branche de la Blom Bank à Sodeco, Il n’est pas possible de déterminer si Sally, qui a voulu retirer son argent pour financer le traitement de sa sœur, atteinte d’un cancer, a agi de sa propre initiative ou si elle participait à une campagne. Mais ce qui est sûr, c’est que Mouttahidoun en a largement profité pour multiplier les incitations au braquage et les menaces contre les PDG des banques devenus soudain les boucs émissaires du désastre économique général qui menace la pays.
Or le système financier libanais, quelles qu’aient pu être ses erreurs d’appréciation de ces dernières années, reste le dernier vestige d’un Liban autrefois prospère. L’apport massif en « fresh dollars » dont bénéficie, malgré tout la société libanaise via diverses sources de financement ( l’aide de la diaspora, les trafics en tous genres, le soutien plus ou moins avouable de pays « amis » ou encore le financement d’ONG pas toutes désintéressés) doit encore être recyclé par le système bancaire. À condition que ce dernier ne soit pas rayé de la carte.
Dans la mesure où pour les élections du printemps dernier n’ont pas provoqué l’électrochoc espéré, seuls le système bancaire, ainsi qu’une armée restée neutre, restent les deux piliers chancelants mais opérationnels, de l’État libanais. Ce sont les financiers et les militaires qui ont permis au pays de tenir encore debout
Dans l’hypothèse où les banques fermeraient leurs portes, le scénario ne peut être alors que catastrophique. La coalition au pouvoir, sans légitimité, reconstruirait un système bancaire improbable en procédant à quelques nominations improvisées. Résultat: des bailleurs de fonds internationaux aux abonnés absents, une élection présidentielle reportée sine die et un Liban, cette fois, en totale cessation de paiement.
C’est ce scénario que certains espèrent. Seules alors les milices armées, hélas nombreuses et déterminées, provoqueraient dans un contexte régional incertain une nouvelle guerre civile dont le Liban ne se relèverait sans doute pas.