Le patron du groupe Cevital, Issad Rebrab, en butte à l’hostilité du clan présidentiel depuis des mois, voyait grand et loin dans le secteur audiovisuel, où il venait de mobiliser quarante millions d’euros pour racheter la majorité des actions d’ « El-Khabar ». Ce groupe de medias comprend la chaîne de télévision KBC et le quotidien arabophone El-Khabar, plus de 300000 exemplaires chaque jour, l’un des plus importants tirages de tout le monde arabe.Le puissant patron du groupe Cevital entendait ainsi répondre coup pour coup à la campagne de dénigrement de la chaîne de télévision Ennahar TV, la télévision « officielle » qui relaie les messages des maîtres du Palais d’El-Mouradia. La guerre s’annonçait longue et périlleuse entre le puissant homme d’affaires, dont les relais sont nombreux à l’étranger et en Kablylie, et un régime en bout de course, qui vire, chaque jour plus, à un autoritarisme sans partage.
Or ces tout derniers jours, de nouvelles attaques du pouvoir sont intervenues sur le terrai répressif avec une brutalité que personne n’attendait. Les proches du président Bouteflika veulent décapiter ce puissant homme d’affaires, qui était protégé hier par de puissants réseaux dans l’armée algérienne décimés désormais par le pouvoir.
Deux des producteurs d’Issad Rebrab ont été placés en prison, ses journalistes son censurés et ses investissements bloqués. Il ne lui reste qu’à négocier un compromis, notamment sur le partage des juteux marchés d’importation de sucre et d’huile dont il était le principal bénéficiaire. De multiples rebondissements majeur peuvent encore contrarier ce terrible jeux d’échecs, où la liberté d’information est chaque jour plus menacée.
L’obsession un bouclier médiatique
Dans sa rivalité avec le clan présidentiel, Issad Rebrab avait compris la nécessité impérieuse de se doter d’un véritable groupe médiatique dont l’influence dépasserait les frontières de l’Algérie. De bonne guerre!Le projet avait été mûri depuis plus deux ans. Le patron de Cevital avait créé une agence de communication et de production « NessProd ». La direction en avait été confiée à Mehdi Benaïssa, le fils du célèbre comédien Khaled Benaïssa, et l’un des collaborateurs de Yann-Arthus Bertrand dans le projet du documentaire de « l’Algérie vue du Ciel ». Jeune producteur très apprécié en Algérie comme en France, bénéficiant d’un très bon réseau de contacts, Mehdi Benaïssa est le profil dont avait besoin Issad Rebrab en dépit de son manque d’expérience dans le journalisme en Algérie.
Peu après son installation, « NessProd » préparait la naissance de « Ness TV », la chaîne de télévision qui devait concurrencer Ennahar TV et Echorrouk TV, les deux télévisions très proches des amis de Bouteflika. La complexité de la situation juridique algérienne régissant le secteur de l’audiovisuel a calmé les ardeurs de Rebrab. Le risque était la réaction arbitraire des autorités si la télévision se trouvait sur le territoire algérien.
Le patron de Cevital décide alors de se doter d’une véritable chaîne d’information en continu. En rachetant le groupe El-Khabar, l’homme d’affaires s’offrait déjà des médias influents, même frappés de plein fouet par une crise financière causée par le boycott des annonceurs imposé par le clan présidentiel. Avec en plus « Liberté », le quotidien francophone, dont il est propriétaire, Issad Rebrab avait de sérieux atouts dans la main. D’autant plus qu’il avait des vues sur « El-Watan », le premier quotidien francophone en Algérie, un média indépendant et parfois critique sur le clan Présidentiel d’Abdelaziz Bouteflika.
Ripostes judiciaires et … policières
A ce groupe viendra s’ajouter, plus tard, Ness TV, la chaîne de télévision généraliste dont l’objectif est de séduire les ménages algériens et de les libérer du poids d’Echorouk TV et autres télévisions favorables aux alliés de Bouteflika. Le bataille des médias a commencé depuis le deuxième semestre de l’année 2016. Sauf que dans cette bataille, Rebrab ne s’attendait pas à ce que le régime de Bouteflika actionne des armes aussi fatales que le harcèlement judiciaire et la répression sécuritaire.
Quelques jours après l’officialisation du rachat du groupe El-Khabar par NessProd de Cevital, le ministère de la communication dirigé par un ami de Saïd Bouteflika, Hamid Grine, saisit la justice. Les juges, sous la pression politique, sont contraints d’ordonner le gel de l’opération de vente et d’imposer une information judiciaire sur cette opération de rachat.
Battu sur le terrain judiciaire, Rebrab se heurte aujourd’hui à la répression policière. Durant le très stratégique mois de Ramadhan, tout un arsenal répressif entre en scène. Les Algériens regardent massivement les chaînes de télévisions après la rupture de jeune. Or KBC, la chaîne de Rebrab, diffuse deux émissions politiques: un journal satirique qui tourne en dérision l’actualité et les dirigeants algériens, «Ness Estah»; un Talk-Show, appelé «Kihna Ki Nass », qui regroupe de talentueux chroniqueurs et des comédiens de qualité pour explorer l’actualité algérienne sans aucun tabou. Les affaires de corruption exposées ou révélées sur le plateau de «Kiha Ki Nass» inquiètent les conseillers du Palais d’El-Mouradia dont la voracité est désormais sans limites.
Répression à tout va
La riposte ne s’est pas faite attendre. La gendarmerie algérienne vient d’investir rapidement les plateaux de ces deux émissions. Le tournage est arrêté et le matériel audiovisuel confisqué. Le harcèlement ne s’arrête pas là. Les autorités algériennes vont aller jusqu’à contester les autorisations de tournage accordées, pourtant, par le ministère de la Culture aux producteurs de KBC. Mehdi Benaisssa, le directeur de KBC et de NessProd est convoqué plusieurs fois par les gendarmes. Ces derniers finissent par le placer en garde à vue. Nora Nedjaï, la responsable du ministère de la Culture qui a délivré les autorisations de tournage, est interpellée elle aussi. Présentés devant le Procureur de la République du tribunal d’Alger, Mehdi Benaissa et Nora Nedjaï sont placés sous mandat de dépôt. Ils croupiront ainsi en prison jusqu’à nouvel ordre.
Issad Rebrab ne s’attendait jamais à une réaction aussi violente et brutale. Ultime rebondissement, le régime de Bouteflika s’en prend ensuite à ses autres alliés, le quotidien El Watan dont le nouveau siège a été fermé pendant quelques jours pour une sombre histoire d’un certificat de conformité de son parking. Un sévère message d’avertissement.
L’entourage de Bouteflika prend tout le monde de court. La violence inouïe de la répression contre les producteurs et journalistes travaillant pour le groupe de médias de Rebrab relève d’un vaste plan visant à donner un quasi monopole aux médias affiliés au clan présidentiel. Plusieurs sources judiciaires ont confirmé aux avocats d’Issad Rebrab que le tribunal d’Alger va prochainement statuer sur l’opération de rachat du groupe El-Khabar par Cevital. Les juges seront encore une fois obligés de rendre un verdict favorable aux intérêts du clan Présidentiel, à savoir celui de l’annulation de l’acte de vente d’El-Khabar. Les anciens actionnaires devront rendre quarante millions d’euros à Issad Rebrab. Asphyxiés par le boycott des annonceurs et les pressions financières, ils devront plus tard annoncer la fermeture de KBC et maintenir uniquement en vie le quotidien « El-Khabar ».
Dans un tel climat ravageur pour l’image de l’Algérie, Rebrab ne pourra pas lancer « Ness TV », une chaîne u’il voudrait généraliste. Sauf à la domicilier à l’étranger. « Cette option n’est pas encore privilégiée par Cevital », assurent nos sources, car possiblement « contre-productive ». De là à faire passer Rebrab pour un agent de l’étranger, il n’y a qu’un pas en effet que le régime algérien, toute honte bue, est parfaitement capable de franchir. « Or, confie un ancien ministre algérien, Issad rebrab a certainement dans le passé bénéficié d’une proximité avec le pouvoir. Mais personne ne peut nier qu’il est un grand industriel, qui a créé de vraies richesses pour le peuple algérien. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui des pseudos patrons qui dans le sillage de Said Bouteflika, le frère du Président, s’enrichissent indument sans créer les conditions du développement de l’économie ».