Les Maghrébins subissent une flambée des prix et des épisodes de pénurie qui touche les principales dépenses des consommateurs.
Des supermarchés aux rayons vides, des clients désespérément à la recherche de semoule, de farine et d’huile, des distributeurs qui n’écoulent pas les produits pour alimenter l’inflation : la Tunisie, comme le reste du Maghreb, connaît aujourd’hui une situation alimentaire désastreuse et subit de plein fouet les conséquences de la guerre en Ukraine.
Malgré leur éloignement des zones de conflit, les pays du Maghreb sont directement touchés par la guerre. Les gouvernements ont exprimé des avis divergents sur le sujet : si la Tunisie s’est alignée à la diplomatie occidentale, le Maroc s’est absenté lors du vote aux Nations-Unies sur la résolution condamnant la Russie, tandis que l’Algérie s’est abstenue.
Une question sensible, qui s’explique par les relations économiques fortes qui relient le Maghreb à la Russie et l’Ukraine, dont la perturbation impacte directement le panier du consommateur.
Le spectre de la menace alimentaire à l’horizon
Les pays du Maghreb ont en effet développé une dépendance accrue aux importations en provenance de la Russie et de l’Ukraine, qui menace à présent leur sécurité alimentaire. En guise d’exemple, la Tunisie dépend à 80% des marchés ukrainiens et russes pour ses importations en céréales, dans un pays qui ne produit que 43% de sa consommation céréalière, selon une étude de l’Observatoire Tunisien de l’Économie. De même, 36% des importations de blé du Maroc proviennent d’Ukraine et de Russie.
« Le Maroc est un pays qui importe à 90% ses besoins énergétiques et à moitié ses besoins en céréales, il va subir directement la conséquence de l’augmentation des prix internationaux » explique Abdelaaziz Ait Ali, économiste au Policy Center for the New South basé à Rabat.
« Le Maroc subit une vague de sécheresse qui a réduit sa production agricole, tout comme le reste du Maghreb, ce qui force le pays cette année à importer 80% de sa consommation au lieu de 50% habituellement » ajoute-t-il.
La tonne de blé s’échange à près de 300 dollars sur les marchés internationaux, un record depuis 2011. La totalité des pays du Maghreb importent leurs céréales d’Europe de l’Est, comme la Libye et l’Algérie qui ont commencé à se fournir en blé russe à partir de l’année dernière.
Sur le plan touristique, la clientèle russe est la deuxième la plus importante après les Français en Tunisie, pour un pays où l’activité touristique assure 14% du PIB. Hakim Tounsi, PDG du tour opérateur Authentique, révèle à Ici Beyrouth que « la Tunisie s’est tournée massivement vers les pays de l’Est après 2011, notamment les Russes et les Ukrainiens, et les contrats signés pour l’été 2022 vont devoir être annulé au vu de la situation ». Plus de 630.000 touristes russes avaient visité le pays en 2019. » Il y a une accumulation, comme au Liban, de difficultés politiques, sanitaires, économiques qui ont mis l’économie à genoux « , ajoute-t-il.
Un cocktail explosif qui laisse augurer d’une crise sociale
Pour beaucoup de consommateurs, la guerre en Ukraine a représenté la goutte qui a fait déborder le vase.
« Des produits de première importance sont rares ou introuvables comme la semoule, la farine ou l’huile subventionnée. Les rayons des magasins sont vides » explique Mohsen, retraité tunisien et ancien journaliste, qui blâme d’abord le conflit en Ukraine, mais aussi « l’avidité des distributeurs qui cachent des tonnes de produits pour ne les écouler qu’une fois les prix augmentés, surtout en vue du mois de Ramadan ».
Des situations de pénurie qui se multiplient et qui provoquent la panique, alors que les citoyens se ruent vers les stocks restants. Plusieurs épiceries tunisiennes ont été contraintes d’imposer des quotas de farine, de pâtes et de semoule pour les consommateurs, tandis que le syndicat des supermarchés a annoncé que les ventes de semoule avaient augmenté de 700% ces derniers jours.
Selon Houda, jeune tunisienne travaillant dans le secteur des Ressources humaines, » les prix de plusieurs produits comme l’huile, le sucre et les produits ménagers ont augmenté de 40 à 60% « .
Du côté marocain, pas encore de pénurie, mais une inflation galopante qui dure depuis plusieurs mois et qui s’est empirée ces dernières semaines. Après une grève des conducteurs de taxi, le gouvernement a promis des subventions sur les coûts de transport. Le 20 février dernier, des dizaines de manifestants ont protesté contre la vie chère et la corruption.
Inflation, pénuries, spéculation et volatilité des cours des matières premières sur les marchés internationaux: un cocktail explosif qui peut menacer la stabilité dans la région, déjà fragilisée par la pandémie de la Covid-19.
Un coup de grâce pour des économies exsangues
Un des principaux leviers actionnés par les gouvernements maghrébins a été de mettre en place des subventions à la consommation pour maintenir la paix sociale et contenir les mouvements sociaux.
Abdelaaziz Ait Ali nous explique ainsi que » les subventions représentent 1 à 1.2% du PIB marocain, une estimation qui va probablement être revue à la hausse alors que les dépenses liées aux subventions ont augmenté de 80% ces deux derniers mois par rapport à la même période en 2021 « .
Selon une étude publiée par le chercheur, le Maroc est la plus grande économie africaine susceptible d’être impactée par la guerre, alors que ses importations de pétrole, de gaz et de charbon représentent 6.4% de son PIB.
La situation est encore plus dramatique en Tunisie, qui négocie actuellement un accord financier avec le FMI et dont la dette représente 100% de son PIB. « La banqueroute est un risque permanent depuis 2011, notre pays est dépendant aux prêts des pays occidentaux et du FMI » explique Amine Snoussi, analyste politique et essayiste tunisien. » L’octroi d’un prêt du FMI sera conditionné à l’implémentation de réformes structurelles qui vont encore plus frapper le pouvoir d’achat des Tunisiens », ajoute-t-il.
« Le gouvernement n’a aucune politique économique, aucune vision sur le pouvoir d’achat, il ne se rend même pas compte que la source de la crise actuelle est internationale » ajoute-t-il, estimant que « les Tunisiens vont subir l’inflation de plein fouet ».
Une crise alimentaire qui ne peut qu’alimenter une crise sociale, facteur majeur des manifestations populaires qui ont été à l’origine du Printemps arabe en 2011.