A couteaux tirés sur la question du Sahara occidental, l’Algérie et le Maroc donnent le tournis à leur voisin mauritanien. Contraint de jouer les équilibristes à son arrivée au pouvoir à la suite d’un putsch en 2008, le président Mohamed Ould Abdelaziz avait en apparence, toutes les raisons de faire pencher la balance en faveur de Rabat. Et c’est l’inverse qui s’est produit, du moins jusqu’à récemment où on l’a vu s’éloigner de l’Algérie.
Né au Sénégal d’un père marocain, marié à une marocaine à la tête d’un important patrimoine immobilier dans le royaume chérifien, Aziz, catapulté à la tête de l’Etat mauritanien, se savait assuré du soutien de la monarchie. Pour preuve, au lendemain du coup d’Etat perpétré contre le seul président démocratiquement élu en Mauritanie, Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, les autorités marocaines prennent le contrepied de la communauté internationale en s’abstenant de condamner le putsch. Mieux, au lendemain du coup d’Etat, Rabat dépêche à Nouakchott une délégation de haut niveau à laquelle se joint le conseiller spécial du roi et directeur du contre-espionnage, Mohamed Yassine Mansour. Le message est clair : Aziz, qui cherche à redorer son image après son coup d’Etat, peut compter sur ses alliés marocains.
La main tendue vers Alger
C’est pourtant vers l’Algérie que le président mauritainien va se tourner pour contrer l’Union africaine qui annonce des sanctions contre le pays après son arrivée par la force au sommet de l’Etat. Or, l’Algérie exerce un poids considérable dans cette organisation dont le Maroc ne fait pas partie. Discrètement, un rapprochement s’amorce. A terme, le soutien apporté à Aziz par les autorités algériennes l’aidera à accéder en janvier 2014 à la présidence de l’Union africaine.
A l’affut de toute opportunité pouvant limiter l’influence marocaine en Afrique, Alger saisit la main tendue d’Aziz en associant la Mauritanie au comité d’état-major opérationnel conjoint de Tamanrasset chargé de renforcer les relations de coopération militaire et sécuritaire entre l’Algérie, le Mali, le Niger et la Mauritanie. Le Maroc voit rouge. Ne manquant d’ordinaire aucune occasion d’honorer ses partenaires africains de sa présence, Mohamed VI ne se rendra pas à la cérémonie d’investiture d’Aziz après sa réélection en 2014.
Du plomb dans l’aile
Enfin dans son dernier rapport sur le Sahara occidental remis au Conseil de sécurité en novembre 2015, l’envoyé de l’Onu pour le Sahara occidental, Christopher Ross notait que le président Aziz se disait inquiet des conséquences du trafic de cannabis en provenance du royaume chérifien.
Ce micro séisme diplomatique a provoqué des répercussions inattendues. Repris par la presse mauritanienne sans citer le rapport, les propos du président mauritanien ont déclenché la colère des autorités marocaines qui ont accusé le responsable du contre espionnage de l’ambassade d’Alger à Nouakchott d’avoir renseigné les journalistes. Coup de bluff ou réel malentendu ? Toujours est-il que ce diplomate algérien a immédiatement été renvoyé du territoire mauritanien. Les représailles ne se sont pas faites attendre. Quarante-huit heure après l’incident, les autorités algériennes ordonnaient l’expulsion d’un diplomate occupant le même poste à l’ambassade mauritanienne.
Reste que l’alliance Alger-Nouakchott semble véritablement avoir du plomb dans l’aile. Jusqu’alors très précautionneux, Aziz a commis deux fautes vis-à-vis du très chatouilleux pouvoir algérien. Au cours de sa présidence de l’Union africaine à laquelle il avait accédé en grande partie grâce au soutien d’Alger, Aziz n’a pas renvoyé l’ascenseur sur le très sensible sujet du Sahara occidental qu’il s’est soigneusement employé à éviter sous pression marocaine.
Par ailleurs, l’Algérie ne voit pas d’un bon oeil l’adhésion de la Mauritanie au mécanisme de coopération sécuritaire du « G5 Sahel » perçu comme une structure servant les intérêts de la France dans la zone subsaharienne et composé de pays africains alliés de Paris : Mali, Tchad, Niger, Burkina Faso, Mauritanie. De quoi réveiller la susceptibilité du grand frère algérien.
Au fond, le président mauritanien, guère rompu aux jeux diplomatiques, aura réussi la performance en quelques années d’être en froid aussi bien avec Alger qu’avec Rabat.