Le plaidoyer de notre ami tunisien, Ezzeddine Ben Hamida, en faveur de l’actuel président Kais Saïed, ne correspond pas à la ligne éditoriale de Mondafrique, nettement plus critique à l’égard des dérives démocratiques et de l’impuissance à gouverner de l’actuel président tunisien. Nous publions volontiers ce texte argumenté par souci de pluralisme, et alors que la Tuniise se trouve à la la veille d’annonces importantes sur la réforme constitutionnelle du Palais de Carthage.
Il ne suffit pas de multiplier les conseils consultatifs et les institutions d’expertise et de contrôle –encore faut-il qu’elles ne soient pas noyautées- pour enchanter la démocratie. La violence et l’ampleur des émeutes du 25 juillet 2021 ont montré que notre démocratie est structurellement inachevée.
L’actuel président Kais Saïed, épaulé sans doute par notre armée républicaine, a suspendu,conformément aux pouvoirs que la constitution lui confère, les travaux de l’Assemblée des représentants du peuple, en évitant courageusement au pays de basculer dans l’incertain. La démocratie suppose certes la prise en compte de l’opinion de tous, elle repose donc par essence sur un équilibre fragile, mais elle ne peut progresser qu’en instaurant une justice sociale concrète, réelle : Accès aux soins, à l’éducation,…, et surtout à la sécurité alimentaire. En prenant l’exemple sur l’Inde, qui n’a plus connu le fléau de la famine depuis l’instauration d’un régime parlementaire, Amarya SEN (Nobel 1998)[1] martelait « La famine apparaît seulement là où il n’y a pas de démocratie. »
1/ La Tunisie un laboratoire de la démocratie ?
En filigrane, la décennie qui vient de s’écouler n’a pas montré les limites de la constitution de 2014, comme la propagande de certaines voix le laisse entendre à longueur de journée ; mais elle a mis en lumière les limites de l’exercice du pouvoir en l’absence d’esprit bienveillant ayant le sens de l’intérêt commun. En clair, ces limites sont imputables exclusivement à l’état d’esprit propre à Rached Ghannouchi et ses deux principaux apôtres : Nourdine Bhiri et Abdelkarim Harouni, pour ne citer qu’eux. Monsieur R. Ghannouchi par ses intrigues et son machiavélisme agouants, répugnants et exaspérants, a perverti l’esprit consensuel de la jeune constitution. La répartition des pouvoirs dans cette constitution semi-parlementaire a donné naissance à une première mondiale, un exécutif à deux têtes, bipartite :
– Un Président élu au suffrage universel direct, doté d’une autorité morale, garantissant l’intégrité territoriale, Chef des Armées et de la diplomatie ; c’est lui donc qui nomme les ministres de la défense et des affaires étrangères. Il dispose également du pouvoir, dans certains cas, de dissoudre le parlement et d’appeler à un référendum.
– Et un Chef de gouvernement en charge de la sécurité intérieure, de la justice, de la santé, des finances publiques, des affaires économiques, sociales, éducatives et de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique ainsi que de l’industrie (extractive et manufacturière). A ce titre, il est investi par le parlement après le vote de confiance. Il a donc une légitimité parlementaire. Une légitimité qui peut lui être retirée suite au vote d’une motion de censure.
Cette répartition des pouvoirs aurait pu bien se passer comme on l’a pu observer en France lors des périodes de cohabitation: 1986-1988 Mitterrand / Chirac, 1993-1995 Mitterrand / Balladur et 1997-2002 Chirac / Jospin. Quel gâchis pour la Tunisie.
Et Pourtant, les intentions de cette conception bipartite du pouvoir exécutif sont bonnes et restent à notre sens à défendre absolument : elles visaient à lutter contre le despotisme politique et la tentation de l’autoritarisme et de l’absolutisme du pouvoir ; car, il faut bien le reconnaître, dans la culture arabe le culte du Chef, Zaïm, Caïd est profondément ancrée dans la perception collective des citoyens ; pour s’y diffère il faudrait encore quelques générations ; des générations qui auraient exercé leurs droits démocratiques à bon escient et durablement.
La démocratie s’améliore en Tunisie lorsqu’elle se débarrasserait de l’esprit despotique qui caractérise encore certaines figures politiques et, aussi, lorsqu’elle multiplie les façons d’approcher la décision collective et qu’elle prenne en compte la multiplicité des définitions du bien commun. Justement, comme le disait Pierre Rosanvallan (Historien et sociologue), « Le bien commun personne n’en possède la définition. L’intérêt général et le peuple, personne ne les incarne. » (in Le Bon Gouvernement, Seuil, 2015)
2/ L’impact de la géopolitique sur notre démocratie
L’interdépendance économique des nations est une donnée. Aucun pays –ou presque- ne peut y échapper. Aucune économie ne peut vivre et évoluer en autarcie. La crise L’Ukrainienne, encore une fois, vient de le démontrer : des pays risquent la famine alors que les activités productives d’autres sont menacées d’arrêt faute d’approvisionnement en énergies (pétrole et Gaz). En somme, le monde retient son souffle !
La stratégie d’ouverture internationale adoptée au début des années 70, avec le temps s’est érodée, essoufflée, dégradée faute d’accompagnement consciencieux des mutations de la mondialisation des chaînes des valeurs et d’adaptations méthodiques aux évolutions technologiques et géostratégiques internationales. Les bas salaires et la dépréciation du dinar sont restés le leitmotiv de tous nos sinistres stratèges. Nos responsables politiques durant au moins ces 40 dernières années n’ont pas pris la mesure des évolutions et des transformations mondiales ; ils ont fait preuve de cécité intellectuelle.
Résultats : montée de la pauvreté, un chômage de masse structurel incompressible à court et moyen termes, moins de redistribution sous la pression des institutions internationales ce qui a comme corollaire une montée inexorable de la violence et de l’insécurité,… ! L’ensemble de ces données mine notre jeune démocratie. Il faut donc instaurer un Etat-providence fort pour mettre en place une réelle politique redistributive.
3/ La démocratie irréversible en Tunisie ?
Pour qu’elle puisse s’installer de manière irréversible, il faut chasser ses nombreux ennemis : la pauvreté, l’insécurité, la corruption, les pensées despotiques qui caractérisent encore beaucoup de figures politiques et les ingérences étrangères. Le bon démocrate est un démocrate pragmatique, sécularisé et patriote. Il faut donc séculariser l’Etat et ses institutions.
Les Tunisiens demandent aujourd’hui plus d’égalité et de respect. Ils ne supportent plus les humiliations du passé. Ils demandent aussi plus d’autonomie à l’égard de nos voisins du nord qui s’immiscent inlassablement dans notre affaires internes ; c’est une aspiration réelle à ne pas sous-estimer. « Laissez-nous vivre notre vie de NATION » avait rétorqué Jean-Yves le Drian, ancien ministre des affaires étrangères françaises, à l’égard de Donald Trump qui s’est montré critique à propos de la gestion de la crise sociale des Gilets Jaunes en France.
Laissez-nous vivre notre vie de NATION »