La relance d’un conflit sur la délimitation des frontières maritimes entre le Liban et Israël, en vue de l’exploitation d’un important champ gazier commun en pleine mer, a provoqué un regain de tension entre les deux pays.
Michel Touma
Un net regain de tension est perceptible depuis quelques jours entre le Liban et Israël sur les plans politique et médiatique. A l’origine de cette nouvelle épreuve de force, la prospection et l’exploitation d’un immense champ gazier dans la mer, aux frontières maritimes entre les deux pays.
Le Liban et Israël étant encore officiellement en état de guerre, ce sont les Etats-Unis qui jouent le rôle de médiateur afin de permettre l’extraction et la commercialisation du gaz. Le règlement de ce conflit est aujourd’hui d’autant plus vital que l’approvisionnement de l’Europe en gaz est perturbé par la guerre en Ukraine.
Au stade actuel, la médiation de l’administration américaine, entamée en 2020, est axée sur un point épineux qui retarde la solution de ce contentieux : la délimitation des frontières maritimes entre le Liban et Israël. De cette délimitation dépend en effet le partage de l’exploitation de ce champ gazier entre les deux pays. Le litige porte principalement sur la façon de tracer, en mer, les frontières en question.
Différentes options
Concrètement, le tracé de la ligne frontalière maritime est déterminée à partir d’un point de départ sur la terre pleine. Dans un premier temps, Israël avait fixé la ligne 1 et le Liban la ligne 23 comme frontière. Une solution de compromis a consisté à tracer la ligne intermédiaire Hoff, du nom du premier médiateur américain (voir carte ci-jointe). Par la suite, des experts militaires libanais avaient revendiqué le tracé de la frontière maritime sur base de la ligne 29, située plus au sud, en direction d’Israël.
Depuis, le débat tourne autour de l’option entre la ligne 23 et la ligne 29. La première est davantage favorable à Israël car elle repousse la frontière maritime plus au nord, vers le Liban, ce qui permettrait à l’Etat hébreu d’exploiter une plus grande partie du champ gazier et surtout de ne pas avoir à partager avec le Liban un champ particulier, situé à cheval entre les eaux territoriales israéliennes et libanaises, le champ de Karish.
Au cours des derniers mois, la position officielle libanaise s’en tenait à la ligne 29 pour la délimitation des frontières maritimes car elle permet au Liban de partager avec Israël le champ de Karish, ce qui est rejeté par l’Etat hébreu. Or il y a quelques semaines, le président libanais Michel Aoun a fait une déclaration dans laquelle il soulignait que le gouvernement libanais s’en tenait à la ligne 23 pour mener les négociations indirectes sur la délimitation des frontières.
Cette déclaration a suscité une vive réaction dans les milieux de l’opposition libanaise qui n’a pas hésité à crier à la traitrise, accusant le chef de l’Etat libanais de brader une partie des richesses gazières libanaises au profit d’Israël afin d’obtenir, en contrepartie, la levée des sanctions américaines imposées à son gendre, Gebrane Bassil (chef du Courant patriotique libre, parti créé par le président libanais), impliqué, selon Washington, dans de vastes opérations de corruption. Le président Aoun chercherait par la même occasion, à en croire l’opposition libanaise, à accroître les chances de l’élection de son gendre à la présidence de la République, en octobre prochain.
Le fait accompli
La tension entre le Liban et Israël au sujet de ce dossier est montée de plusieurs crans lorsqu’un navire de la société Energean Power, chargée par Israël de prospecter et d’exploiter les ressources gazières au large des côtes israéliennes, est arrivé dimanche dernier au champ gazier de Karish, au sud de la ligne 29. Dans le même temps, le ministère israélien de l’Energie annonçait que la prospection dans le champ de Karish était achevée et que l’exploitation, et l’exportation, du gaz débuteraient en septembre.
Ce nouveau développement a provoqué l’ire des dirigeants libanais qui ont accusé Israël de vouloir imposer un fait accompli sur ce plan en faisant fi des pourparlers indirects et de la médiation américaine. Dans le but évident de juguler cette tension avec Beyrouth et d’éviter une éventuelle escalade militaire, Tel-Aviv a rapidement réagi en soulignant, au début de cette semaine, que le différend avec le Liban dans cette affaire sera réglé par le biais du médiateur américain.
La recrudescence de la tension à cet égard intervient dans un contexte régional particulièrement explosif, dû à la politique expansionniste pratiquée par les pasdarans iraniens – dont le bras armé à la frontière nord d’Israël n’est autre que le Hezbollah libanais. Une course contre la montre paraît ainsi engagée entre la reprise des négociations indirectes par le biais de l’administration US et l’escalade militaire à laquelle le Hezbollah pourrait être tentée de se livrer, à la demande du pouvoir iranien, en prenant pour prétexte le début de l’exploitation du champ de Karish alors que le litige avec le Liban n’a pas encore été tranché.