Soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, des paroles inédites et très oecuméniques ont été prononcées à l’Elysée le 19 mars 2022 par le président Macron à l’occasion de l’anniversaire du cessez le feu en Algérie. Une chronique de Chérif Lounès qui salue cet efort de réconcilation des mémoires sur lequel Mondafrique est généralement nettement plus sceptique. Dans l’histoire tragique de la guerre d’Algérie, il y a eu des crimes commis par la France colonisatrice pendant 132 ans qui pèsent autrement plus lourd que tout le reste.
Le cessez le feu fût décrété le 19 mars 1962, soit le lendemain des accords d’Evian signés la veille par les représentants du gouvernement de la France et du FLN algérien. Un discours plus proche de la vision du juste milieu qu’avait prêchée en vain Albert Camus, l’enfant de Belcourt, plutôt que de celle de l’idéologue marxiste Jean-Paul Sartre pro militants indépendantistes que rejoindra plus tard Benjamin Stora. Ce dernier qui a évolué pour se rapprocher d’Albert Camus est devenu conseiller du président Macron sur la guerre d’Algérie. On ne reviendra pas sur l’historique et les controverses autour de cette date du 19 mars 1962.
Les paroles du président Macron, dont il est question ici, se situent vers la fin de l’intervention présidentielle. Elles qualifient de manière inédite par l’expression « nos enfants » les « appelés » du contingent, les « rapatriés » d’Algérie, les « combattants pour l’indépendance arrivés ensuite en France », les « harkis devenus français », et ceux « venants d’Algérie ou nés en France de parents algériens ». Pour le président de la république française l’ensemble de ces catégories correspond à une réalité historique en France qui doit être dite et reconnu comme telle pour rendre possible « à la Nation de vivre en paix ». Parlez des anciens combattants du FLN et de leurs descendants qui ont fait le choix de la France après l’indépendance, des rapatriés pieds noirs et des français musulmans et harkis devenus français et dire qu’ils sont « nos enfants » c’est à dire les « enfants de la République » est un véritable retournement de l’histoire.
Extraits de ces paroles inédites :
« Mais surtout, je pense que tout ce dont je viens de vous parler n’a rien à voir, au fond, avec l’Algérie d’aujourd’hui, simplement parce que c’est nous, c’est notre histoire, parce que je viens simplement de parler de nos enfants.
Ce sont nos enfants qui furent appelés pour se battre.
Ce sont nos enfants qui furent rapatriés d’une terre où ils étaient nés, qui étaient la leur.
Ce sont nos enfants, nos enfants, qui se sont parfois battus pour l’indépendance, et qui sont ensuite arrivés en France, parfois quelques décennies plus tard, pour fuir l’obscurantisme islamiste quand il s’abattait sur l’Algérie, et venir trouver ici la protection.
Ce sont nos enfants qui se sont retrouvés dans la France, appelés harkis mais devenus Français, ce sont nos enfants, qui sont ensuite devenus leurs enfants.
Ce sont nos enfants qui venant d’Algérie ou nés en France de parents algériens, vivent ici sur notre sol, dans notre Nation.
Laisser ces histoires ne pas être dites, reconnues, laisser dos à dos tant de parcours, c’est rendre impossible à la Nation de vivre en paix. »
Voilà donc des propos qui risquent par certains aspects de susciter la réprobation chez les partisans d’un FLN pur et dur qu’ils glorifient jusqu’à l’absurde et qui refusent de remettre en cause l’histoire officielle. Mais d’un autre côté ces mots d’apaisement rejoignent la pensée, dans une certaine mesure, de beaucoup d’algériens qui issus d’un passé nationaliste par choix ou par endoctrinement ont finalement opté pour vivre en France. Ils ont en grande majorité acquis la nationalité de l’ancien colonisateur intégrant ainsi, à la suite des Pieds Noirs et des Harkis, la Nation française du drapeau bleu blanc rouge et de l’hymne La Marseillaise. Pour cette raison le président Macron les qualifie « d’enfants de la République ».
Que de vies volées !
Pour terminer et toujours dans cet ordre d’idée, voici ce qu’une algérienne du nom de Kahéna N. écrivait dans un petit livret intitulé « Témoignage de 1954 en Algérie à 2001 en France » publié en novembre 2001 chez Les Presses du Midi : « Pour nous, civils, victimes d’une guerre non souhaitée, notre ennemi n’avait pas d’identité. Le danger était présent à chaque instant. Militaires, Français, Harkis, Fellagas nous soupçonnaient et nous accusaient ensemble d’être des traîtres. … Nous étions les otages des deux parties. Qui sommes-nous en réalité ? L’Algerie était bouleversée à l’image de tous… Que de vies volées ! … »
Et encore: « Mon intégration en tant que jeune fille algérienne en France, ne m’a pas posé de grandes difficultés. Peut-être me suis-je donné, avec honnêteté, les moyens d’y parvenir ! Il est vrai qu’en ce temps-là, la situation était différente : économie florissante, population maghrébine moins nombreuse. Les familles étrangères vivaient mélangées en parfaite harmonie avec les autres. Nous étions tout de même moins bruyants. … Française, non par hasard, mais par choix mûrement réfléchi, avec des origines algériennes, je me surprends parfois à être étonnée et à la fois heureuse de cette liberté d’expression dans ce pays devenu, avec bonheur le mien, de cette intégration réussie qui me fait Française sans que j’oublie pour autant mes origines. Le destin a parfois des détournements heureux ! »
Beaucoup d’algériens, femmes et hommes, ayant fait le choix de vivre en France plutôt que dans leur pays devenu indépendant se reconnaîtront dans ce récit de Kahéna N.