Les critiques cinglantes sur la qualité de la gouvernance de la Banque centrale appartenant aux six pays de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) que sont le Cameroun, la RCA, le Congo, le Gabon, la Guinée Equatoriale et le Tchad ne sont pas nouvelles[1].
Une chronique de Djimadoum Mandekor, économiste et ancien Directeur au Siège de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) en charge de la mise en œuvre de la politique monétaire.
La presse camerounaise a dénoncé ces dernières semaines « l’incurie » de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) et appeler à « sauver la BEAC que le Gouverneur, Abbas Mahamat Tolli, confondrait avec « une épicerie familiale ». Lequel avait eu des moments difficiles au Gabon, où une grève du personnel de la Direction nationale a été contenue de justesse en 2020, et au Congo en 2021 sur le relèvement des deux adjoints au Directeur national, mesure contestée par les autorités congolaises.
Les défaillances de l’institution reviennent avec une force plus grande actuellement : népotisme, autoritarisme, favoritisme et discrimination, recrutements sauvages et orientés, usages indus de certains privilèges, abus de biens sociaux, etc. Ces maux avaient déjà valu le départ précipité de Jean Félix Mamalepot en 2007, lui qui aurait déclaré à ses collaborateurs qu’il était le dieu de la BEAC, et de Philibert Andzembé, dont le mandat avait été écourté en 2009 après la découverte de malversations opérées au bureau parisien de l’institut d’émission.
Les relations parfois perturbées entre la BEAC, dirigée depuis mars 2017 par le tchadien Abbas Mahamat Tolli, neveu du feu président Idriss Déby Itno, et ses pays membres, proviennent souvent des dysfonctionnements observés dans la gestion courante de cette institution mais rarement sur des questions relatives à la politique monétaire et autres attributions spécifiques à la banque centrale. Elles posent essentiellement le problème de la compétence effective des dirigeants désignés par ces mêmes Etats et de la qualité de leur gouvernance.
La boutade d’un agent de la BEAC, lancée avant les années 2000, pour définir l’institution comme la « Banque des Ethnies de l’Afrique Centrale », prend tout son sens depuis l’introduction de la notion de gouvernement de la Banque en 1993, composé de trois membres dont le Gouverneur gabonais et le Vice-Gouverneur congolais, et le Secrétaire Général, poste nouveau créé et confié à une personnalité originaire du Tchad. Avec l’extension à 6 des membres dudit gouvernement (un pour chacun des six pays de la CEMAC) et la rotation de leur poste, le management global et unitaire des ressources humaines a été abandonné au profit d’une gestion par nationalité. Dorénavant, chaque membre du gouvernement s’occupe particulièrement des agents ressortissants de son pays, sous le contrôle particulier du Gouverneur et de son pouvoir discrétionnaire. Les recrutements se font de plus en plus au profit de leurs parents et relations qui, bien souvent, sont des apparentés des chefs d’Etats ou/et Ministres des finances. Les postes de directions, particulièrement de directeurs nationaux leurs sont réservées.
Dès lors la BEAC a perdu son caractère régional et public pour devenir un organisme quasi-privé régi par des règles où prévalent surtout les choix personnels des hauts dirigeants. Le personnel, dont les délégués sont généralement cooptés, est bâillonné car ses statuts, dérogeant au cadre légal internationalement admis, ne le protègent pas. En l’absence d’une vraie voie de recours externe, il n’y a de la sorte pas de contre-pouvoir minimal au sein de l’institution. Les performances individuelles n’étant pas le principal critère de promotion, alors que les agents très compétents techniquement restent nombreux, le carriérisme est ainsi favorisé à outrance.
Si les réformes de 1993 et 2010, poussées notamment par le Fonds Monétaire International, visaient à plus d’efficacité et à rendre plus dynamique la politique monétaire, le rôle central conservé par les Etats dans la nomination de ses dirigeants et des membres de ses instances de contrôle pèse fondamentalement sur la qualité de la gouvernance de cette institution essentielle pour le développement économique et financier des pays de la CEMAC ainsi que leur intégration.
Le gouvernement de la Banque, suivi dans sa démarche par ses instances de contrôle (Conseil d’Administration et Comité Ministériel), consacre peu de son temps à élaborer et mener la politique monétaire, fonction première d’une banque centrale, ou à approfondir le secteur financier et développer l’inclusion financière. Ainsi, contre les évidences de la tendance mondiale à la dématérialisation de la monnaie, pour plaire aux Chefs d’Etat envers qui ils sont seuls redevables, ils créent des agences à tour de bras dans les villes et villages natals de ces derniers (au Tchad peut-être bientôt Am Djarass, à 300 km de l’agence d’Abéché créée en 2010 ; Ouesso puis Oyo en 2018 à 200 km au Congo ; Ebebeyin en Guinée Equatoriale en 2019 ; Ebolowa en cours, à 200 km de Yaoundé, etc.), agences dont l’exploitation est déficitaire. La Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), avec une population de 106 millions d’habitants et 80 banques,n’a que 18 agences (2 en Côte d’Ivoire, 2 au Sénégal, 3 au Mali, 1 en Guinée Bissau, etc.) contre actuellement 24 agences[2] (6 au Cameroun, 4 au Gabon, 4 au Congo, 4 au Tchad, 3 en Guinée Equatoriale et 2 en RCA) pour la BEAC, avec environ 58 millions d’habitants et 50 banques.
Cet activisme immobilier, encadré par des règles d’attribution de marché pas toujours transparentes, se fait évidemment au détriment d’une intervention plus efficace sur le plan monétaire et financier. Ainsi, le marché des titres publics, officiellement lancé en 2011, peine à se développer du fait, entre autres, de la volonté des hauts dirigeants de la BEAC de ne pas mécontenter certains Etats peu disciplinés en matière de finances publiques. Les atermoiements de ces responsables à traiter adéquatement les banques en difficultés entretenant des relations peu orthodoxes avec les mêmes Etats, tardent à favoriser l’assainissement sérieux du système bancaire de ces pays pourtant recommandé par le FMI et la Banque Mondiale.
Ces déviances endémiques n’entraînent pas un rappel à l’ordre de la part du Conseil d’administration dont les membres sont principalement issus du même sérail ethnico-politique que les membres du gouvernement de la BEAC et dont les compétences pour accomplir cette tâche ne sont pas toujours attestées. De plus, la crainte pour des fonctionnaires nationaux de perdre cette position leur assurant un complément de revenu substantiel fait taire toute velléité d’exercer convenablement sa fonction. Avec la multiplication des sessions extraordinaires pas toujours justifiées, quelques-uns semblent même être devenus des salariés de l’institution.
Pour lui éviter de continuer à aller à vau l’eau, la réforme en profondeur de sa gouvernance est indispensable, en se fondant sur les bonnes pratiques internationales. Face aux défis anciens et nouveaux auxquels affrontés par les économies de la CEMAC, entre autres le chômage massif des jeunes diplômés, les autorités de la sous-région doivent résolument engager le redressement de la banque centrale commune, en lançant rapidement, principalement, la révision des modes de désignation des membres du gouvernement de la BEAC, dont le nombre pourrait revenir à 3, et de ses instances de contrôle ainsi que de son Comité de politique monétaire établi en 2008, la réduction à 4 ans du mandat du Gouverneur, comme par exemple aux Etats-Unis, dont le renouvellement, une fois, peut être admis après évaluation des performances, ainsi que le renforcement du caractère collégial du gouvernement de l’institution communautaire et du système de reddition des comptes.
Les nominations des membres du gouvernement devront obéir à une procédure inclusive, conduite par le Conseil d’Administration rénové. Les dossiers de candidatures seront préalablement examinés par un cabinet de recrutement indépendant qui sélectionnera trois personnes par poste à proposer aux instances de décision.
Pour accroître l’indépendance du Conseil d’administration à l’égard des Etats, il est recommandé que chacun y soit représenté par un seul administrateur, au lieu de deux actuellement. Ensemble, avec toujours deux administrateurs français, ils devront désignés trois administrateurs indépendants recrutés après une sélection ouverte aux ressortissants de la sous-région, en veillant à ce que toutes les nationalités puissent contribuer à ce dernier titre. Par ailleurs, pour favoriser la bonne prise en compte des intérêts et compétences du personnel sur son institution, un de ses représentants devra être nommé administrateur avec voix consultative, à l’exemple de la Banque de France. Le mandat des administrateurs sera de 3 ans renouvelable une fois.
Il est temps que les citoyens de la sous-région se mobilisent et s’emparent légitimement de la question du fonctionnement adéquat de leur banque centrale commune et de son futur, en considérant que les suggestions ci-dessus peuvent être largement enrichies. Les errements actuels, portés par les intérêts égoïstes des dirigeants de cette institution, ne sont pas, notamment, propices à une réflexion profonde sur l’avenir du Franc CFA, jamais vraiment initiée au sein de la CEMAC, ainsi qu’à la croissance économique et à l’intégration réelle de ses pays membres dont la BEAC peut être un solide pil
[1] Mahamat Massoud. La Banque des Etats de l’Afrique Centrale : une dérive prévisible. L’harmattan 2010
[2] En dehors des agences en « gestation » de Mouila et Am Djarass, village natal de feu Idriss Déby Itno.
J’ai lu de début jusqu’à la fin et je suis resté sans mot, l’Afrique de l’ouest est conscient de son intégration sous régionale, c’est pas le cas en Afrique.
Merci mr Mandekor
Waouh, merci pour l’information si riche. Nous les pauvres populations de la CEMAC ignorant, merci