Dans le cadre de notre série sur le financement de l’action politique au Liban, nous avons exposé dans deux précédents articles les cas du courant du Futur, du Parti socialiste progressiste et du Hezbollah. Dans le présent article, nous tentons de cerner autant que faire se peut les sources de financement du Courant patriotique libre (CPL), qui regroupe le plus grand nombre de sièges chrétiens au Parlement libanais.
Une enquête de Samir Moukheiber
Le CPL étant le parti du président de la République Michel Aoun, il est crucial de se pencher sur cette question des sources de financement, d’autant que le parti brandit son éternel slogan « taghyir wa eslah » (changement et réforme), qui implique une certaine démarcation vis-à-vis des autres formations politiques du pays quant à l’exigence de transparence dans la vie politique. Mais alors comment ce parti, qui a joui durant de longues années d’une importante présence sur la scène chrétienne, a-t-il pu prendre en charge les dépenses parfois lourdes qui s’imposent au quotidien (meetings politiques, personnel, chauffeurs etc.) ? Une source exerçant des fonctions politiques au sein du CPL répond à Ici Beyrouth que le parti est essentiellement financé par des donations de particuliers locaux et émigrés, principalement de richissimes banquiers et hommes d’affaires libanais (M.S., N.S., G.B et S.S).
Versement de cotisation
Une autre façon de financer le parti, commune par ailleurs à la quasi-totalité des partis libanais, est une pratique électorale courante consistant à faire payer aux candidats à la députation leur place sur la liste du parti aouniste. Ainsi, les candidats, qu’ils soient des personnalités extérieures ou même des cadres traditionnels du parti, doivent verser une cotisation qui varie en fonction de leurs apports potentiels. Selon cette même source, le « prix » de l’un de ces sièges a atteint 4 millions de dollars aux dernières élections législatives de 2018… et le candidat fortuné, au strict sens matériel, avait eu moins de chance en politique puisqu’il n’avait, en fin de compte, pas remporté les élections.
Cette pratique est compréhensible lorsqu’il est question d’une contribution fixe et juste du candidat aux frais globaux de la campagne. Néanmoins, elle est moins défendable lorsqu’elle consiste, à la manière d’un investissement, à emmagasiner des fonds qui vont au-delà de la campagne électorale et visent à faire vivre durablement le parti.
« D’abord le chef, puis le parti »
Selon une source du CPL ayant requis l’anonymat, il y a une séparation à faire entre le financement du parti et celui de son chef Gebran Bassil. Ce que reproche notre source à son leader est le fait que la part du lion, au niveau des sommes obtenues, revient au leader du parti, tandis que l’autre, moins copieuse, est versée à la formation. Selon une autre source, tel aurait été le cas concernant certains contrats publics dans les secteurs de l’électricité et des télécommunications, marchés à la suite desquels les parts du gâteau auraient été divisées entre le CPL et d’autres partis politiques sunnites et chiites. Si ces affirmations ne peuvent être concrètement confirmées, il convient de rappeler que le leader du CPL a été sanctionné l’année dernière par le département américain du Trésor pour son « implication directe ou indirecte dans des actes de corruption » dans le cadre du Magnitsky Act.
Il reste que ces pratiques ne sont pas l’apanage ou le monopole du CPL. Elles sont également perceptibles au niveau de nombre de formations politiques, ce qui renforce le caractère très nébuleux du financement des partis au Liban. Concernant le parti aouniste, la seule information qui, par le passé, a pu fuiter est la révélation du Canard Enchaîné qui affichait, à la une de son édition du 3 janvier 1990, que celui qui était encore connu sous le nom de « général Aoun » possédait à l’époque 15 millions de dollars sur un compte personnel parisien à la BNP.
Prochain article : Les Forces Libanaises et le parti Kataëb
* Il n’y a pas forcément de liens de corruption dans les informations présentées tout le long de cet article, et c’est à la justice d’établir ou pas la présence de ce type d’infractions.