Ce que l’on peut désormais appeler « l’affaire du convoi de Barkhane », où des militaires français ont été bloqués au Burkina puis au Niger par la population, est un révélateur de la situation sécuritaire dramatique qui prévaut dans le Sahel. Au Niger, les manifestants, qui s’en sont pris à la France, ont tenté de s’emparer du camion dans l’ouest du pays. Les soldats français ont fait usage de la force. Résultat: trois morts et onze blessés graves
C’est la première fois, en bientôt neuf années de guerre, que la France est confrontée à une telle hostilité de la part des populations, qu’elles soient sous l’influence des groupes armés ou pas.
Il ne sert à rien d’essayer de se cacher le soleil avec la main. La poursuite des opérations de l’armée française au Sahel risque de s’avérer de plus en plus compliquée, voire impossible…
Jusque-là tout va bien…
Depuis 2013, date du début de l’intervention française au Mali, à intervalles très réguliers, des transports logistiques : de matériels, de vivres, de munitions, arrivent au port d’Abidjan et sont ensuite convoyés par la route jusqu’à la Gao où se trouve l’épicentre de l’opération Barkhane. Cette armada de camions composée de poids lourds civils escortés par des militaires circule également dans l’autre sens et plus encore aujourd’hui après la fermeture des bases de Tessalit, de Kidal et bientôt celle de Tombouctou. A vol d’oiseau, ce trajet est de 1200 km, mais par la route, il faut en parcourir plus de 2000, traverser une grande partie de la Côte d’Ivoire, du Burkina Faso, faire un détour par Niamey au Niger pour atteindre l’objectif final.
Jusqu’à lors, tous ces convois avaient traversé ces pays sans encombres, à l’exception toutefois de la Côte d’Ivoire où depuis la guerre de 2011, une partie de la population garde de lourds ressentiments envers la France et son armée. Néanmoins cela n’avait jamais été plus loin que quelques quolibets lancés lors du passage des camions.
Le point de bascule
Mais en ce mois de novembre 2021, la situation a totalement dérapé. Parti le 14 novembre d’Abidjan, le convoi a été ralenti une première fois lors de la traversée de Bobo Dioulasso, puis une deuxième fois à Ouagadougou au Burkina.
Mais c’est arrivant à Kaya, toujours au Burkina, que la situation s’est réellement envenimée. Des manifestants ont bloqué les 90 camions aux cris de « France dégage ». Ils ont érigé des barrages, jeté des pierres, tenté d’ouvrir les containers. L’armée française a patienté, se gardant bien de réagir pour ne pas jeter de l’huile sur le feu et a réussi à se replier dans l’enceinte d’une entreprise minière. Toutefois, lors des assauts des manifestants contre cette emprise, des tirs de sommations ont eu lieu et quatre personnes ont été blessées. Plus d’une semaine plus tard, le flou persiste quant à savoir qui de l’armée française ou des forces burkinabès a tiré…
Forts de leurs succès largement médiatisés par les réseaux sociaux, des renforts sont venus grossir les rangs des protestataires et ce d’autant que des notables de la région leur ont fourni de l’argent, des vivres, du thé afin de tenir le siège.
Cette situation surréaliste a duré jusqu’au 26 novembre. Il aura donc fallu huit longs jours et des négociations avec les autorités burkinabè pour que l’armada reprenne sa route.
Le drame dans la région de Tillabéri
Le lendemain, le samedi 27, à Téra dans la région de Tillabéri, le convoi de Barkhane, qui voyageait cette fois sous escorte de la gendarmerie nigérienne, a été de nouveau pris à parti par des manifestants munis de pierres et de bâtons. Et, rebelote, dans cette ville il s’est produit exactement le même scénario qu’à Kaya.
Les militaires ont tiré des coups de semonce pour se désengager. Bilan, deux morts et onze blessés graves. Deux jours plus tard, un troisième homme est décédé des suites de ses blessures. A cette heure ni la France, ni les autorités nigériennes ne souhaitent endosser la paternité de ces tirs, le flou persiste. Niamey assure dans un communiqué de presse du ministre de l’Intérieur qu’une enquête est ouverte…
Les raisons de la colère
Les morts, les blessés et le déni des responsabilités ne sont évidemment pas de nature à calmer les populations au Niger, comme au Burkina Faso. Le ressentiment antifrançais dans la région n’est pas nouveau, il a toujours plus ou moins existé depuis la colonisation, mais c’est surtout avec les guerres de 2011 en Libye et en Côte d’Ivoire qu’il a pris de l’ampleur. Enfin, la dégradation sécuritaire persistante dans toute la Bande sahélo-saharienne a fini de troubler les esprits. A quoi sert la France si la situation devient de pire en pire chaque jour se demande les populations ? Toujours plus de morts, de déplacés, de réfugiés au fil des ans… En lieu et place de répondre à ces interrogations légitimes, les ministres Parly et Le Drian se défaussent et pointent du doigt la propagande et les manipulations étrangères. Des explications contreproductives car totalement inaudibles pour les Sahéliens.
Quid de l’opération Barkhane ?
Déjà sur les réseaux sociaux et les messageries privées circulent des alertes pour bloquer les prochains convois. Au Burkina Faso, le Président d’un collectif nommé Brassard Noir mobilise ses troupes : « aucun convoi français ne va traverser encore notre pays. Nous allons nous mobiliser pour que cela ne se reproduise plus jamais. » Au Niger, l’intersyndical des travailleurs demande le départ de toutes les troupes étrangères, une manifestation est prévue le 3 décembre.
Dès lors comment l’opération Barkhane pourra-t-elle reprendre ses indispensables transports logistiques ? Une autre route est possible depuis le port de Dakar en passant par la ville de Kayes au Mali pour atteindre Gao. Sauf que le trajet est plus long d’au moins 500 km, en outre, cette voie est moins sécurisée avec des risques d’IED. Reste la possibilité d’utiliser les fameux avions cargo Antonov, mais c’est une solution extrêmement onéreuse. La France peut-elle se le permettre ? La récente brouille avec Alger après les propos si peu diplomatique d’Emmanuel Macron coûte déjà fort chère. En effet, depuis le 3 octobre, l’Algérie a interdit l’accès de son espace aérien aux avions militaires français se rendant au Sahel. Ce qui rallonge le temps de transports et l’addition qui s’élèverait déjà à plusieurs millions d’euros.
Entre l’exaspération des populations devant l’échec de la lutte contre le terrorisme et les financiers de Bercy, ça doit chauffer sous les képis