Notre chroniqueur Xavier Houzel regretterait presque l’époque où les gouvernements en place tentaient d’orienter l’opinion publlque par des fausses informations. « Depuis l’arrivée de Facebook, note-t-il, la rumeur est invasive et les aventuriers de la planète nagent dans la théorie du complot
La semaine dernière a été marquée par deux évènements singuliers : la commémoration par le chef de l’État français de l’Opération Daguet, nom épinglé sur l’équipée française de la Guerre du Golfe lors de l’offensive « Tempête du désert » contre l’Irak de Saddam Hussein en 1991, et le décès du général Colin Powell, immortalisé par la fameuse vraie fausse fiole d’anthrax brandie par lui lors d’une session du Conseil de sécurité des Nations unies pour justifier l’invasion de l’Irak du 5 février 2003. Autant d’événements qui virent les pouvoirs en place user de faux semblant!
Délit de faux et d’usage de faux
Dans les deux cas, le « pouvoir » a abusé de la fausseté pour tromper. Le délit de faux et d’usage de faux en écriture de l’Histoire – plus fréquent qu’on ne l’imagine s’agissant des arrangements entre le Renseignement, la Diplomatie et le Journalisme – est passible de dix ans de prison quand il est commis par un banal serviteur de l’État. Ce péché est en revanche gommé et sa pratique est même prisée lorsque le fonctionnaire est un homme politique et devient un homme d’État, qu’il décrète la vérité, l’incarne et la fige pour l’Histoire. Le mensonge d’état n’en est alors plus un : il devient un secret d’Histoire – le plus souvent un crime, par construction impuni.
L’affaire de la capsule d’anthrax est bien connue : l’objet sautait aux yeux, il était à la fois télévisuel et parlant ; la tromperie était grosse comme une maison, cachée par le petit doigt du secrétaire d’État des États-Unis, raison pour laquelle le subterfuge avait fait mouche. L’affaire du saccage de l’ambassade de France, vingt ans auparavant, avait été plus subtile mais aussi minable ; le pouvoir s’abritait derrière la presse écrite et un grand nom : « Le Monde « !
La participation de la France à la future Guerre du Golfe allait être annoncée par le président Mitterrand après l’information donnée par la presse du saccage de l’ambassade de France au Koweït par l’armée irakienne[i] : « C’est vendredi matin 14 septembre que des soldats irakiens ont pénétré dans plusieurs missions diplomatiques occidentales à Koweït, notamment dans la résidence de l’ambassadeur de France, qu’ils ont saccagée et pillée avant d’enlever les quatre personnes qui s’y trouvaient… »
C’était faux, pas de résidence de l’ambassadeur , pas de saccage, pas de pillage ! Les lecteurs ne virent que du feu à un incident mineur peu à l’honneur d’un attaché militaire jouant à Fantômas et les barbouzes, monté en neige par Roland Dumas rentré précipitamment de Bratislava (où ce dernier accompagnait alors le président en visite officielle) pour traiter de cette affaire…d’une extrême gravité, en réalité une entourloupe comme celle du jardin de l’Observatoire[ii]. Rien n’avait changé, cela n’a fait que s’aggraver. C’est plus grave encore, de nos jours !
Le Koh-Lanta de la désinformation.
Hier au moins, l’AFP tenait son monde ; les rédactions tenaient leurs reporteurs ; mais depuis l’arrivée de Facebook, la rumeur est invasive et les aventuriers de la planète nagent dans la théorie du complot et leurs fans dans le Koh-Lanta de la désinformation. Bien malin est celui qui est encore capable de démêler le vrai du faux, le réel du fictif, le présentiel du distanciel : les téléspectateurs-électeurs sont accros de cette glisse dans toutes les directions.
Aussi, nos coryphées ont-ils choisi de numériser le trafic de l’information comme l’on codifie le mensonge, en la traitant comme une matière première, l’important étant la dose – comme pour la drogue. Sept mois avant le premier tour de l’élection présidentielle, le gouvernement a créé une agence baptisée Viginum[iii] pour surveiller le net et y débusquer les fausses informations en provenance de l’étranger. L’étranger a bon dos ! L’État entend contrer ainsi les tentatives d’ingérences numériques et la montée en puissance des réseaux sociaux dans le processus d’information et de décision.
Cette agence sera à la disposition du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie[iv] (CAPS) dans le cadre d’une relation interactive : c’est dangereux.
Le froid glacial des algorithmes
À force de trier, de filtrer, d’anatomiser, d’enluminer l’information, l’État pourrait la déshumaniser, la vider de la vie que lui donne le journaliste, priver l’arc-en-ciel de ses coloris. L’intelligence artificielle, les algorithmes, c’est pour les martiens ; c‘est d’un froid sidéral.
L’État ne réalise pas non plus qu’en s’immisçant dans la collecte et le traitement de l’information, il se tire une balle dans le pied : IL ne pourra plus manipuler ! Il ne pourra plus gouverner par les FAKE NEWS[v]. On ne pourra plus nous dire n’importe quoi sur les armes chimiques d’un tel et sur les armes atomiques d’une telle ; on ne pourra plus nous montrer en vrac cinquante mille photos des prisons syriennes sans les avoir vérifiées et sans exhiber aussi celles des prisons d’Abou Ghraib (en Irak) et de Guantanamo (à Cuba) !
Ou alors, il faudra que l’on change de supports et de règles, que l’on devienne rationnels et ennuyeux, exacts et ponctuels, inodores et sans saveur, et parfaits.
[i] https://www.lemonde.fr/archives/article/1990/09/16/le-saccage-de-la-residence-de-l-ambassadeur-de-france-au-koweit_3985563_1819218.html
[ii] https://fr.wikipedia.org/wiki/Attentat_de_l%27Observatoire
[iii] https://www.leparisien.fr/politique/en-vue-des-elections-la-france-va-creer-une-agence-anti-fake-news-de-masse-02-06-2021-PJ35XAEN4JFUREAEDFKXMZCZSY.php
[iv] https://fr.wikipedia.org/wiki/Centre_d%27analyse,_de_pr%C3%A9vision_et_de_strat%C3%A9gie
[v] Gouverner par les FAKE NEWS – Jacques Baud – conflits internationaux, 30 ans d’infox utilisées par les pays occidentaux – Max Milo, 398 pp.