Quinze individus suspectés de travailler avec le Mossad ont été arrêtés dans quatre provinces de Turquie le 7 octobre, a rapporté hier le journal turc pro gouvernemental Daily Sabah. Ce qui remet en cause la volonté du président Erdogan d’apaiser ses relations avec Tel Aviv, sous la pression notamment des Américains.
*Source : L’Orient-Le Jour
Selon le quotidien turc, ces arrestations s’inscrivent dans le cadre d’une vaste opération de surveillance menée pendant un an par 200 membres des services de renseignements turcs. Le réseau, constitué de cinq cellules chacune composée de trois membres et tous d’origine arabe, aurait secrètement récolté des informations privées sur des étudiants palestiniens et leurs conditions de vie en Turquie ainsi que sur des étudiants étrangers, « surtout ceux qui pourraient travailler dans l’industrie de la défense dans le futur », indique l’article.
Les agents présumés auraient ensuite envoyé ces dossiers à des responsables du Mossad via des plateformes cryptées en ligne, à l’instar de Protonmail et SafeUM, qui permet de générer de faux numéros de téléphone. D’abord publiées sur le site du Daily Sabah, les photos floutées de trois membres – dont des Palestiniens – de ce réseau ont été supprimées dans la journée pour ne laisser apparaître que leurs initiales. Le principal membre du groupe, désigné par ses initiales A.B., serait entré en Turquie en 2015 et aurait reçu la somme de 10 000 dollars cette année pour ses activités avec les renseignements israéliens. Les deux autres membres dont les photos avaient été révélées, appelés R.A.A et M.A.S dans l’article, auraient voyagé respectivement à Zagreb et à Zurich pour rencontrer des agents du Mossad. Les trois individus étaient signalés comme disparus auprès des autorités turques depuis ces derniers mois « dans le but d’induire les forces de sécurité en erreur », avance le journal. Certains paiements du Mossad aux quinze individus auraient été effectués à travers Western Union ou Moneygram, tandis que d’autres auraient été réalisés en Bitcoin ou en ayant recours à des courtiers tels que des magasins de bijoux ou des marchés, affirme le Daily Sabah. Les suspects ont été interrogés le 19 octobre et ont été inculpés pour « espionnage international ». Ils ont été déférés au tribunal d’instance d’Istanbul, qui a ordonné leur détention en attendant l’enquête.
« Potentiel de coopération »
Ces révélations interviennent à un moment où la Turquie, isolée sur le plan diplomatique au cours de ces dernières années en raison de son aventurisme dans la région, tente d’apaiser ses relations avec l’État hébreu, encouragée par l’administration américaine de Joe Biden et la normalisation entre certains pays arabes et Israël en 2020. En mai dernier, Ankara avait néanmoins fermement condamné les attaques israéliennes contre les Palestiniens à Jérusalem lors des violents heurts sur l’esplanade des Mosquées, faisant des centaines de blessés. « Nous lançons un appel au monde musulman : il est temps de dire stop aux attaques lâches et tyranniques d’Israël (…) Que l’enfer brûle pour les tyrans ! » avait alors écrit sur Twitter le directeur de la communication de la présidence turque, Fahrettin Altun.
Deux mois plus tard, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, qui avait qualifié Israël d’État « terroriste cruel », avait toutefois félicité son homologue israélien, Yitzhak Herzog, pour son investiture au cours d’un rare appel téléphonique. Selon un communiqué de la présidence turque, Recep Tayyip Erdogan avait alors mis en avant l’« importance » de la relation entre les deux pays pour la sécurité au Moyen-Orient et avait souligné leur « fort potentiel de coopération dans divers domaines, en particulier l’énergie, le tourisme et la technologie ». Il avait également indiqué que « les mesures positives qui seront prises pour résoudre le conflit israélo-palestinien contribueront à l’amélioration des relations turco-israéliennes ». Un appel qui avait eu lieu deux jours après la visite du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, à Istanbul, lors de laquelle il avait rencontré le reïs turc – qui se veut un fervent défenseur de la cause palestinienne. Ce dernier avait notamment multiplié les remarques cinglantes à l’égard des autorités israéliennes en 2018 suite à la mort de dizaines de Palestiniens à la frontière entre Israël et la bande de Gaza lors des manifestations contre la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par Washington, provoquant ensuite une crise diplomatique entre l’État hébreu et Ankara. Les liens de la Turquie avec le Hamas, considéré comme une organisation terroriste par Washington et l’État hébreu et qui contrôle la bande de Gaza, sont également vus d’un mauvais œil par Israël. Selon des officiels israéliens cités par le quotidien britannique The Telegraph en 2019, le Hamas, qui dispose d’un bureau de représentation en Turquie, serait autorisé à planifier des attaques contre l’État hébreu depuis le territoire turc, en dépit de l’interdiction depuis 2016 d’y mener des activités non politiques.