Il est l’enfant terrible des élections béninoises. Classé très loin derrière les candidats fortunés qui, cette année, caracolent en tête des courses pour l’accès au fauteuil présidentiel, Bertin Koovi n’est pourtant pas du genre à douter. « Je serai le président, c’est ainsi » assure-t-il, droit dans les yeux, en tenue traditionnelle, enfoncé dans le canapé gris simili cuir de sa chambre d’hôtel à Cotonou. « Les autres candidats là ? Non. Il ne peuvent rien contre ça ».
« Ca », c’est une certitude mystique. Une prophétie autoréalisatrice bâtie à coup d’incantations par cet économiste de formation, spécialisé en psychologie de la communication. Initié, comme il aime le répéter, au christianisme, à l’islam et au culte vaudou encore très largement pratiqué au Bénin, sa terre d’origine, Bertin Koovi a fait du monde invisible son principal cheval de bataille contre ses 32 rivaux en lice pour les présidentielles du 6 mars. A grands renforts de caméras, c’est devant la tombe du père de l’indépendance du Bénin, Hubert Maga, qu’il a annoncé sa candidature en y déposant une copie de son programme.
« La peur du gendarme »
Depuis, ses propositions audacieuses pétries de référence aux âmes des ancêtres continuent de nourrir son image d’ovni politique. Pour lutter contre la corruption après dix années marquées par la mauvaise gouvernance du règne de Thomas Boni Yayi, Bertin Koovi suggère que les ministres prêtent serment sur les divinités, la Bible ou le Coran selon leur croyance. « Que la foudre me tue ! » Voilà ce qu’ils doivent asséner. « Ainsi la peur de la mort, assure-t-il, les dissuadera de voler. La sagesse vient avec la peur du gendarme ».
Raillé comme un extravagant agitateur par ses adversaires, l’homme qui a pris pour symbole de sa formation politique l’Iroko, arbre sacré de la tradition béninoise, reste de marbre. « Je passe pour le bouffon de la campagne mais ils ont tort ». Ancré dans toutes les strates sociales du pays y compris dans le domaine politique, les croyances vaudou restent un tabou chez les candidats. « Tous vont voir le féticheur la nuit pour demander ce qu’il faut faire pour gagner les élections mais personne ne l’assume publiquement. C’est mal vu de l’Occident » estime un homme politique béninois qui requiert l’anonymat. Pas de quoi dissuader Bertin Koovi pour autant. Habité par un savant mélange d’ambition politique et de spiritualité, le candidat a su s’imposer avec succès dans les milieux politiques ouest africains.
« Psychologie de la communication »
Repéré à Cotonou par le breton Michel Le Cornec, intrigant mastodonte des réseaux de la « Françafrique » installé sur le continent depuis les années 1960, Bertin Koovi fait la connaissance, grâce à lui, du président congolais Denis Sassou Nguesso. Une rencontre organisée à Brazzaville dans les années 1990, et que le jeune béninois âgé alors de 26 ans vit comme un « adoubement spirituel ». « Depuis ce jour, c’est-à-dire depuis près de 20 ans, je me prépare à devenir président » affirme-t-il.
En 1997, lorsque Denis Sassou Nguesso revient au pouvoir par la force, Bertin Koovi se charge de mobiliser la jeunesse congolaise en faveur de son mentor. Au contact de la nébuleuse de lobbyistes, dont Jacques Attali, qui conseillent alors le chef de l’Etat congolais, il s’initie aux subtilités de la « psychologie de la communication ».
Des enseignements qui lui ouvrent les portes du pouvoir en Guinée équatoriale où il devient conseiller à l’image du président Teodoro Obiang. Chargé de faire reconnaître son leadership à l’étranger, Bertin Koovi multiplie les cérémonies « honoris causa » et fait le tour des universités pour vanter les mérites du régime guinéen. Son dévouement lui vaut la confiance du président. « Je suis comme le fou du roi » lâche-t-il dans un sourire. « Je peux lui dire tout ce qui ne va pas. » De précieux conseils dont il honorera d’autres personnalités politiques africaines parmi lesquelles l’ex président togolais Eyadema père ainsi que l’actuel président de l’assemblée béninoise, Adrien Houngbédji. Le tout, dans le respect des préceptes évangélistes et vaudou dont il se revendique.
Ne plus copier l’Occident
Personnage atypique, « farfelu » aux yeux de nombreux candidats, Bertin Koovi incarne les tensions qui traversent la société béninoise entrée de plein fouet dans la mondialisation et profondément travaillée par ses relations avec la France. En prônant une économie de production locale destinée à remplacer le « tout-coton qui aliène le pays », le candidat prétend dénoncer les méfaits de la dépendance du Bénin vis-à-vis de l’extérieur alors que la campagne électorale est dominée par des hommes d’affaires et un ex banquier, Lionel Zinsou, connu pour sa proximité avec les élites politiques françaises. Face à « cet homme qui ne connaît rien au pays qu’il prétend diriger », Bertin Koovi oppose sa maitrise des 9 langues nationales principales. « Même s’il ne pèse pas lourd dans la campagne, ses idées en faveur d’un retour à un certain nombre de valeurs traditionnelles sont partagées par plusieurs candidats et de nombreux béninois. Sa candidature est un bon thermomètre de l’état actuel de défiance vis-à-vis du modèle occidental », analyse un universitaire spécialiste de l’Afrique de l’Ouest.
Une défiance que Bertin Koovi exprime également à travers son rejet du franc CFA qu’il dénonce comme « une chance pour les prédateurs financiers » et « la raison de l’appauvrissement du paysan béninois » à cause de « sa valeur artificiellement élevée ». Une attaque directe contre Lionel Zinsou qui vante depuis longtemps les mérites du franc CFA en tant qu’instrument de compétitivité. « On ne peut plus passer notre temps à copier purement et simplement le modèle occidental » poursuit celui qui préconise par ailleurs l’enseignement à l’école des « valeurs du culte vaudou ». « La droiture, le courage, le sens du service. Et même la préservation de la nature, l’écologie ! Trop de choses qui se sont délitées dans notre pays » regrette Bertin Koovi. « Un Dupont-Aignan sauce béninoise » s’amuse un journaliste. La magie en plus.