Dix-sept jours après le « coup de force constitutionnel » de Kais Saied, il n’y a toujours pas de gouvernement, ni de feuille de route claire.
Un entretien avec Hamma Hammami, leader de la gauche tunisienne
En Tunisie, le 25 juillet est date de la fête de la République et devenue depuis 2013, date de commémoration de l’anniversaire de l’assassinat du martyr Mohamed Brahmi, coordinateur général du Mouvement du Peuple orchestré par des islamistes extrémistes.
Le pays passe par une crise sanitaire sans précédent, liée au Covid§19. On dénombre plus de vingt et un mille morts.
Pendant ce temps-là, chef du gouvernement, chef du Parlement et Président de la République se disputent le pouvoir.
Et c’est ce dernier qui l’emportera, en organisant un putsch constitutionnel à l’aide de l’article 80, ce qui lui a permis de geler les activités du Parlement, limoger le gouvernement et surtout de concentrer tous les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire entre ses mains.
1/ Le 23 juillet, votre parti a publié un communiqué où il avait appelé à boycotter les appels à manifester contre le gouvernement, aux côtés d’une partie de l’opposition et plus précisément, le Haut Conseil de la Jeunesse. Pourriez-vous nous expliquer cette prise de position, dans un climat sanitaire plus que critique ?
Notre communiqué du 23 juillet avait pour objectif d’expliquer pourquoi on n’avait pas lancé d’appels à la participation à ce mouvement dit du 25 juillet. En effet, la multiplication des appels à la mobilisation n’avait pas pour origine des forces connues de l’opposition avec laquelle nous partagions la même lecture de la situation et nous avions l’habitude de coordonner dans de pareilles situations ; mais ces appels émanaient pour l’essentiel de forces occultes, sans présence matérielle sur le terrain, sans nom même. Et même si elles en avaient un, comme c’est le cas dudit Conseil Supérieur de la Jeunesse, nous ne pouvions partager les mots d’ordre qu’il lançait pour leur caractère archi-réactionnaire pour ne pas dire autre chose. Voilà ce qui expliquait nos réserves quant à ce mouvement. Ce qui se passera le soir du 25 confirme nos appréhensions quant à la manipulation d’une partie des manifestants. La préoccupation sanitaire était présente mais pas décisive dans notre position.
2/ Comment expliquez la mauvaise gestion de la crise du Covid-19 par le gouvernement Mechichi, alors que durant la première vague, la Tunisie avait enregistré un nombre de décès parmi les plus faibles au niveau local mais aussi mondial, alors que la France, à titre d’exemple, avait été ravagé par la pandémie ?
Effectivement, la gestion de la crise sanitaire de la part du gouvernement de Mechichi était catastrophique, car depuis son arrivée à la tête du gouvernement, ses préoccupations étaient autres. Il avait cherché essentiellement à se maintenir ; et pour cela il devait se ranger : ou bien derrière le Président de la République qui l’avait désigné à ce poste, contre toutes attentes, donc qui a mis sa confiance en lui pour le soutenir dans cette lutte à outrance qui l’opposait au parlement dominé par Ennahdha et ses alliés, ou bien derrière ses derniers qui pourraient l’aider à s’installer confortablement contre services rendus.
Et au lieu d’œuvrer à débloquer la situation institutionnelle qui prévalait, et en se jetant complètement dans les bras d’Ennahdha, Mechichi est devenu un élément supplémentaire de ce blocage. Par conséquent, la situation socio-économique du pays, les revendications de couches de plus en plus larges du peuple, la situation sanitaire alarmante, étaient sa dernière préoccupation. Voilà ce qui a fait que son départ immédiat et celui de son gouvernement est devenu une revendication pressante du peuple et de la quasi-totalité des forces sociales et politiques.
3/ La Tunisie a connu une série de crises politiques depuis la chute du dictateur Ben Ali. En plus d’une crise sanitaire, une crise sociale et une économique, cela s’achève par un coup d’état militaire orchestré par le président de la République actuel, Kais Saïd, avec le soutien et cela n’est pas nouveau, de forces étrangères. Quelle est la position de votre parti par rapport à cet événement ?
Chacun des gouvernements qui se sont succédé depuis la fuite de Ben Ali a pris sa part dans le pourrissement de la situation dans le pays, à tous les niveaux, car comme on l’avait toujours répété, l’inachèvement du processus révolutionnaire déclenché le 17 décembre 2010 a permis à la bourgeoisie compradore au pouvoir de réorganiser ses rangs au plus vite et de continuer à régner avec les mêmes politiques du régime déchu. A part les acquis relatifs aux libertés, rien n’a changé, au contraire tous les maux desquels souffraient le pays et le peuple se sont accentués ; d’autres plus graves encore s’y sont ajoutés.
A propos des mesures prises par le Président de la République dans la soirée du 25 juillet, nous avons considéré qu’il s’agit d’un nouvel épisode de la lutte entre les composantes du pouvoir et qui oppose depuis la nomination de Mechichi le président de la République d’un côté et les présidents du parlement et du gouvernement (bien sûr les forces qu’ils représentent) de l’autre. Et nous avions expliqué depuis longtemps que cette lutte tourne autour des prérogatives et qu’elle n’a aucun rapport avec les revendications populaires ni avec les conditions de vie du peuple.
Voilà pourquoi nous avons jugé qu’il ne s’agit pas de s’aligner derrière une partie ou une autre, mais qu’il s’agit d’ouvrir une troisième voie autonome qui ne tiendrait compte que des intérêts du pays et des couches populaires, surtout quand on sait le poids des interventions étrangères dans tout ce qui se passe dans le pays.
4/ Au des déclarations de votre parti, vous vous êtes mis sur le dos une bonne partie de la population. On parle d’une désolidarisassions totale vis à vis du PTT, de campagnes de dénigrement. Pire encore, d’accusations de soutien au parti islamiste Ennahda. A ce propos, ce n’est pas la première fois dans l’histoire de la Tunisie qu’on vous porte les mêmes accusations. Qu’en pensez-vous ?
Notre refus de s’aligner sur les positions du Président est critiqué par diverses forces, mais le bien fondé des arguments des uns et des autres est très varié. Et ces critiques sont accompagnées d’une campagne de désinformation et de calomnie. En effet certains ont essayé de répandre l’idée que le fait de ne pas être du côté de Kais Saied, c’est soutenir Ennahdha. Pourtant nos multiples déclarations écrites ou verbales affirmaient le contraire et prenaient Ennahdha pour responsable du pourrissement de la situation.
Dans notre déclaration du 26 juillet, on lit : « … Ceci exige d’abord de déterminer les responsabilités, notamment celle d’Ennahdha qui a entraîné le pays dans un désastre économique et financier, aggravé la dette et la dépendance de la Tunisie. Ennahdha a aussi favorisé la corruption, le terrorisme et les assassinats politiques, et a sapé les piliers de la vie des Tunisiennes et des Tunisiens. »
5/ Votre parti politique avait lancé une initiative avant-gardiste, si on pourrait l’appeler comme ça, en 2013 avec le parti « El Watad » et d’autres partis d’extrême gauche, des nationalistes panarabes ainsi que des indépendant(e)s pour former le Front Populaire. Vous étiez, ainsi qu’une partie de vos camarades sous la menace terroriste. Et deux de vos camarades ont été assassinés. Chokri Belaïd, dirigeant du Parti Unifié des Patriotes Démocrates, le 6 février 2013 en face de chez lui et quelques mois après, Mohamed Brahmi, coordinateur général du Mouvement du Peuple, le 25 juillet 2013, jour de la fête de la République. Des membres du parti islamiste au pouvoir Ennahda, ont été remis en cause dans ces deux assassinats, ainsi que dans les assassinats de Bel Mefti, Ajlani, des membres de la sécurité nationale et des militaires. Cela dit, la justice tunisienne n’a toujours pas désigné les commanditaires de ces actes terroristes, ni puni celles où ceux-ci. Comment expliquez-vous cela ?
Cela a une seule explication : l’instrumentalisation de la justice par les forces au pouvoir et surtout par le parti Ennahdha. Tout le monde sait que le passage de Noureddine Bhiri, haut responsable d’Ennahdha par le ministère de la justice dans le gouvernement de la Troïka, à une époque où des milliers de dossiers étaient ouverts, a eu un effet catastrophique : limogeage de juges, chantage avec d’autres… ce qui a permis à ce parti de mettre la main sur l’ensemble de l’institution judiciaire. Le rapport relatif au sinistre juge Béchir Akremi présenté par l’inspection générale du Ministère de la Justice, les innombrables pièces à conviction présentées par le « Comité des Défense des Martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi » sont autant de preuves que la justice est encore instrumentalisée au profit de ce parti invoqué dans les actes terroristes et dans les assassinats. Et la revendication de dévoiler la vérité, toute la véritédans ces dossiers est toujours pressante et urgente.
6/ Quelles sont les propositions de votre parti pour sauver la révolution tunisienne et sortir le pays de cette crise ? Et quel(le)s seraient vos éventuel(le)s allié(e)s ?
Face à la situation actuelle, nous réitérons notre conviction que le changement voulu ne peut se réaliser par l’alignement derrière l’une ou l’autre des composantes du système et qu’il s’agit pour les forces démocratiques d’ouvrir une voie autonome par rapport aux uns et aux autres. Seul le peuple tunisien est en mesure d’accomplir ce changement, en vue d’édifier une démocratie populaire, dans le cadre d’un état civil, où le pouvoir sera réellement entre les mains du peuple. Démocratie basée sur le respect de la souveraineté du pays, sur ses richesses et ses décisions politiques, sur la justice sociale et l’égalité entre les citoyennes et les citoyens.
Voilà pourquoi, nous nous adressons à l’ensemble des forces démocratiques et progressistes, partis, associations, personnalités à se retrouver en urgence pour définir des modalités de concertation, afin d’élaborer une vision commune pour faire face à ces évolutions et barrer la route devant un retour éventuel à la situation d’avant le 25 juillet 2021 avec l’hégémonie d’Ennahdha ou à la situation d’avant le 14 janvier 2011 et fermer « la parenthèse » du processus révolutionnaire.
Dix-sept jours après le « coup de force constitutionnel » de Kais Saied, et toujours pas de gouvernement, ni de feuille de route.
Les horizons restent flous
me nicolas Beau qualifie hamma hammami de « leader de la gauche »…..helas cela n’est plus le cas depuis belle lurette….son parti est parti en miettes et il est fortement decrie