Face au coup d’État du président tunisien, Kaïs Saied, le mouvement islamiste Ennahdha, au coeur du pouvoir depuis dix ans en Tunisie mais dans le collimateur du nouveau maitre de Tunis, n’a pas appelé ses partisans à descendre dans la rue. Une posture attentiste qui lui est dictée par les États-Unis, inquiets de la dérive autoritaire du pays, et par le Qatar, l’allié constant d’Ennahdha depuis le début du printemps arabe en 2011.
Dans les rangs d’Ennahda, le ton a changé depuis la journée de dimanche qui a vu le président Kaïs Saiëd interdire l’entrée du Parlement à son président, Rached Ghannouchi, le leader historique des islamistes tunisiens. Après avoir qualifié de coup d’État la décision du chef de l’Etat de démissionner le gouvernement et de concentrer tous les pouvoirs, les dirigeants islamistes accusent le coup. Ils se disent désormais ouverts au dialogue et décidés de se conformer à « la volonté du peuple ». Pourquoi pas des élections anticipées, propose Rached Ghannouchi dans un entretien avec « Jeune Afrique » où il met en garde contre « le retour des vieux démons ».Les islamistes ultimes gardiens d’une République parlementaire contre la tentation d’un pouvoir fort, voici le paradoxe politique de dix années d’un processus démocratique inachevé.
Ce légalisme du mouvement Ennhadha n’est pas nouveau. Lors de la crise sévère que la Tunisie avait connu en 2013 lorsque des voix se faisaient entendre pour interdire le mouvement Ennahdha qui dirigeait alors le gouvernement, Rached Ghannouchi avait, de la même façon qu’aujourd’hui, manifesté une volonté de compromis en décidant de lâcher les commandes gouvernementales et de céder la place à une équipe de technocrates. Dans la foulée, le mouvement islamiste avait totalement revu la copie du projet de constitution en retranchant tous les articles qui dans une première mouture, faisaient référence à l’Islam, religion de l’État.
Enfin après l’élection un an plus tard de Bejo Caïd Essebsi à la Présidence de la République, sur la base d’un programme hostile à l’Islam politique, Ghannouchi lui avait tendu la main et avait réussi à faire nommer quelques uns de ses partisans à des postes ministériels, en parvenant ainsi à participer encore au pouvoir dans une alliance improbable. Et au prix d’une paralysie gouvernementale, les principales forces politiques tunisiennes se neutralisant depuis des années.
« La voix de la sagesse »
Il semble qu’en jouant l’apaisement, Rached Ghannouchi soit en phase avec le Qatar qui l’a toujours soutenu et finacé depuis le début du printemps arabe. Les autorités de Doha affirment en effet ce lundi 26 juillet « suivre les évolutions de la crise politique en Tunisie », appelant toutes les parties « à faire transcender l’intérêt du peuple tunisien frère, à faire prévaloir la voix de la sagesse, et à éviter l’escalade et ses répercussions sur le processus de la Tunisie, et son expérience ayant fait l’objet du respect de l’environnement régional et international ».
Le ministère des Affaires étrangères qatari s’est fait l’écho, dans un communiqué dont une copie est parvenue à Gnetnews, de l’espoir de l’Etat du Qatar que « les parties tunisiennes emprunteront la voie du dialogue pour surmonter la crise, consacrer les attributs de l’Etat des institutions, et consacrer la force de la loi en Tunisie ».
Il semble que les Américains qui ont envoyé une mise en garde très nette au président tunisien, en provoquant l’irritation de sites d’information favorables au coup de force, ait donné le même conseil de modération aux islamistes. Ces derniers sont tentés de suivre ces recommandations.
L’isolement d’Ennahdha
Sur l’échiquier politique tunisien, les islamistes ont perdu une partie du capital qu’ils possédaient depuis le départ de Ben Ali en 2011 et sont relativement isolés. Le mouvement Qalb Tounes, qui fut ces dernières années l’allié principal du mouvement Ennahda au sein du parlement tunisien, a fait volte-face. Ses dirigeants ont salué la prise de pouvoir de Kais Saied dans un retournement de veste spectaculaire. Plus significatif, la centrale syndicale UGTT, l’interlocuteur incontournable des régimes successifs de Bourguoba à Ben Ali, a, quant à elle, apporté son soutien au président de la République, sous réserve de garanties constitutionnelles. Enfin, en guerre ouverte contre les islamistes, la leader du Parti Destourien Libre (PDL), à la tête des intentions de vote, Abir Moussi affirme soutenir toute approche pour répondre aux attentes des Tunisiens.
Pour combien de temps la voix de l’apaisement sera entendue? C’est sans doute dans l’immédiat la question essentielle qu’on se pose à Tunis dans la crainte d’affrontements possibles.
Ce 14 janvier 2011 qui ébranla la Tunisie