Conforté par son passage en force pour imposer sa nouvelle Constitution, Sassou Nguesso, qui cumule déjà 32 années au pouvoir, a été investi lundi 25 janvier candidat du Parti congolais du travail (PCT) pour la présidentielle anticipée du 20 mars 2016. Pour le porte-parole du mouvement citoyen congolais « Ras-le-bol », Me Brice Mzamba, les opposants à Sassou, jusqu’ici divisés et inefficaces, ont encore une carte à jouer pour empêcher la présidence à vie au Congo-Brazzaville.
Mondafrique. L’opposition congolaise avait fait la promesse d’empêcher le président Denis Sassou Nguesso de tenir le référendum constitutionnel du 25 octobre. Elle n’y est finalement pas parvenue. Comment l’expliquez-vous ?
Me Brice Mzamba. A vrai dire, l’opposition a manqué de stratégie. Le peule congolais était, quant à lui, totalement mobilisé pour le succès de la mobilisation contre le référendum. Cette forte adhésion populaire s’est manifestée à travers la réussite exceptionnelle du meeting de septembre 2015 contre le référendum. On était d’autant plus surpris qu’habituellement l’opposition ne réussit pas à mobiliser des foules. Au lieu de maintenir cette dynamique, les opposants au président Sassou ont multiplié les erreurs stratégiques. Par exemple, ils pensaient qu’il suffisait de dire que le 20 octobre il y aurait une désobéissance civile pour que les jeux soient faits. On ne met pas sa stratégie de lutte sur la place publique. Il aurait fallu définir une feuille de route puis la mettre en œuvre. Ce ne fut pas le cas.
Regardons ce qui s’est passé lors de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 au Burkina Faso : l’opposition et la société civile n’ont jamais dit que tel jour ils allaient faire tomber Blaise Compaoré ; ils ont entouré du sceau du secret leur stratégie pour pouvoir jouer sur l’effet de surprise. Par ailleurs, on a perçu très vite sur le terrain, l’absence de coordination entre les opposants. Résultat, les quartiers nord n’ont pas bougé alors que dans les quartiers sud les gens étaient mobilisés de Pointe-Noire à Bas-Congo (NDLR : quartier de Brazzaville). Il aurait fallu que cette mobilisation aille crescendo jusqu’au 25 octobre. Globalement, il est ressorti de la démarche de l’opposition un sentiment d’impréparation.
C’est d’ailleurs pour cela qu’il n’y pas eu de tentative de changer de fusil d’épaule lorsqu’elle s’est aperçue que sa stratégie initiale ne fonctionnait pas. Et pour ne rien arranger, il y a eu cette sortie malheureuse de Hollande dans laquelle il avait dit le 21 octobre que le président Sassou avait le droit de consulter son peuple. Il n’en a pas fallu plus pour démobiliser des pans entiers de l’opposition congolaise. C’est, pour moi, la preuve évidente qu’il ya hélas encore une influence morale et psychologique de l’ancienne puissance coloniale dans le débat politique interne congolais. J’ai reçu des jeunes qui étaient sur le terrain des informations sur les difficultés à mobiliser après les propos de Hollande. Or, comme le montre si bien l’exemple du Burkina Faso, le plus déterminant dans la lutte, c’est le rapport de force interne et non ce que pense l’Elysée ou le Quai d’Orsay.
M. L’étape du référendum franchi, Sassou a mis le cap sur la présidentielle anticipée, visiblement sans difficulté. En vérité, l’absence d’un vrai leadership dans les rangs de l’opposition n’est-elle pas son tendon d’Achille ?
B.M. Ce n’est pas un facteur déterminant, de mon point de vue. En tout cas, il ne suffit pas à expliquer ses différents échecs. La population congolaise étant prête à assumer toute sa part dans la lutte, il restait aux opposants à canaliser les énergies en mobilisant chacun ses militants. Le leadership de la lutte pouvait être assumé par le Front républicain pour le respect de l’ordre constitutionnel et l’alternance démocratique (FROCAD) et l’Initiative pour la démocratie au Congo (IDC). Il n’en fallait pas bien plus.
M. Après sa défaite dans le bras de fer sur le référendum et alors que la présidentielle anticipée approche à grands pas, l’opposition a-t-elle encore une carte à jouer face à Sassou?
B.M. On ne peut pas dire que tout est perdu et qu’il faut baisser désormais le bras et laisser Sassou installer la présidence à vie au Congo. Il y a encore une possibilité de rebondir pour les opposants. Car l’alternance démocratique se désire, elle a un prix qu’il faut payer comme au Burkina Faso. Il faut donc considérer les 21 et 22 octobre comme une bataille qu’on a perdue et non comme une guerre perdue.
Quand on a pour adversaire, un régime comme celui de Sassou Nguesso, il faut intégrer des erreurs de stratégie et pouvoir les rectifier aussitôt. Il faut en tirer les leçons : qu’est-ce qui n’a pas marché ? Pourquoi ça n’a pas marché ? Comment procéder pour repartir du bon pied ? Ce bilan aurait dû être fait dès les premiers jours qui ont suivi la tenue du référendum. On avait encore la flamme d’une jeunesse congolaise prête à en découdre. Au lieu de cela, les opposants ont envoyé des signaux de démobilisation. Ils ont effet ajourné les dates des manifestations d’abord en prétextant qu’il faillait rendre hommage aux morts puis en invoquant la possibilité d’un dialogue avec le pouvoir.
Les jeunes étaient totalement déboussolés par ces atermoiements. En tant que porte-parole du mouvement citoyen « Ras-le-bol », des jeunes me faisaient remonter du terrain des informations qui confirmaient clairement leur désarroi. Ils se demandaient à quel moment la lutte allait reprendre. Et pour ajouter à la confusion, il y a eu à la même période la démission de Paul-Marie Mpouélé, le porte-parole du FROCAD sur fond de rumeurs de corruption. Il y a également eu les déclarations d’un soi-disant représentant de l’IDC appelant à la tenue d’un dialogue avec Sassou. Je réaffirme que l’opposition a une grande part de responsabilité dans l’échec de la mobilisation.
L’histoire récente du Congo a été écrite avec du sang, on en a suffisamment perdu. Donc, quand on s’engage dans une épreuve de force dans laquelle des gens risquent leurs vies, il faut au moins s’assurer d’avoir des stratégies de rechange. Et sur ce plan, je dois reconnaître avec amertume que l’opposition a fait preuve de légèreté.
- A la décharge de l’opposition, certains disent qu’elle a fait preuve d’intelligence en évitant de verser le sang des Congolais dans une confrontation directe avec Sassou. Cet argument vous parait-il recevable?
B.M. Au niveau du mouvement citoyen « Ras-le-bol », nous sommes persuadés qu’il n’y a de liberté que dans la lutte. Je ne suis pas du tout fataliste. Rien, absolument rien n’est perdu dans la lutte pour la défense de la démocratie et de l’alternance au Congo. A condition que l’opposition s’organise mieux et qu’elle évite de répéter les mêmes erreurs. Je suis toujours surpris de constater que les opposants n’ont pas compris, ou feignent de n’avoir pas compris, la vraie nature du régime de Sassou. En vérité, on a affaire à un régime dictatorial, avec une base militaire reposant sur la force brutale. Dans ce contexte-là, il faut réfléchir à la stratégie de lutte la mieux adaptée, la plus efficace. Il est totalement naïf d’envisager d’aller au dialogue avec ce régime alors que vous n’avez pas construit le rapport de forces qui vous permet d’imposer votre point de vue en temps opportun.
Prenons l’exemple de la situation actuelle : le régime de Sassou s’est mis en difficultés avec deux constitutions. On a eu une nouvelle constitution qui vient d’être promulgué pour permettre uniquement à Sassou de se présenter à un 3 ème mandat alors que les institutions en vigueur découlent de la Constitution du 25 janvier 2002.
Pour moi, il y a là une excellente brèche dans laquelle l’opposition aurait pu s’engouffrer. Il faut mobiliser autour de cette incongruité juridique plutôt que de vouloir aller à un dialogue qui n’aura aucun autre but que celui de légitimer la mascarade référendaire du 25 octobre 2015. L’opposition doit exiger le retrait de la Constitution du 25 octobre 2015. Je ne suis pas de ceux qui pensent que parce que cette constitution a été promulguée, il n’y a rien à faire. Considérer que c’est un fait accompli et passer à autre chose est une voie dangereuse. Ce choix laisse à penser qu’on peut frauder puis légitimer cette fraude par d’autre voie. Au contraire, tout ce qui est issu de la fraude, ne produit aucun effet en droit. En tant que mouvement de la société civile, nous pensons qu’il faut désormais placer la lutte du terrain politique vers le terrain citoyen. C’est pour cette raison que dès avril 2015 nous avons organisé une conférence sur les transitions démocratiques en Afrique en nous assurant la participation du mouvement Balai citoyen du Burkina Faso et « Y’ en a marre » du Sénégal. Dans le cas du Congo, aborder la question sous l’angle citoyen permet de surmonter le handicap du caractère ethnique des partis politiques, du vote et de la lutte politique. Au final, c’est aux jeunes Congolais de prendre en main leur destin et d’imposer les règles du jeu démocratique.
Propos recueillis par Francis Sahel