Joelle Hazard, experte reconnue des questions touchant au Moyen Orient, bénéficia de la totale confiance de Yasser Arafat comme de Shimon Pérès. Les avancées du processus de paix avec l’Iran ont précipité, selon elle, la crise actuelle, seule porte de sortie pur le Premier ministre israélien Netanyahou. Les erreurs stratégiques fatales du mouvement Hamas de plus en plus isolé n’ont fait qu’aggraver encore ce contexte délétère.
Mondafrique. Des dizaines d’avions de chasse dans le ciel de Gaza, c’est beaucoup. Les raids israéliens ne font-il que débuter?
Joelle Hazard. Les raids cesseront quand le Hamas aura tiré ses dernières cartouches, c’est-à-dire toutes ses roquettes, ses missiles, ses drones, quand ses infrastructures seront anéanties, quand ses principaux tunnels seront obturés, ses ateliers pulvérisés et que le Hamas sera tout ! Personne ne volera à son secours. Observez le silence des chancelleries… seulement de timides exhortations à plus de mesure faites à Netanyahou.
Le président américain lui a donné 72 heures pour en terminer avec le moins de bavures possibles, quand il a refusé la réunion d’urgence du Conseil de sécurité, repoussé de vendredi à dimanche, ce qui est rare et qui n’a pas échappé à la Chine, pourtant toujours la première à être critiquée pour ses désistements au sein du même Conseil…
Mondafrique. Le ministre de La Défense israélien Benny Gantz se faisait hier menaçant. Après avoir massé des milliers de soldats à l’entrée de l’enclave de Gaza, où vivent 2 millions de Palestiniens, il prédit le pire. « Gaza brûlera ! » n’hésite-t-il pas à dire …Est-ce la répétition de l’opération « Bordure Protectrice » de 2014 ?
J.H. En 2014, ce fut une guerre totale à Gaza; avec intervention terrestre et blocus naval. Deux mois d’enfer. Cette fois, le contexte est différent. Le dôme de fer israélien a détruit 90 % des roquettes lancées par le Hamas. Evidemment « ce n’est qu’un début » comme l’a souligné Benny Gantz, le ministre israélien de la Défense, ce qui veut dire que beaucoup d’autres cibles restent dans le viseur, mais qu’on pourrait aussi bien s’arrêter lLe Hamas est seul, il n’a plus la cote… dans aucun pays arabe à l’exception du Qatar. Le Qatar est le premier visé avec la destruction de la tour de la chaîne d’Al-Jazeera. Israël avait autorisé Doha à apporter son aide financière aux réfugiés palestiniens… mais pas pour financer et construire sur place des missiles et des drones ! Et, comme l’Iran a d’autres préoccupations, les choses s’arrêteront bientôt, faute de roquettes !
Mondafrique. L’Iran bougerait pas le petit doigt pour aider le Hamas en difficulté extrême ?
J.H. L’Iran est pris en tenailles. Ses dirigeants ont le tournis, on l’aurait à moins. En trois mois de temps, la situation a changé du tout au tout. Avec Donald Trump, les Iraniens s’étaient tournés vers la Chine en désespoir de cause en lui consentant pour 20 ans d’importants rabais sur son Pétrole, ce qui n’atténuait pas pour autant de lourdes sanctions occidentales…
L’Amérique lui tend de nouveau la main ! Cela ne se refuse pas ! Biden fait visiblement tout ce qu’il peut ! Et l’Irak, la Syrie, le Yémen sont fatigués. L’Arabie saoudite elle-même aspire à la Paix, celle proposée dès 2002 par le roi Abdallah, la fameuse « Comprehensive Peace » chère à Hafez-al-Assad, que l’on n’attendait plus ! Tout le monde veut cette paix maintenant.
Des pourparlers très avancés sont en cours à Vienne, à Damas, à Bagdad. C’est ce qui a précipité la crise ! Cette crise était la seule porte de sortie par le haut pour le Premier ministre israélien. De dirigeant incontesté du pays, il allait se retrouver du jour au lendemain à la tête de l’opposition et devant ses juges… Il est clair que c’est Netanyahou qui a déclenché cette pseudo troisième intifada. Lui seul estime pouvoir y faire face, pouvoir prolonger son mandat et devenir un héro
Le subterfuge est un peu gros, mais il a pu tirer parti d’élections présidentielles imminentes en Iran, où les dernières candidatures viennent d’être déposées. Il a saisi cette chance : voudriez-vous que Téhéran sacrifie quarante années de galère pour Gaza ? Non.
Mondafrique C’était faire un double pari risqué ! Chez lui et ailleurs…
J.H. C’était aux dirigeants du Hamas de retenir leurs roquettes. Ces derniers, pris eux-mêmes dans un processus électoral interne, se sont trouvés piégés, étant pris de cours. Donnés hier pour grands gagnants du scrutin palestinien – le premier depuis 15 ans – prévu également dans quelques jours, ils ont vu leur rêve de toujours brisé. Mahmoud Abbas a annulé ce scrutin sous un prétexte qui ne tenait pas.
S’il ne l’avait pas fait et que la rue n’avait pas bougé, Ismaël Haniyeh, le chef du Hamas, ou Khaled Mechaal, le chef du Hamas pour l’Etranger, se seraient retrouvés dans quelques jours président de la Palestine.
Mondafrique. Mahmoud Abbas a-t-il partie liée avec Netanyahou ?
J.H.Je n’oserai pas tout à fait aller jusque-là, mais bon… le jeu en valait la chandelle. Disons que la concordance des temps est troublante sachant que nous sommes en Orient. Il y a des années que le chef de l’Autorité palestinienne et Netanyahou se connaissent et se supportent. Abbas pouvait au mieux miser pour lui succéder sur Marwan Barghouti, le leader du Fatah, le plus populaire candidat chez les Palestiniens de Cisjordanie emprisonné depuis 20 ans en Israël. Ce dernier se présentait sur la liste dissidente « Liberté » et avait une petite chance contre Mohamed Dahlan, exilé aux Emirats Arabes Unis, l’ancien chef de la sécurité de Yasser Arafat. Mais le Hamas n’allait pas se laisser faire !
Aujourd’hui, les 14 étages de son QG sont par terre et ses cadres ont servi de cibles ! Quand le Hamas n’aura plus de munitions, c’est-à-dire bientôt, que voudriez-vous qu’il fasse ? Israël aura l’intelligence de proposer à Abbas et à Barghouti à ses côtés comme successeur adoubé – vous connaissez le syndrome de Stockolm – une solution à deux États.
Par malheur si l’affrontement se transformait en conflit de longue durée, les deux dirigeants porteraient alors une très lourde responsabilité.
Mondafrique. Et entre temps, tout sera rentré dans l’ordre
J.H. Dahlan est un bon joueur d’échecs, mais les Émirats qui le soutiennent n’ont plus vraiment la forme… depuis que les Accords d’Abraham sont morts ou moribonds, mais ceci n’est pas grave ! Nous aurons les Accords d’Ibrahim avec l’Iran!
Je ne sais pas comment le nom du Patriarche s’écrit en Farsi, mais on le trouvera.
Le parcours de Joelle Hazard
Réalisatrice TV, journaliste indépendante depuis 2012.Editorialiste de politique étrangère, rédacteur en chef et chef du service de politique étrangère de la Rédaction nationale de France 3 (France Télévisions) de 2001 à 2010.
Grand reporter depuis 1982, spécialisée sur le Proche et le Moyen-Orient: couverture des conflits régionaux (notamment guerres du Liban, guerre Iran-Irak, Intifada, guerre du Golfe, invasion américaine de l’Irak).
Réalisatrice TV, journaliste indépendante depuis 2012.
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