Le Président du Niger, Mohamed Bazoum, tente désespérément d’échapper aux pressions contraires du gouvernement de transition au pouvoir à Ndjamena et des rebelles du Front pour l’Alternance et la Concorde au Tchad, qui continuent de s’affronter militairement autour de la ville de Mao, dans le Kanem.
Soupçonné de part et d’autre de rouler pour l’adversaire et mis en demeure de prouver sa loyauté à la junte au pouvoir à N’Djamena, Mohamed Bazoum semble de plus en plus disqualifié comme médiateur dans le conflit, malgré le mandat à lui confié lors du mini-sommet organisé en marge des obsèques du maréchal Déby.
Sommé par le Conseil Militaire de Transition de faire arrêter les rebelles se trouvant sur son territoire, Mohamed Bazoum a pris l’engagement de s’y atteler et fait arrêter selon diverses sources, une cinquantaine de Tchadiens appartenant à l’ethnie touboue à Dirkou, dans le nord-est du pays. Mais il s’agirait davantage d’orpailleurs que de rebelles du FACT, selon plusieurs observateurs de la zone, où aucun rebelle tchadien n’a par ailleurs été aperçu.
Le Niger, base arrière
En effet, le Président du Niger a été directement interpellé le 25 avril par la junte, dans un communiqué lu à la télévision tchadienne, affirmant que les rebelles avaient été localisés « en train de se regrouper en territoire nigérien entre N’Gourti, N’Guigmi et la frontière avec le Tchad » où ils se ravitailleraient en logistique et en carburant le temps de recevoir des renforts.
Dans ce même communiqué, la junte a clairement affirmé que l’heure n’était « ni à la médiation ni à la négociation avec des hors-la-loi » et elle demandé à tous les pays membres du G5 Sahel, et tout particulièrement au Niger, de mettre en œuvre « les différents accords liant les deux pays frères en vue de faciliter la capture et la mise à disposition de la justice de ces criminels de guerre. »
Surpris par la volte-face du Niger et la promesse de Bazoum de livrer au Tchad les rebelles sur son territoire, le FACT a regretté deux jours plus tard que « les autorités démocratiquement élues du Niger ayant été impliquées au départ comme médiateur, (prennent) partie pour la junte militaire illégitime, anticonstitutionnelle et massivement rejetée par le peuple tchadien. »
Neutralité impossible
Toujours soucieux de donner des gages au CMT, Bazoum a également fait dire par son chargé de communication qu’il n’avait pas eu de contact jusqu’ici avec le chef rebelle Mahamat Mahadi Ali, le président du FACT, ce qui ne semble pas tout à fait exact selon un membre du FACT interrogé par Mondafrique.
De l’autre côté, la junte tchadienne s’interroge sur la loyauté de Bazoum.
C’est ainsi que le journal nigérien en ligne Aïr Info a publié mercredi un article révélant que deux membres du FACT avaient été arrêtés le 17 mars à Agadez et remis en liberté sans poursuites, quelques jours avant le lancement de l’attaque rebelle au Tchad. Les deux hommes, écrit Aïr Info, étaient en possession de « plusieurs accessoires militaires : des casques de protection pour tankistes ; des jumelles munies de dispositif optique binoculaire grossissant destiné à l’observation d’objets à distance ; des jumelles de vision nocturne (…) et des milliers d’imprimés de cartes de membres du Front pour le changement et la concorde au Tchad ».
Or, les arrestations puis la libération d’Ahmed Brahim, secrétaire général du bureau du FACT en Europe, domicilié en France et de son compagnon Mohamed Taher Ali Kedelaye, également français, ont été gérées en toute discrétion par les autorités nigériennes, à l’insu des autorités tchadiennes.
Répondant à Mondafrique, Ahmat Brahim, de retour en France, a déclaré ne pas attendre quoi que ce soit de la médiation en cours. « On n’attend rien. On sait qu’il n’y a pas de sérieux derrière l’offre de négociation pour trouver un consensus inclusif ; on s’en est rendu compte, finalement. On a accepté de participer à ces discussions mais la junte a refusé e et le Niger a pris parti, ce qui le décrédibilise comme médiateur. Depuis, silence radio. »
Selon Ahmat Brahim, « Bazoum et le président mauritanien Ould Ghazouani, également désigné comme médiateur, ont pris contact avec le FACT lors de leur séjour à N’Djamena et nous ont invité à venir nous asseoir autour de la table avec le régime, les partis politiques et la société civile. »
Des sources nigériennes estiment, elles, que le FACT est obligé de passer par le Niger pour rejoindre le front à partir de la Libye, l’accès par le Tibesti étant désormais barré par l’armée tchadienne. Ils achemineraient notamment des hommes et du matériel en longeant le Sahara nigérien.
Discrets pourparlers France/FACT
Une colonne de plus de 100 véhicules rebelles aurait été aperçue, effectivement, à 80 km à l’est d’Agadem, à la frontière sud-est entre le Niger et le Tchad. Mais le gros du contingent rebelle serait actuellement toujours au nord-est de Mao, lourdement armé et équipé. Des combats ont d’ailleurs été rapportés jeudi, la rébellion s’étant emparée de la ville de Nokou, tandis que l’armée française continue de survoler activement le théâtre. Un hélicoptère de l’armée tchadienne a d’ailleurs été abattu par les moyens anti-aériens de la rébellion sur un front qui semble se stabiliser.
Ahmat Brahim a précisé que cette surveillance aérienne française « nous empêche de bouger. On n’a pas même pas la possibilité d’aller cacher nos blessés quelque part. » Il a toutefois affirmé que les discussions se poursuivaient activement avec la France pour tenter de la faire évoluer dans sa position de soutien au CMT « avant que le Tchad tout entier n’implose. »
Pour un Toubou originaire de l’est du Niger, « le CMT soupçonne les Toubous du Niger de soutenir la rébellion et veut pousser les autorités nigériennes à laisser l’armée tchadienne entrer au Niger pour massacrer les gens. Mais les Toubous du Niger ne se laisseront pas faire. Bazoum doit vraiment éviter de se faire entraîner dans la guerre du Tchad, qui n’est pas notre guerre. Tout au plus, il peut inviter les protagonistes à dialoguer autour d’une table », a-t-il poursuivi.
En effet, ce sont les mêmes populations qui vivent de part et d’autre de la frontière entre le Niger et le Tchad, en particulier la communauté nomade toubou/gorane à laquelle appartient le chef de la rébellion du FACT. La contagion du conflit serait une très mauvaise nouvelle dans une région déjà fortement déstabilisée par les attaques de Boko Haram.
Enfin, Mohamed Bazoum est aussi lié par sa proximité avec les autorités émiraties, qui ont financé sa campagne électorale. Or, les Emirats arabes unis et l’Egypte sont soupçonnés de soutenir le FACT, comme ils ont soutenu activement, y compris par la fourniture de matériel militaire, les groupes armés combattant aux côtés du général Haftar en Libye, dont faisait partie le FACT.
La France a fait libérer deux dirigeants du FACT tchadien arrêtés au Niger