Le 29 mars 2011, 816 personnes étaient assassinées dans la ville de Duékoué en quelque ving quatre heures. Il aura fallu attendre dix longues années pour qu’enfin la justice ivoirienne ouvre ce dossier.
Il n’y a rien à attendre d’un procès ouvert le 24 mars dernier à Abidjan pour un des plus violents massacres qui ait eu lieu en Afrique, mais où comparait seul le lampiste de l’histoire, le seigneur de guerre Amadé Ourémi.
Une farce tragique
La Cour d’Assises d’Abidjan, voci moins d’une semaine, a ouvert le procès des massacres du seigneur de guerre, Amadé Duékoué et de ses sbires. Ce triste personnage, d’origine burkinabè a été arrêté en mai 2013, il aura donc fallu huit ans d’instruction pour qu’il finisse par comparaître seul alors qu’il n’était qu’un pion dans le dispositif qui a conduit à cette tragédie. Comment est-ce possible ? A Abidjan, jugerait-on un crime contre l’humanité comme une banale affaire de droit commun ? Pour comprendre à quel point ce procès est une supercherie qui ne rend pas hommage aux morts et nie la souffrance des survivants et de tout le peuple Wé, il faut retourner dix ans en arrière.
L’armée républicaine étant restée fidèle à Laurent Gbagbo, pour reprendre le pays, Alassane Ouattara a créé une armée de toute pièces, les Forces Républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI). Cette armée est composée d’Ivoiriens du Nord et de jeunes hommes sans aucune formation recrutés dans toute la sous-région. Le 28 mars 2011, les FRCI quittent Bouaké et arrivent dans l’Ouest ivoirien où les populations sont réputées être majoritairement favorables à Laurent Gbagbo. Le 29 mars, aidées par des chasseurs traditionnels et des seigneurs de guerre comme Amadé Ourémi, elles pénètrent dans Duékoué et commettent le massacre. Après avoir enquêté et interrogé des témoins, Amnesty International écrit dans un rapport daté de mai 2011 : « Tous font état d’une série d’homicides ciblés et systématiques commis par des agents en uniforme des Forces républicaines de Côte d’Ivoire qui ont exécuté des centaines d’hommes de tous âges sur la base de considérations politiques et ethniques. Avant de les tuer, ils ont demandé à leurs victimes de donner leur nom et de montrer leur carte d’identité. »
Les grands absents
Lors des premiers jours de son procès Amadé Ourémi a cité deux noms, dont celui de l’ex comzone, devenu colonel, Fofana Losseni : « J’étais à Bagouo le 27 mars 2011. C’est le Commandant Fofana Losseni dit Loss qui a donné l’ordre de chasser les miliciens de Duékoué. Moi, j’étais un rebelle aux ordres du chef de guerre Coulibaly de Kouibly. C’est lui qui m’a fourni des armes et des treillis militaires ». Il est curieux qu’Amadé Ourémi ne cite que ces deux personnages. Pourquoi le juge n’a-t-il pas cherché à entendre le général qui avait l’Ouest de la Côte d’Ivoire sous sa responsabilité et qui était le chef direct de Loss ? Qui étaient les supérieurs du général en question ?
Pour un procès aussi important que celui-ci, il eut été aussi intéressant d’entendre le chef de la mission des Nations unies (ONUCI) de l’époque, Young-Jin Choï. Il aurait peut-être pu expliquer pourquoi les 200 soldats onusiens qui étaient cantonnés dans une base située à moins d’un kilomètre du lieu du drame ne sont pas venus au secours des populations qui les appelaient à l’aide.
La transnationale du crime
En huit d’ans d’instruction, le juge aurait pu mener une enquête passionnante qui l’aurait conduit au Mali et au Burkina Faso pour suivre les traces des chasseurs traditionnels. Nombre de ces dozos s’étaient donnés rendez-vous dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire en 2011. Parmi eux, il y avait Youssouf Toloba qui dirige aujourd’hui Dan na Ambassagou, une milice dogon qui sévit dans le centre du Mali et qui est présumée responsable du massacre d’Ogossagou en mai 2019, qui a fait 134 victimes civiles.
Il y avait aussi Boureima Nadbanka, chef d’une milice kogwleogos au Burkina Faso, brièvement mis aux arrêts en décembre 2019 pour son implication dans la tuerie de Yirgou en janvier 2019, dont le bilan s’élève à au moins 110 morts, 210 selon d’autres sources. Si la justice ivoirienne avait fait son travail, elle aurait peut-être évité des drames
La justice des vainqueurs
Amadé Ourémi, n’est pas un saint, il a semé la désolation dans l’Ouest ivoirien, notamment dans la forêt du Mont Péko qui lui servait de base, mais de nombreuses question se posent? Ce procès ne fait-il pas figure de prétexte pour dédouaner la CPI de pratiquer la justice des vainqueurs?
Concordance des temps, le 31 mars, la justice international, qui a fait appel du jugement d’acquittement de Laurent Gbagbo en première instance, rendra son verdict. L’ancien président sera-t-il définitivement libre ou le procès reprendra-t-il ? Malgré les promesses des procureurs, Luis Moreno Ocampo et Fatou Bensouda, la justice internationale, n’a jamais inquiété personne dans le massacre de Duékoué…