L’ultime faux pas du puissant général Toufik, dit « le sphinx »

En volant au secours exclusif de son fidèle bras droit, le général Hassan, condamné à cinq ans de prison à la surprise générale et à l’instigation du général Gaït Salah, le chef d’Etat major, l’ex patron des services algériens et homme fort de l’Algérie jusqu’à cet automne, le général Toufik, a déçu beaucoup de ses fidèles. Une chronique de Lakhdar Boussalem

La lettre du général Mohamed Mediène a provoqué une onde de choc, mais pas là où les observateurs pouvaient s’y attendre. Les cadres et personnel du DRS sont scotchés par le contenu de la lettre et par le fait que leur ancien patron n’a eu des mots que pour son protégé, le général Hassan. Beaucoup ont considéré que le général Mediène avait, sur la fin de ses 25 ans de règne sur le DRS, perdu le contrôle sur ses hommes, notamment son cercle proche d’officiers supérieurs, qui se sont affranchis de sa tutelle.

Si certains officiers supérieurs voient encore en Toufik un mythe vivant et indestructible (d’ailleurs son ancien surnom au sein des services était Le Sphinx), de nombreux cadres ont perçu cette lettre comme une confirmation que l’ancien patron du DRS a choisi de défendre, encore, ses proches au détriment de la base et des cadres dévoués qui sont demeurés en poste au service de l’institution.

En prenant la défense exclusive du général Hassan (parent à lui par alliance au demeurant), le général Toufik a lancé un message qui passe mal au sein du DRS. De «son DRS». Car nombreux considèrent déjà que la trajectoire du général Hassan ne cadre pas avec la réalité de son CV. Comme nombre de ses protégés, le général Toufik a souvent privilégié la loyauté aux compétences. Reproche d’ailleurs fait au président Bouteflika.

Il est de notoriété interne au sein du DRS que la garde rapprochée de Toufik avait ses privilèges malgré le fait que ce sont des officiers supérieurs qui n’avaient que le titre et pas la qualification. Ainsi, des généraux tels que Hassan, Djebbar ou Faouzi ont été des sous-officiers à la base qui se sont retrouvés bombardés officiers supérieurs à chaque opportunité, choyés lors des cérémonies, au détriment des «officiers intellectuels» qui étaient bardés de diplômes, formés dans les meilleures écoles et qui ont une approche scientifique du Renseignement.

Le DRS, ascenseur social

Le général Hassan, au demeurant, a lui aussi bénéficié de cette «légende» comme disent les espions, puisqu’il était HDT (homme de troupe) au début de sa carrière dans la Marine nationale. Il avait alors connu le général Toufik lorsqu’ils étaient ensemble au niveau de la base navale de Mers El Kebir dans les années 80’ quand Mohamed Mediène dirigeait le secteur d’Oran. Le général Hassan a été son chauffeur durant des années avant de se retrouver intégré dans le corps du DRS.

Et pas n’importe où. A la DDSE, les renseignements extérieurs où il lui a été permis de faire plusieurs postes à l’étranger, notamment en Europe et au Sahel, toujours au détriment de cadres qui étaient destinés à ces postes. Après avoir fait la tournée des ambassades, le général Hassan a été appelé à l’antiterrorisme en 2003, soit 4 ans après la destruction totale du GIA et du GSPC : «Il est venu après la guerre. Des officiers sont morts au combat. D’autres ont quitté le CPMI sans aucune considération. L’AQMI a déménagé au Sud. Le Nord était pratiquement sécurisé. Tout le monde sait au sein de la Maison que Hassan n’a en rien contribué à cela», indique un des anciens baroudeurs de l’antiterrorisme.

Ainsi, la sortie du général Toufik au seul profit du général Hassan, 48 heures après l’autre verdict de 3 ans ferme contre l’ex-DSSP, le général Lakhal Medjdoub, oublié dans la lettre, n’a fait qu’exacerber les rancœurs contre l’ancien responsable au sein de son ancienne Maison. Déjà, les reproches fusaient depuis les sorties à répétition du SG du FLN, Amar Saadani, qui avait sali par ses propos tout un corps et l’honneur d’hommes intègres et dévoués à la Nation, sans que le commandement de Toufik ne réagisse de manière ferme.

Les départs successifs de maîtres-espions tels que les généraux Athmane Tartag, Ali Bendaoud ou Rachid Lallali (dit Attafi), tous diplômés, spécialistes dans leurs domaines et susceptibles de lui succéder un jour n’ont fait qu’accentuer les soupçons que le général Toufik voyait le DRS comme son propre jouet qu’il pouvait détruire à tout instant. Le président Bouteflika qui avait longtemps été «intoxiqué» par les légendes des uns et des autres avait fini par comprendre que les généraux qui s’opposaient à lui au sein du DRS n’étaient pas tous mus par le seul patriotisme et que les prébendes étaient cruciales à protéger.

Au sein du DRS, c’est la grande désillusion. Certains sont scandalisés que l’ancien patron du DRS, dont le silence était une vertu, si ce n’est une seconde nature, a brisé le mutisme pour ne défendre que ses obligés. La lettre n’a pas eu l’effet escompté au sein de ce corps, bien au contraire. Les langues se délient sur les pratiques clientélistes, les approches régionalistes, les affectations bidon, les logements distribués ou sur les investigations à la carte qui ne ciblaient que certains personnages de l’Etat et pas d’autres. Et la lettre du général Toufik pour son ami Hassan n’a fait que plomber le mythe d’un ancien chef qui aurait, probablement, mieux fait de rester un «mythe» silencieux.