Déclarations irrespectueuses, réduction de la présence militaire, restriction de visas pour les musulmans… L’Afrique a été très largement malmenée par Donald Trump
Un article de Michael Pauron
Le suspense a duré plusieurs jours, mais les urnes ont parlé : Joe Biden, 77 ans, est devenu ce samedi 7 novembre le 46e président des États-Unis. Le chef de l’État sortant Donald Trump, qui conteste le résultat, aura quoi qu’il en soit marqué l’histoire, et pas toujours en Afrique de manière glorieuse.Heureusement les annonces du Président actuel n’ont pas toujours été suivies d’actes concrets. Et la plupart des programmes lancés par ses prédécesseurs ont été poursuivis.
« Des pays de merde »
Quant au continent africain, Donald Trump n’a montré que peu d’intérêts. Le président sortant n’a jamais mis les pieds sur le continent, et son secrétaire d’État, Mike Pompeo, n’y est allé qu’une fois, en février (Sénégal, Angola, et Ethiopie). « Sa politique étrangère est souvent très influencée par ses intérêts, politiques ou même personnels. », estime Jeff Hawkins, ancien ambassadeur américain à Bangui et chercheur associé à l’Iris, « l’Afrique ne l’intéresse donc pas, surtout que la communauté afro-américaine et la diaspora africaine ne font pas partie de sa base politique. » Sa désormais célèbre et malheureuse déclaration sur les pays africains, qualifiés de « pays de merde » (« shithole countries »), et les restrictions de visa pour les ressortissants issus de pays majoritairement musulmans, ont laissé un goût amer.
Mais, à y regarder de plus près, John Campbell, du groupe de réflexion Council of Foreign Relations, juge que « la politique africaine de Trump est meilleure qu’il n’y paraît ». Sur certains points, elle n’aurait pas tellement dévié de celle de ses prédécesseurs. « Depuis le président Ronald Reagan, chaque président a eu une initiative politique ou un objectif pour l’Afrique, et avec Prosper Africa Trump ne fait pas exception », écrit l’ancien diplomate, citant l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) de Bill Clinton, le Millennium Challenge Corporation et le Pepfar (lutte contre le Sida) de Georges W. Bush, ou encore le Power Africa et le Feed the Future de Barack Obama
La valse des M. Afrique
Il explique que la loi BUILD, destinée à favoriser les investissements américains à l’étranger, a par exemple remplacé l’Overseas Private Investment Corporation par la Development Finance Corporation : non seulement cet organisme n’est plus une simple assurance et est devenu une véritable agence d’investissements, mais, de plus, sa capacité est passée de 29 milliards de dollars à 60 milliards de dollars. Aucune région n’est particulièrement ciblée, mais le programme Prosper Africa en aurait directement bénéficié, écrit l’ancien diplomate dans une analyse sur le bilan de Trump en Afrique.
De son côté, Tibor Nagy, secrétaire d’État adjoint américain aux Affaires africaines, a rappelé que les initiatives des présidents précédents ont toutes été poursuivies. La nomination en 2018 de cet ancien ambassadeur en Guinée et en Éthiopie est intervenue un an à peine après celle, en 2017, de Donald Yamamoto, aujourd’hui ambassadeur en Éthiopie. Si leurs qualités respectives font consensus, l’instabilité du poste n’a pas aidé à donner de la visibilité à la politique américaine en Afrique.
L’obsession chinoise
Dans une intervention au think tank Woodrow Wilson International Center, Tibor Nagy a par ailleurs rappelé l’un des piliers de la politique internationale de Donald Trump : contrer l’influence de la Chine. Sur ce point, le continent africain n’a pas fait exception. « Le discours de 2018 sur la stratégie africaine des États-Unis était principalement un programme anti-chinois et anti-russe », analyse Jeff Hawkins. Deux exemples suffisent à illustrer cette politique.
À Djibouti, le président Omar Guelleh n’a pas caché les pressions qu’il a subit de la part des États-Unis, suite à l’installation d’une base militaire chinoise en 2017. Depuis, la Chine a énormément investi dans sa base de Obock – située non loin du camp américain Lemonnier – où près de 10 000 militaires, diplomates et logisticiens sont attendus avant 2026. Le petit État d’à peine un million d’habitants, situé dans la corne de l’Afrique, est par ailleurs l’une des « perles » du collier de la « nouvelle route de la soie » chinoise, pour laquelle Pékin investit massivement dans le pays. Une raison de plus d’inquiéter Washington.
Les efforts américains pour contrer l’influence chinoise sont également apparus au grand jour au sein de la Banque africaine de développement (BAD), comme l’a révélé Mondafrique dans une enquête parue en avril (épisode 1, épisode 2). Les manœuvres de Steven Dowd, représentant américain au sein de l’organisation et proche de l’administration Trump, pour empêcher le Nigérian Akinwumi Adesina de remporter un nouveau mandat à la tête de la banque, n’avait qu’un objectif : trouver un remplaçant davantage en accord avec la politique anti-chinoise de Washington.
Soudan : une position ambiguë
Sur le plan politique, Tibor Nagy vante le soutien des États-Unis au départ de Joseph Kabila et à l’installation de son successeur, Félix Tshisekedi, en RD Congo. Les US avaient, comme l’Union européenne, gelé des avoirs de proches de l’ancien président congolais, afin de lui mettre la pression. Le départ d’Omar el Bashir au Soudan, à la suite de manifestions populaires, a également été encouragé par l’administration Trump.
Mais le président américain, après avoir promis en octobre la levée des sanctions contre Khartoum en échange d’indemniser les victimes américaines de l’attentat de 1998 perpétré par Al Qaida (dont le leader, Oussama Ben Laden, avait été hébergé par le Soudan, dans les années 1990), les a finalement renouvelées pour un an début novembre. Quoiqu’il en soit, l’assouplissement amorcé par Trump aurait plutôt été motivé par l’éventuelle « reconnaissance d’Israël par le Soudan », tempère Jeff Hawkins. Au Moyen-Orient, Israël, l’Égypte d’Abdel Fattah al-Sissi et l’Arabie Saoudite de Mohammed Ben Salman ont reçu un soutien indéfectible de la part du président américain.
Si Biden passe, « il faudra recoller les morceaux »
L’autre annonce inattendue a été la diminution de la présence militaire américaine en Afrique. In fine, Donald Trump a dû suivre le vote du Congrès, qui a rejeté cette idée. Elle aurait conduit notamment à la fermeture de la base américaine d’Agadez, stratégique pour la lutte contre le terrorisme au Sahel, tant pour ses alliés européens que pour le continent africain. Il reste la décision de déménager le siège du Commandement des États-Unis pour l’Afrique (Africom), actuellement basé à Stuttgart, en Allemagne. L’affaire avait jeté un froid entre Angela Merkel et Donald Trump, et pourrait déstabiliser, pendant six mois ou un an, les opérations militaires américaines en Afrique. Le projet est cependant loin d’être achevé.
Finalement, « en l’absence de leadership à la Maison Blanche sur la politique africaine, la boite a juste continué de tourner, relève encore Jeff Hawkins, mais si Joe Biden passe, il faudra recoller les morceaux ». Une victoire du candidat démocrate ne signera pas un changement immédiat de paradigme : le nouveau président aura fort à faire en interne. Mais, selon l’ancien ambassadeur, ce sera d’abord « le retour d’une normalité respectueuse ». D’ores et déjà, le candidat démocrate a promis qu’il annulerait les restrictions de visas à destination des ressortissants de pays musulmans, et qu’il relancerait le programme de Barack Obama dédié aux jeunes africains, la Young African Leader Initiative (Yali). Il a également assuré vouloir « rétablir et revigorer les relations diplomatiques avec les gouvernements africains et les institutions régionales, y compris l’Union africaine ».