La proposition de loi, qui devrait, selon ses rédacteurs, permettre la régularisation de tous les mariages coutumiers à l’horizon 2019, risque d’être exploitée pour conclure des mariages de mineures, dénoncent les (rares) députés qui s’y opposent.
Au parlement, c’est un jeu d’usure qui s’est engagé. Alors que la proposition de loi devait être votée par la commission de la Justice à la Chambre des représentants mardi 24 novembre, des députées ont formulé une demande de report. Nouzha Skalli, ex-ministre de la Femme et députée du Parti du progrès et du socialisme (PPS, un parti de gauche membre de la coalition gouvernementale dirigée par le PJD), en fait partie. Elle a estimé, dans un post publié sur Facebook, que l’amendement, tel qu’il a été présenté, « assure l’impunité à ceux qui contournent la loi pour épouser des mineures ou pratiquer la polygamie sans risque. Nous avons bataillé pour reporter le vote prévu aujourd’hui ».
Le report du vote n’a pas été du gout des députés du PJD, qui se sont élevés contre « le non-respect des procédures en matière de législation« , et ont accusé les députées de « mettre les bâtons dans les roues » de la commission. Si une partie des députées opposées à la proposition de loi n’ont pas espoir de voir le texte amendé, Nouzha Skalli, elle, appelle à la mobilisation afin qu’un amendement contre l’impunité des contrevenants soit introduit à la proposition de loi, afin de garantir que la prolongation ne serve pas à conclure des mariages avec des mineures.
Objectif affiché: officialiser les mariages coutumiers
Fin 2014, le groupe parlementaire du Mouvement populaire (MP), un parti de la coalition gouvernementale, a déposé une proposition de loi amendant l’article 16 du Code de la famille. L’objectif: prolonger de cinq ans la période transitoire durant laquelle les mariages coutumiers peuvent être régularisés, et qui a pris fin en 2014. Or, un grand nombre de mariages coutumiers sont des mariages conclus avec des mineures, soulignent des députés, qui craignent que cette prolongation ne donne lieu à une recrudescence des mariages de mineures.
Épaulé par le Parti de la justice et du développement (PJD), le parti islamiste au pouvoir, le MP ambitionne, à l’horizon 2019, d’officialiser tous les mariages coutumiers, dont la persistance, malgré les différentes mesures prises par le ministère de la Justice pour y mettre fin, pose problème.
L’article 16 du Code de la famille autorise les couples n’ayant pas officialisé leur mariage à s’adresser à un juge qui examine « tous les moyens de preuve » en vue de délivrer un acte de reconnaissance de mariage. Pour l’obtention du document, le tribunal prend aussi en considération,« l’existence d’enfants ou de grossesse issus de la relation conjugale« .
Pour des députés de majorité comme d’opposition, le problème réside là, puisque « les juges délivrent l’acte de reconnaissance de mariage dès qu’ils constatent que les couples ont un enfant. Les hommes mariés à des mineures le savent, et veillent à avoir un enfant avec leur épouse avant d’aller demander la reconnaissance de leur mariage. C’est une manière de forcer la main aux tribunaux, qui se voient obligés de reconnaître le mariage« , explique une députée d’opposition. Celle-ci dénonce le fait que « la prolongation de la période transitoire, loin de permettre aux couples qui n’ont pas encore officialisé leur mariage d’obtenir un acte de reconnaissance, encouragera les gens à conclure de nouveaux mariages coutumiers« . Un argumentaire que partage Najat Ikhich, présidente de la Fondation Ytto, bien au fait de la problématique, puisqu’elle a eu à s’y confronter au cours des nombreuses actions de sa fondation. « Cette prolongation est une façon d’officialiser le détournement de la loi. En 2009, nous avons sollicité une prolongation pour régulariser les anciens mariages. Nous avons réalisé, entre temps, que la plupart des couples qui souhaitent régulariser leur mariage sont récemment mariés. Après cela, nous nous sommes opposés à la prolongation« , explique-t-elle.
35.000 mariages de mineures en 2013
Si l’âge légal du mariage est de 18 ans, les mineurs peuvent, s’ils disposent de l’autorisation de leurs parents, solliciter l’autorisation du tribunal pour se marier. « L’écrasante majorité des mariages de mineures sont imposés par les parents, et les juges accordent, dans la plupart des cas, une dérogation aux couples« , explique un député de l’opposition. 16 % des femmes âgées entre 20-24 ans ont été mariées avant l’âge de 18 ans, et 3 % avant 15 ans. En 2013 seulement, le ministère de la Justice a enregistré plus de 35.000 mariages de mineurs, soit 11 % de la totalité des mariages contractés au Maroc, selon une étude menée par l’UNICEF, le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) et l’Association meilleur avenir pour nos enfants.