Après le blocage de la situation au Mali depuis des mois et l’inévitable coup d’Etat militaire chassant Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK, on peut s’interroger sur la même situation bloquée en Guinée, en Côte d’Ivoire, en Centrafrique, au Burkina Faso et au Niger.
Dans ce contexte, les prochaines élections présidentielles et législatives prévues dans un certain nombre de pays , loin d’être transparentes, sont à hauts risques pour les régimes en place. Le pire peut-il être évité? Rien de moins certain?
Le dernier trimestre de l’année 2020 pourrait bien être de tous les dangers en Guinée, en Côte d’Ivoire et en Centrafrique voire également au Burkina Faso et même au Niger où pourtant le chef de l’Etat ne se représente pas. Dans ces cinq pays, dans le contexte actuel, les prochaines élections générales s’annoncent à hauts risques. Le pire peut-il encore être évité ?
Un contexte hautement inflammable
Dans ces cinq États, déjà en crise politique aigüe, le vouloir-vivre collectif est remis en cause à la fois par les pratiques antidémocratiques des gouvernants, mais aussi par la montée en puissance des groupes armés, qu’ils se réclament ou non du djihadisme. Par leur manque de professionnalisme et leur absence de discernement, les armées nationales contribuent aussi à la fracturation de l’unité nationale qui pourrait s’élargir davantage avec les élections. Les conflits inter communautaires ne cessent de progresser entrainant une spirale de violences aujourd’hui de plus en plus difficilement maîtrisable.
Dans ces pays, les clans présidentiels et leurs partisans s’organisent déjà pour faire face aux conséquences prévisibles d’élections peu crédibles et d’une grande opacité. En voulant enjamber ce qui aurait dû être un rendez-vous avec la démocratie, les chefs d’État qui se maintiendront à leur pouvoir chancelant jouent aux apprentis-sorciers. D’ores et déjà, les manifestations urbaines sont de plus en plus violentes. Elles expriment la radicalisation des oppositions bien avant le terme de ces processus électoraux frelatés.
Une conjoncture peu favorable
Il y a évidemment les conséquences multiformes de la crise sanitaire du Covid-19 qui impactent chaque jour davantage la vie socio-politique de ces pays. Cette pandémie, à nulle autre pareille, met en exergue la faillite de l’État, l’incurie des gouvernements, l’abandon de la population aux organisations humanitaires, lorsqu’elles le peuvent encore. Organiser des élections dans ces conditions est une gageure. De surcroît, lorsque une grande partie du territoire national est abandonné à des mouvements rebelles, comme au Burkina Faso, au Niger et en Centrafrique on peut raisonnablement se demander comment encore qualifier de crédibles de tels mirages de la démocratie. Dans un tel contexte, des élections ne servent que les clans présidentiels au pouvoir et accentuent les divisions, les affrontements alors qu’il faut au contraire rechercher à tout prix le consensus national, la réconciliation des forces républicaines et instaurer un dialogue inclusif permanent. C’est exactement le contraire qui est organisé, à grands frais.
Des chefs d’État devenus autocrates
Le Guinéen Alpha Condé (82 ans), l’Ivoirien Alassane Drame Ouattara (78 ans), le Burkinabé Roch Marc Christian Kaboré ( 63 ans), le Centrafricain Faustin-Archange Touadera (63 ans) et le Nigérien Mahamadou Issoufou (68 ans) ont tous été élus démocratiquement. Leur élection venait après des événements parmi les plus tumulueux de l’Histoire de leur pays. On se rappelle :
– les tragiques événements du 28 septembre 2009 de Conakry et ses prolongations;
– les tentatives de manipulations constitutionnelles du président nigérien Mamadou Tandja aboutissant à son renversement le 18 février 2010 et à une courte et agitée transition.
-la guerre civile de Côte d’Ivoire jamais éteinte et ses multiples répliques dont celle relative à l’élection présidentielle de 2010;
– le chute du régime de François Bozizé par les bandes de l’ex Seleka et les confrontations sanglantes avec les anti balaka;
– le soulèvement populaire d’octobre 2014 aboutissant à la seconde révolution burkinabè et à la chute de Blaise Compaoré qui souhaitait réviser la constitution à son profit ;
Ces chefs d’État appartiennent pourtant à l’élite intellectuelle et n’ont rien de commun avec leurs lointains prédécesseurs sortis des casernes comme le Voltaïque Saye Zerbo, le Centrafricain Jean-Bedel Bokassa, le Nigérien Ibrahim Baré Maïnassara, le Guinéen Moussa Dadis Camara et l’Ivoirien Robert Guéï .
De même, ils ne sont à la tête de leur État que depuis dix ans pour Alpha Condé, Alassane Drame Ouattara et Mahamadou Issoufou et seulement cinq ans pour Roch Marc Christian Kaboré et Faustin-Archange Touadera. On est loin de la quasi présidence à vie de leurs homologues camerounais, congolais, équato-guinéen et tchadien, au pouvoir depuis des décennies.
Et pourtant, ces chefs d’État, dont on attendait tant, ont franchi les limites que le droit et la morale imposent à ceux qui sont appelés à diriger un pays. A l’exception de Mahamadou Issoufou qui a renoncé à aller au-delà de ses deux mandats présidentiels, sans pour autant abandonner totalement son leadership, les quatre autres chefs de l’État sont entrés en campagne électorale avec comme principe » on n’organise pas des élections pour les perdre », selon la formule prêtée à feu Omar Bongo, ou encore, selon le proverbe congolais, » le pouvoir se mange en entier ».
La confiscation des rendez-vous électoraux
Les échéances électorales de cette fin d’année 2020 étaient prévues de longue date, mais ce n’est pas pour cela qu’elles ont été soigneusement préparées. Une organisation défectueuse, avec un chronogramme vite inexploitable et une commission électorale dite indépendante mais aux ordres, offre toujours des garanties pour les tripatouillages, les manipulations des textes législatifs voire constitutionnels, les volte-faces les plus préjudiciables à la démocratie.
Rien n’aura été épargné aux citoyens de Guinée, de Côte d’Ivoire et de Centrafrique. On citera les plus pernicieuses atteintes à la démocratie et aux droits de l’Homme :
– les manipulations constitutionnelles afin de passer outre aux limites du nombre ou de la durée des mandats présidentiels,
– l’instrumentalisation des Commisions nationales chargées des élections par le clan présidentiel, avec toutes les conséquences pour le truquage des élections et le refus obstiné d’ y mettre fin,
– les détournements des moyens et personnels de l’État pour assurer une élection bafouant les principes fondamentaux des Pactes internationaux pour une élection crédible, transparente et démocratique,
– la confection de fichiers électoraux établis avec des spécialistes en faux documents, les faux actes d’état civil, les fausses cartes d’électeur, les listes truquées de bureaux de vote,
– la soumission des institutions de contrôle et notamment de la Cour constitutionnelle, juge du début à la fin du processus électoral,
– les pressions contre les opposants et l’instrumentalisation de la justice contre les leaders susceptibles de se porter candidat et d’avoir des relais dans la société civile.
La Guinée et la Côte d’Ivoire au bord du précipice
Alors que les termes de la constitution des deux pays et l’esprit du Constituant interdisaient d’aller au-delà de deux mandats présidentiels consécutifs, les deux chefs de l’État vont donc finalement passer outre en utilisant le subterfuge d’une révision constitutionnelle ultérieure pour » remettre les compteurs à zéro ». Lors de leur investiture, ces deux chefs d’État avaient pourtant fait le serment de respecter la Constitution. Dans ces conditions, les scrutins du 18 octobre 2020 en Guinée et du 31 octobre 2020 en Côte d’Ivoire peuvent difficilement se tenir dans la paix civile, d’autant que les fichiers électoraux ont été manipulés, que les commissions électorales nationales ne sont pas indépendantes, ce que la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a d’ailleurs jugé, le 15 juillet dernier, pour la Côte d’Ivoire.
La situation d’Alpha Condé et de Alassane Drame Ouattara risque de devenir de plus en plus délicate. Les répressions contre les leaders de l’opposition ont déjà commencé. En Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo et Blé Goudé, ont certes été acquitté par les juges de première instance de la Cour Pénale Internationale, mais la justice ivoirienne les a condamné à vingt ans de prison. Il en est de même pour Guillaume Soro, alors que la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples a émis un sursis à exécution contre ce mandat d’arrêt.
Alpha Condé et Alassane Drame Ouattara font désormais l’objet de tous les rejets, y compris de plusieurs de leurs plus anciens compagnons de route. Un front uni des oppositions se met en place, notamment en Côte d’Ivoire avec les anciens adversaires qu’étaient Henri Konan Bédié, Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé, et Guillaume Soro. La crise post électorale de 2010 revient inexorablement dans toutes les mémoires et les désirs de revanche sont de plus en plus présents. La Guinée et la Côte d’Ivoire sont en train de renouer avec leur passé tragique.
La Centrafrique, un État de nature
Le G5 Centrafrique ( ONU, Ua, Ue, Ceeac, EU, Ru, Fr) commence à s’inquiéter de l’évolution de la crise centrafricaine, à quatre mois des élections du 27 décembre 2020. Plusieurs groupes armés signataires de l’Accord de Khartoum se sont durablement installés dans de vastes territoires désormais, sous » leur entière administration ». Le pouvoir de Bangui fait encore illusion dans la capitale et quelques villes de l’arrière-pays. L’intégrité du territoire national est devenue fictive. Le président Touadera a failli à ses responsabilités les plus élémentaires. Concernant les élections, il n’a ni respecté les prescriptions constitutionnelles concernant la création d’une Autorité nationale des élections ( ANE) dès 2017, ni assurer la promulgation, dans le délais de 15 jours, de la loi organique de cette nouvelle ANE, votée par les députés. Le jour de son investiture, il avait pourtant prêté serment pour déclarer » je jure de respecter scrupuleusement la constitution ….de ne pas utiliser mon pouvoir à des fins personnelles ». Les tripatouillages et malversations ne se comptent plus dans la préparation des élections. D’un processus électoral calamiteux aboutissant à des élections caricaturales, il y a de fortes probabilités que la République centrafricaine devienne un Etat de nature ou comme l’avait intitulé Georges Conchon, » L’Etat sauvage », dans son ouvrage, prix Goncourt 1964.
Le Burkina Faso et le Niger, la démocratie attendra
Les élections présidentielle et législatives au Burkina Faso du 22 novembre 2020 et au Niger du 27 décembre 2020 s’annoncent presque comme des épiphénomènes, tant la situation sécuritaire est devenue critique. Les milliers de victimes et les millions de déplacés n’auront certainement pas le coeur à se passionner pour des élections qui mettront aux prises des candidats qu’ils connaissent, aussi bien au Burkina Faso qu’au Niger, de longue date. Les Burkinabés et le Nigériens croient de moins en moins aux discours des politiciens alors que les groupes armés sèment la terreur et s’investissent dans les replis communautaires. Les citoyens sahéliens attendent surtout les retombées économiques et financières qui ont été annoncées lors des Sommets de Pau et de Nouakchott du G5 Sahel et de l’Alliance Sahel. Profitant de l’exposition médiatique qu’offrent ces élections, il est à craindre que les groupes djihadistes n’en profitent pour marquer leur présence et leur détermination, élection présidentielle ou pas.
Il serait temps de réfléchir à un autre mode de gouvernance, à une autre forme d’organisation de l’administration et à de nouvelles règles de dévolution du pouvoir. Il faut s’interroger s’il n’est pas indispensable d’entreprendre rapidement une dépersonnalisation du pouvoir, une gouvernance davantage tournée vers la proximité avec des organes de contrôle débranchés du pouvoir exécutif. L’abandon du système présidentiel, le rejet de l’hypercentralisation, de la concentration du pouvoir avec inversement le renforcement de la gouvernance régionale et locale paraissent une nécessité, sans oublier l »indispensable renforcement du poids de la société civile, facilité par les nouvelles technologies participatives.