Le rapport 2019 sur les vins de Champagne nous fournit d’intéressantes informations sur les exportations de ce vin d’exception vers certains pays africains. Le gout des élites de ces pays pour les produits luxueux renvoie aux constats habituels des indicateurs de gouvernance.
Le vin de Champagne est reconnu comme étant le symbole de la réussite sociale et souvent de la victoire. Il peut aussi accompagner une vie débarrassée des contingences quotidiennes, lorsque l’on est au pouvoir. Chaque année, le Comité interprofessionnel des vins de Champagne ( CIVC) publie son rapport avec notamment les volumes des expéditions hors de France. En 2019, avant le Covid-19, les résultats donnent de précieuses indications sur la situation économique et sociale de nombreux pays consommateurs de Champagne. Parfois, comme en Afrique, la bouteille de Champagne illustre aussi les dérives de certains régimes politiques.
Un chiffre d’affaires global de cinq milliards d’euros
Pour l’année 2019, la production globale est estimée à un peu plus de 297 millions de bouteilles de 75 cl, soit une diminution de 1,6 % par rapport à 2018. En revanche, le chiffre d’affaires global s’établit à un record historique avec 5 milliards d’euros, soit une progression de 3,6 % par rapport à 2018.
Cette progression résulte des expéditions à l’étranger qui représentent désormais 52 % du volume global avec 156 millions de bouteilles pour environ 3 milliards d’euros d’exportation. Les expéditions en France déclinent de 4% par rapport à 2018 avec 141 millions de bouteilles. Pouvoir d’achat en baisse, effet gilets jaunes, perspectives économiques peu optimistes peuvent expliquer cette baisse qui correspond à la morosité ambiante.
Les vertueux Emirats Arabes Unis, premier pays musulman consommateur
Avec 27, 3 millions de bouteilles soit 17,3% du volume global des expéditions, le Royaume-Uni reste le premier pays du classement du CIVC. Les questions politico-économiques et le Brexit n’affectent nullement les consommateurs britanniques. En millions de bouteilles, viennent ensuite les Etats-Unis d’Amérique (25,7), l’Allemagne (11,6), le Japon (14,3), la Belgique (9,2), l’Italie (8,3), l’Australie (7,7), la Suisse (5,4) l’Espagne (4,3) et les Pays-Bas (2,5 ).
On remarquera les belles performances de la Belgique (12 millions habitants) et de la Suisse (9 millions habitants). Hors Top10, il faut relever la 13 ème place des Émirats Arabes Unis (10 millions habitants) premier pays musulman avec un million de bouteilles, de Singapour (6,6 millions habitants), au 16 ème rang, avec 900 000 bouteilles et surtout du Luxembourg, au 23 ème rang, avec 650 000 bouteilles pour 650 000 habitants, soit une bouteille par habitant.
3,7 millions de bouteilles importées par l’Afrique
Le rapport du CIVC ne retient que les données pour les 37 réellement concernés. En 2019, 3,7 millions de bouteilles de Champagne ont été importées en Afrique pour une valeur d’environ 90 millions d’euros. Ces données sont faibles par rapport au volume global des expéditions mondiales (1,23 %) et à la valeur globale des exportations mondiales (1,8 %). On peut néanmoins tirer quelques constats.
– L’Afrique du sud enregistre un boom dans ses importations de vins de Champagne. Une progression de près de 20% lors des cinq dernières années place le pays largement en tête avec 1,1 million de bouteilles. Outre le tourisme de luxe, l’émergence d’une bourgeoisie d’affaires et le business de l’événementiel contribuent à cette forte progression.
– Le Nigeria prend la seconde position avec 569 440 bouteilles. Certes, cela est peu pour un pays de 200 millions d’habitants mais 1% de la population se partage plus de 80 % des richesses du pays. Les vins de Champagne sont donc réservés aux dirigeants d’entreprise, aux hommes politiques et à la jeunesse dorée de Lagos et Abuja.
–Les pays catalogués francophones occupent les premiers rangs tandis que le nombre d’habitants est souvent déterminants dans le classement. La Côte d’Ivoire (27 millions habitants) arrive en troisième position avec 348 955 bouteilles importées. En nombre de bouteilles, viennent ensuite la RDC (220 352), le Maroc (212 410), le Cameroun (170 297), le Togo (159 702), le Congo (148 774), le Gabon (147 426), Maurice (111 340 ) et le Bénin (83 599).
– Dans des pays en crise, comme au Sahel on peut s’étonner du volume des importations de bouteilles de champagne au Burkina Faso (59 355) et au Mali (25 680). En revanche, pour le Niger (6 041), la Mauritanie (1 926) et le Tchad (1 008) les volumes sont moins surprenants bien que ces pays appartiennent au monde musulman.
Ne dit-on pas à Brazzaville que les réserves de Denis Sassou-Nguesso, à Oyo et à Edou, approchent les 30 000 bouteilles ?
En Afrique centrale, où règnent la corruption, le népotisme et la captation des richesses nationales, avec une absence d’alternance politique, il n’est pas étonnant de voir les importations des meilleurs vins de Champagne connaître d’ excellents résultats. Le Gabon, avec 62 bouteilles pour 1000 habitants reste un des meilleurs importateurs.
Le niveau de vie relativement élevé n’explique pas tout. De longue date, le Palais du bord de mer apprécie le Laurent Perrier et le Moët & Chandon. Le Congo avec 29 bouteilles pour 1000 habitants est en bonne place. La Guinée équatoriale ( 850 000 habitants) importe 54 736 bouteilles des plus grands crus. Avec 64 bouteilles pour 1000 habitants le pays de Teodorin se place derrière Les Seychelles et Maurice, pays du tourisme de haut de gamme et de nombreux hôtels de grand luxe. Quand à la République centrafricaine, pays quasiment hors de contrôle, les importations de 6 658 bouteilles de Champagne sont destinées au cercle du pouvoir et aux experts résidant dans le seul hôtel de luxe de Bangui.
Inversement, on observera que l’Égypte (12 000 bouteilles), l’Ethiopie (72 000 bouteilles), avec plus de 100 millions d’habitants, sont de faibles importateurs, comme au Maghreb, l’Algérie (24 000 bouteilles) et la Tunisie (22 000 bouteilles).
Avec un prix moyen d’environ 25 000 francs Cfa, la bouteille de Champagne représente, pas très loin, les moyens mensuels de survie d’un citoyen africain. Le rapport annuel du CIVC peut utilement apporter sa contribution pour éclairer davantage certains indicateurs de performances des réalités socio-économiques et politiques de certains pays, notamment en Afrique.