Tout Niamey s’interroge : que cherche donc Salou Djibo, le commandant de la compagnie d’appui qui a renversé Mahamadou Tandja en février 2010, par sa candidature à la prochaine élection présidentielle ? Et quelles sont ses chances de succès ?
A 55 ans, retraité de l’armée au grade de général, le militaire avait disparu du Niger, où il ne revenait que de temps à autres depuis l’élection du Président rose Mahamadou Issoufou, en avril 2011, à l’issue de la Transition militaire d’un an qu’il avait conduite.
Investi à Niamey, le 28 juin, par son jeune Parti Pour la Justice et le Progrès-Génération Doubara, l’ancien putschiste a tenu une posture d’équilibriste, rendant hommage à toute la classe politique nigérienne pour ne froisser personne, tout en se présentant comme une sorte de recours, en tant qu’ancien militaire, pour sortir du « statu quo » de l’environnement politique polarisé. « Il ne s’agit pas d’indexer telle ou telle personne ou de mettre tous les acteurs de la vie politique au même niveau de responsabilité relativement à la situation de notre pays », a-t-il déclaré, nébuleux, à la tribune.
Mais, a-t-il poursuivi, interpellant le public : « croyez-vous que le système partisan nigérien, tel qu’il fonctionne depuis des années, offre la meilleure réponse à la demande sociale de plus en plus forte, aux légitimes aspirations de notre jeunesse et du peuple nigérien ainsi qu’à l’insécurité qui menace l’existence même de notre Etat ? »
Téléscopage historique
Cet événement a produit un étrange télescopage historique, les représentants de la classe politique nigérienne étant venus, comme la courtoisie l’exige, assister à l’investiture. Dans leurs gros fauteuils au premiers rangs, on pouvait donc voir plusieurs leaders de la vie politique nigérienne, parmi lesquels des concurrents déclarés du militaire : des victimes du coup d’Etat, comme Albouba Albadé ou Seyni Omar, rangés désormais dans le camp rose, et des vainqueurs, comme Mohamed Bazoum, au pouvoir depuis presque dix ans et dauphin du Président socialiste, mais aussi Ibrahim Yacouba, un membre actif de la Transition, très proche de Salou Djibo à l’époque, désormais opposant résolu.
Deux discours, à cet égard, ont témoigné à la fois du passé du militaire et de la difficulté qu’il aura à émerger comme un acteur politique, alors que le Niger aborde dans la tension l’organisation des prochaines élections présidentielles, législatives et locales, dans quelques mois.
Le ramenant strictement au passé, comme pour lui faire comprendre que là doit s’arrêter son ambition, Mohamed Bazoum, l’ex ministre de l’Intérieur, candidat à la succession du Président Issoufou au titre du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), a ramené Salou Djibo à ses faits d’armes d’il y a dix ans, le félicitant d’avoir « conduit des élections transparentes, libres, qui ont doté notre pays d’institutions et d’autorités nouvelles sur un socle solide ».
Les rumeurs d’un accord secret
Ibrahim Yacouba, qui convoitera la Présidence au nom de son parti Kishin Kassa, a, lui, tenté de forcer son ancien ami à prendre position dans le combat politique qui s’annonce. Lui rendant hommage d’avoir tenu ses engagements de 2011, il l’a interpellé sur son ambiguïté. « Au nom de l’opposition, nous sommes venus vous dire, puisque vous êtes dans l’arène (…), nous avons besoin de vous, parce que la situation du Niger nécessite que les hommes et les femmes où qu’ils se trouvent s’engagent et que nous puissions produire le changement. » Et il a rappelé le vœu de l’opposition que « celui qui gagne soit issu d’un processus électoral honnête. »
Beaucoup de Nigériens croient, à l’instar de Hama Amadou, le chef de file de l’opposition, qu’il existe un accord secret entre Mahamadou Issoufou et Salou Djibo, en vertu duquel Mahamadou Issoufou, aidé par la junte à parvenir au pouvoir, aurait promis de faire en sorte que Salou Djibo lui succède à l’issue de ses deux mandats. Hama Amadou avait déclaré tenir l’information d’un témoin de cet accord, le ministre de l’Intérieur de la Transition, Ousmane Cissé.
Mahamadou Issoufou n’a pas été ingrat
Si nul n’a jamais vu cet accord écrit, les relations sont restées cordiales entre le Président Mahamadou Issoufou et Salou Djibo ces dix dernières années. Salou Djibo dit ne pas avoir réclamé de postes pour ses proches, mais le Président rose en a toutefois gardé trois auprès de lui: le ministre de la Justice, Marou Amadou, ancien président du parlement de Transition, l’oncle de Salou Djibo, Moumouni Mamoudou, longtemps secrétaire général de la Présidence puis nommé ambassadeur au Mali, et Ibrahim Yacouba lui-même, ministre et directeur de cabinet adjoint du Président jusqu’à sa rupture – apparemment définitive – avec le régime en 2018. Ce faisant, le Président aurait fait preuve d’une sorte de reconnaissance à l’égard de personnes ayant servi son accession au pouvoir, témoignant de sa légendaire loyauté à ceux qui l’ont servi ou suivi aux différentes étapes de sa vie politique.
La nomination de la deuxième femme de Salou Djibo comme ambassadeur à Ankara procède de cette même logique. Elle a d’ailleurs été nommée quand Ibrahim Yacouba occupait le portefeuille des Affaires Etrangères.
Côté professionnel, l’ancien militaire s’est employé, ces dernières années, dans des missions pour la CEDEAO, y compris, récemment, en Guinée Conakry, mandaté par Mahamadou Issoufou devenu dans l’intervalle président de l’Institution ouest-africaine. Bref, aucun signe n’a été entrevu, depuis dix ans, de problème entre les deux hommes.
Intrus ou outsider ?
Mais Salou Djibo fait figure d’intrus dans la campagne qui s’annonce, dérangeant pour le dauphin désigné du Président, leader historique du PNDS et pour le Président lui-même, dont on ne voit pas comment il pourra appeler à voter pour quelqu’un d’autre que Mohamed Bazoum sans confirmer les pires soupçons. Si la bataille électorale qui s’annonce se joue à la loyale, le poids de Salou Djibo devrait rester modeste : il est absent du pays depuis très longtemps et n’a pas plus de base que de légitimité politique.
Seule l’opposition regardera peut-être avec intérêt cette singulière candidature, s’agissant d’un facteur de division du camp du pouvoir et d’une épine dans le pied du Président sortant.