Le nom de Jean Yves Le Drian revient avec insistance comme possible successeur d’Edouard Philippe. Du ministère de la défense sous François Hollande au Quai d’Orsay depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron, Jean-Yves Le Drian est l’architecte d’une stratégie ambiguë où la France soutient discrètement le maréchal Haftar qui a mis la Libye à feu et à sang avec l’appui des Séoudiens et des Emiratis. Au nom d’une lutte hypothétique contre « le terrorisme »
La duplicité de la stratégie de la France en Libye est un secret de polichinelle. Officiellement Paris soutient sans réserve le gouvernement d’union nationale issu des accords inter-libyens conclus en décembre 2015 à Skirat (Maroc) et dirigé par le Premier ministre Fayez al-Saraj. Dans la pratique, la France est un allié fidèle quoique discret du maréchal Khalifa Haftar, patron de l’armée nationale libyenne (ANL) et grand rival de Saraj. Derrière l’ambiguïté de la position française, se cache Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères aujourd’hui et ministre des armées sous François Hollande (2012-2017). Sous son instigation, en 2014, la France se rapproche du maréchal Haftar au motif qu’il serait une pièce maitresse de la lutte contre les milices armées proches d’AlQaïda mais aussi un rempart efficace contre l’installation de l’Etat islamique et son expansion en Libye. Sous couvert de la lutte anti-terroriste, la France envoie des forces spéciales aux côtés du maréchal Haftar, des conseillers militaires mais aussi du matériel censé protéger les éléments français sur place. Tout cela sans aucune communication à la représentation nationale.
Au nom du secret-défense, le dossier libyen est géré non pas par les Affaires étrangères ou la cellule africaine de l’Elysée, mais par Jean-Yves Le Drian, le ministre des armées qui mouille sa chemise en faveur de son allié Haftar.
Légitimité diplomatique
En 2017, lorsqu’il est nommé par Emmanuel Macron ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian emporte avec lui le règlement de la crise libyenne. Le Quai d’Orsay prend alors le leadership de la stratégie française de sortie de la crise libyenne.
Mais Le Drian change de fusil d’épaule : il ajoute à la lutte contre le terrorisme la nécessité d’inclure Haftar dans le processus politique. En effet, les accords inter-libyens de Skirat n’ont prévu aucun rôle au militaire. Pour le nouveau ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères, il faut les revisiter et remettre le maréchal Haftar dans le jeu.
La France officialise ainsi ses relations avec Haftar, avec Jean-Yves Le Drian à la manœuvre. Dès le mois de juillet 2017, donc moins de trois mois après l’arrivée de Macron à l’Elysée, la France organise une première rencontre entre Saraj et Haftar à la Celle-Saint-Cloud, en région parisienne.
En mai 2018, la France organise à Versailles une seconde rencontre entre les deux protagonistes de la crise libyenne qui concluent un accord prévoyant un cessez-le ainsi que des élections générales en décembre 2018. Le Drian est aux anges : sa stratégie vient de payer. Il va pourtant très vite falloir déchanter. Des mois passent, aucune solution ne pointe à l’horizon. Ancienne puissance coloniale en Libye, l’Italie s’agace de la stratégie française du cavalier seul alors que l’Union africaine, qui a créé sa propre task force sur la Libye, est tenue à l’égard. L’Algérie, qui partage près de 1000 km de frontière avec la Libye, ne voit pas non plus d’un bon œil les agissements de la France aux côtés de Haftar.
Feu orange de Paris
Devenu fréquentable sur la scène diplomatique internationale, Haftar engrange des succès militaires sur le terrain avec la présence des conseillers militaires français à ses côtés. Après l’est il qu’il avait déjà dans son escarcelle, il conquiert le Sud, le Centre et même le triangle pétrolier. C’est un Haftar confiant dans ses bonnes relations diplomatiques et militaires avec la France qui a lancé le 4 avril 2019 ses troupes à la conquête de Tripoli. Paris, qui dispose des forces spéciales aux côtés de Haftar, ne peut pas convaincre de n’avoir rien vu venir. Au contraire, la France pourrait avoir donné un feu orange, en considérant désormais que la victoire militaire de Haftar serait un moindre mal face à l’impasse diplomatique. Quoi qu’il en soit, même après le début de l’offensive du maréchal Hafar, la France n’ pas retiré les éléments de ses forces spéciales qui ont sans doute pu se trouver en contact direct avec des forces du gouvernement de transition. La preuve de la poursuite de la présence française a d’ailleurs été apportée lorsque des éléments des forces spéciales françaises ont été arrêtés en Tunisie alors qu’ils battaient en retraite dans la précipitation de la Libye où ils étaient aux côtés des forces du maréchal Haftar.
La découverte des missiles de fabrication française dans un cantonnement de l’armée nationale libyenne abandonné dans la précipitation est venue ajouter à l’ambiguïté du rôle déjà trouble de la diplomatie française en Libye. Le ministère français des armées s’était maladroitement défendu en assurant que ce matériel militaire était destiné à protéger « le personnel » présent aux côtés de Haftar, sans toutefois expliquer pourquoi les missiles n’ont été ni emportés, ni détruits.
Il n’en pas fallu plus pour que le gouvernement d’union nationale libyen accuse publiquement la France de complicité avec Haftar alors même qu’elle assure publiquement qu’elle ne reconnaît comme autorité légitime que le Premier ministre Saraj, adoubé par la communauté internationale.
Entre le discours officiel et la réalité sur le terrain, il y a un sérieux décrochage porté par notre ami Jean Yves Le Drian.