Depuis dix-huit mois, certains responsables tirent la sonnette d’alarme sur le risque de trappe à l’endettement des pays africains, seulement dix ans après le mouvement des annulations consenties par les grands pays.
Qu’entend on par « trappe à endettement »?
Depuis 2004-2005, l’Afrique connait une exceptionnelle croissance de plus de 5 %, contre 2,6 % dans les années 80 et 2,3 % dans les années 90. L’afro optimisme a pris le pas sur l’indifférence à l’égard de ce continent, ou sur l’afro pessimisme. L’Afrique est devenue la coqueluche des responsables, des observateurs, des économistes, des investisseurs…et surtout de tous ceux qui avaient oublié l’Afrique pendant quinze ans, attirés par les lumières de l’Asie. L’Afrique a connu une quinzaine d’années très difficiles de la fin des années quatre-vingt avec la très forte baisse des prix des matières premières jusqu’au début des années deux mille. Cela explique la mise en place des ajustements structurels, et le développement de la pauvreté. La situation africaine était telle que plus personne n’entrevoyait la possibilité pour l’Afrique de s’en sortir.
Pourtant, au cours de ces années, l’Afrique a fait preuve d’une formidable capacité de résilience, notamment grâce aux mécanismes de solidarité propres aux sociétés africaines. Par ailleurs, ces politiques macroéconomiques, accompagnées de l’annulation des dettes des pays du Sud, ont permis à l’Afrique de rebondir.
De nombreuses annulations de dettes
Depuis la première initiative française annoncée en septembre 1989 à Dakar, les dispositifs de réduction ou d’annulation ont été nombreux : sommet du G7 de Lyon en 1996 qui reconnait le caractère « insoutenable » de la dette, position confirmée en 1997 au sommet de Cologne, et en 2000 à Tokyo avec un objectif affiché d’effacement des 2/3 de la dette des pays pauvres très endettés (PPTE)…jusqu’au G8 de Londres en 2005 avec l’annonce des contrats de désendettement développement (ou C2D). L’effacement de dettes a porté sur 40 Mds $ et pour 18 pays pauvres très endettés, ainsi que sur 15 Mds$ pour 20 autres pays.
Les efforts d’annulations de dettes ont accompagné le redressement économique, conforté le mouvement de croissance enclenché en 2004-2005, qui s’est accéléré avec le renchérissement de toutes les matières premières très recherchées.
Plus de croissance qu’ailleurs dans le monde
La baisse des prix des matières premières pouvait faire craindre le pire, la rechute et le retour en arrière. Or, il n’en est rien ! Selon le dernier rapport de la Banque africaine de développement sur les perspectives économiques du continent, l’Afrique a enregistré en 2013 une croissance de 4 %, supérieure de 1 point à celle du monde. 2014 a connu une croissance proche de 5 %, en 2017, elle devrait s’établir à 5,7 %.Ces perspectives laissent entrevoir que la croissance africaine n’est plus tributaire des prix des matières premières, qu’elle est endogène, voire durable. C’était le thème de me chronique du 7 avril.
Mais le mouvement de croissance, et les énormes besoins en infrastructures ont entrainé un recours accru à l’endettement pour financer ces investissements pas toujours très productifs. Et l’Afrique est à nouveau engagée dans un engrenage de l’endettement au point que depuis plus de dix-huit mois, cette situation inquiète.
Crédits commerciaux contre matières premières sécurisées
Matt Robinson, le spécialiste chez Moody’s de la notation des dettes souveraines africaines, a dernièrement insisté sur l’évolution de la dette africaine qui est progressivement passée d’une dette bilatérale concessionnelle à une dette constituée de bons d’Etats émis sur le marché. Presque quotidiennement, sont annoncées des émissions publiques dont certaines dépassent le milliard de dollars.
L’emballement de la dette africaine tient aussi aux crédits commerciaux consentis par les pays émergents, et plus particulièrement la Chine. Pour sécuriser leurs besoins en matières premières, ils n’hésitent pas à consentir des impressionnants volumes de crédits commerciaux pour financer des constructions d’infrastructures assurées par leurs entreprises, sans accorder d’importance particulière à ce risque de surendettement. Le problème est d’autant plus aigu que les besoins de financement de l’Afrique sont énormes compte tenu des nombreux défis auxquels est confronté le continent:
Une croissance démographique unique dans l’histoire
La moitié de la population de l’Afrique sub-saharienne a moins de 25 ans
La croissance démographique s’accompagne d’une explosion de la population urbaine
L’accueil de cette population bientôt à majorité urbaine exige un effort continu dans le domaine des infrastructures nécessaires pour approvisionner, loger, éclairer, transporter, soigner, les futurs citoyens de l’Afrique, ce qui suppose des investissements considérables. Ce défi est d’autant plus important qu’aujourd’hui déjà, le manque d’infrastructures amputerait la croissance en africaine de 2% par an en moyenne.
L’Afrique devrait être plus touchée que d’autres régions par le changement climatique. C’était le thème de ma chronique du 28 juillet.
L’endettement africain, selon l’agence de notation Fitch, représente 44 % du PIB contre 87,4% pour l’Europe. Mais le pourcentage était de 34 % il y a cinq ans. Cette situation générale recouvre de fortes disparités entre les pays: Afrique du Sud, Egypte, Maroc, Nigéria et Soudan sont les plus endettés ; les moins endettés sont la Centrafrique, Djibouti, Guinée Bissau, Sao Tomé et Prince, et Swaziland.
En mai 2014, à l’occasion d’une conférence tenue à Maputo, réunissant les ministres des finances et les gouverneurs de banque centrale de l’Afrique sub-saharienne, la directrice générale du FMI, s’était déjà inquiétée de la hausse de l’endettement public, situé « à un niveau qui pourrait être préoccupant ». Les agences de notation suivent de plus en plus près l’évolution de la dette africaine car les pays africains se présentent de plus en plus fréquemment sur les marchés avec des montants de plus en plus élevés, et que la perspective de l’augmentation des taux américains ne rassure pas, car le service de la dette augmentera.
Cette situation exige un renforcement des transferts d’aide publique au développement vers l’Afrique, avec une augmentation du montant des dons.