L’information est passée inaperçue. Le général Austin, patron de l’US Centcom, le commandement militaire américain pour l’Asie centrale et le Moyen Orient, a fait, il y a quelques jours, le bilan de l’opération lancée par les Etats-Unis pour former des « rebelles syriens modérés », destinés à combattre Daesh et accessoirement Assad. La fameuse troisième voie dont nous rebat les oreilles François Hollande depuis le début du conflit syrien. Qu’il entrevoyait encore récemment dans une alliance entre sunnites et kurdes, autrement dit entre la carpe et le lapin. Cette idée de « rebelles syriens modérés », sortie du crâne de têtes d’oeufs du Pentagone, était sur le papier un concept plutôt fumeux. Voulait-on signifier que ces combattants devaient être modérément islamistes, modérément syriens, ou modérément rebelles?
Une « blague » à 500 millions de dollars
Ils sont surtout très modérément combattants, selon le général Austin qui dresse un bilan totalement catastrophique de l’opération. Il tient en quelques chiffres :
1. Les Etats-Unis ont dépensé 500 millions de dollars pour la financer.
2. 54 combattants ont été formés en Turquie alors que le programme originel en prévoyait 5000.
3. Sur ces 54, quatre à cinq, selon Austin, sont actuellement opérationnels et combattent Daesh sur le terrain.
4. Les autres sont portés disparus. Parmi eux, un petit groupe, baptisé « Unité 30 » et dirigé par un colonel déserteur de l’armée d’Assad, qui, à peine lâché dans la nature du côté d’Alep, a été enlevé avec ses hommes par des éléments du Front al-Nosra, branche syrienne d’Al-Qaïda. L’enlèvement, c’est la thèse officielle mais il n’est pas exclu que cette « unité 30 », soit passée avec armes et bagages dans le camp ennemi.
. « C’est une blague! », s’est exclamée une sénatrice républicaine en écoutant les révélations du général Austin. Une plaisanterie à 500 millions de dollars.
Quelle mouche a donc piqué ce patron de l’armée américaine à qui on reprochait ces derniers temps d’avoir enjolivé les rapports du renseignement militaire sur la situation militaire en Irak et en Syrie, et qui a soudain décidé de décrire la réalité, aussi pitoyable soit-elle.
Le virage des Américains
Il est difficile d’imaginer qu’Austin ne soit pas en service commandé. Ses déclarations tombent à pic pour conforter le virage sur l’aile qu’effectue actuellement l’administration démocrate dans son approche du conflit syrien. En se basant non pas sur une approche idéologique de la situation, comme continue à le faire Hollande, mais sur la réalité des faits :
L’armée syrienne libre, ou du moins, ce qui en reste, se fait tailler en pièces par les islamistes du côté d’Alep. Si elle perd cette bataille, elle sera définitivement réduite à néant. La formation de « rebelles syriens modérés » est un fiasco. Bref, la troisième voie entre Daesh et Assad n’existe pas et n’a jamais existé.
L’Etat Islamique, malgré les frappes aériennes, ne cesse s’étendre son influence. Jean-Yves Le Drian l’a lui-même récemment constaté devant les députés français. Le ministre de la Défense s’est inquiété de « la volonté affichée de Daesh de rompre l’axe Damas-Homs, une opération qui, si elle aboutissait, placerait le Liban dans une situation très difficile. »
Les renforts de Poutine
Devant ce double constat, les Américains par la voix de John Kerry, leur secrétaire d’Etat à la Défense, ont entamé une double manœuvre. D’abord, ils ne posent plus comme préalable le départ d’Assad, mais sont prêts à étudier un calendrier qui pourrait, à terme, aboutir au départ du dictateur syrien. Le secrétaire d’État américain s’est aussi réjoui de la volonté russe de concentrer ses efforts sur le combat contre Daesh en Syrie. « Nous nous en félicitons et nous sommes prêts à essayer de trouver les moyens d’éliminer l’EI le plus rapidement et le plus efficacement possible », a-t-il déclaré. Poutine, qui vient d’envoyer plusieurs centaines de militaires, des tanks, des drones et une trentaine d’avions de chasse pour soutenir Assad dans ses derniers fiefs de Damas et de Lattaquié, fait désormais des offres de service pour soutenir la « lutte antiterroriste » en Syrie. Il s’exprimera sur ce sujet ce week-end à la tribune de l’assemblée générale des Nations-Unies, et pourrait profiter de l’occasion pour renouer le dialogue avec Obama, rompu depuis l’annexion de la Crimée.
Hollande hors jeu
En se positionnant ainsi, le leader russe cherche aussi à garder un débouché en Méditerranée, avec Assad, son dernier allié dans la région. Reste qu’il peut être amené à jouer un rôle clé dans la résolution du conflit syrien. Ce n’est pas le cas de la France qui s’est engagée sur le porte-bagages des Américains, qui est montée sur ses ergots pour jouer le père Fouettard contre Assad, qui a fait, en paroles mais pas en actes, de la surenchère guerrière, au lieu d’adopter la posture de médiatrice que lui conféraient ses liens historiques avec la Syrie. Après quatre ans de guerre, des centaines de milliers de morts, quatre millions d’exilés qui frappent à la porte de l’Europe, la diplomatie française est hors jeu au Moyen-Orient. Et ce n’est pas en envoyant tardivement des Rafale faire des ronds dans le ciel syrien que Hollande pourra y rétablir l’influence française. Entre deux maux, Assad ou Daesh, il faudra bien qu’un jour le président français nous dise quel est le moindre. Angela Merkel vient, elle, de choisir: Il faut discuter avec le président Assad, dit-elle.