Les relations entre Yoweri Museveni, le président ougandais et Paul Kagame, le président rwandais, témoignent de la précarité des relations politiques entre deux autocrates.
En politique, les relations amicales et même de type « fraternelles » sont toujours conjoncturelles. Lorsque les intérêts ne sont plus convergents mais divergents, la rupture est inévitable, comme en témoignent les relations entre Yoweri Museveni (75 ans) chef de l’État de l’Ouganda et Paul Kagame (61 ans), chef de l’État du Rwanda.
L’unité dans la conquête du pouvoir
Probablement, Yoweri Museveni n’aurait pas réussi aussi facilement son coup d’État d’abord contre Milton Obote puis Tito Okello et s’emparer définitivement du pouvoir à Entebbe en 1986, sans l’aide précieuse de ses services de renseignements dirigés par le jeune Tutsi rwandais Paul Kagame, alors âgé d’une vingtaine d’années, et son contingent d’exilés Tutsis pour la plupart nés en Ouganda. De même, les rebelles du Front patriotique rwandais de Paul Kagame, formés et aguerris en Ouganda, n’auraient pas pris le pouvoir, aussi rapidement en juillet 1994, contre le régime génocidaire, sans l’armement et les cadres issus du National Resistance Army de Museveni. (NRA) et leurs sanctuaires situés en Ouganda. Museveni était redevable envers Kagame en 1986 et Kagame pouvait être reconnaissant envers Museveni en 1994.
L’alliance contre la RDC en ligne de mire
Bien que n’appartenant pas à la même génération, Yoweri Museveni et Paul Kagame ont beaucoup de points communs. Ils appartiennent tous deux au groupement ethnique Tutsi. Formés au système britannique, ils sont des spécialistes du renseignement militaire et se sont révélés d’excellents stratèges. Ils sont également habités par des poussées expansionnistes visant notamment le Zaïre, qui deviendra la République démocratique du Congo (RDC), et son eldorado minier.
Le Zaïre oriental et le président Mobutu seront vite dans la ligne de mire de Yoweri Museveni et de Paul Kagame. Ce sera d’abord la première guerre du Congo (1996-1997) des coalisés ougandais et rwandais. Les militaires de Museveni et de Kagame chassèrent rapidement Mobutu et portèrent au pouvoir Laurent-Désiré Kabila. Ce sera ensuite la seconde guerre du Congo (1998-2003) avec l’éradication des camps d’opposants au président Kagame, le pillage des immenses richesses du Kivu et du Kassaï , les massacres de populations par les Interahamwe Hutu réfugiés en RDC et les Banyamulenge favorables aux régimes de Kigali et Kampala. Laurent-Désiré Kabila dut se résoudre à chasser ses anciens protecteurs. Après son assassinat en 2001, son fils Joseph Kabila essaya en vain de mettre fin au pillage des ressources minérales de la RDC orientale. Ce pillage continue avec la déstabilisation de la région par les nombreuses milices dont certaines sont proches de Paul Kagame tandis les milices islamistes ADF sont d’origine ougandaise.
Les deux anciens compagnons de route à couteaux tirés
Yoweri Museveni et Paul Kagame, avec le concours de leur entourage et de leurs médias nationaux, vont rapidement mettre en doute la confiance qu’ils avaient réciproquement l’un pour l’autre. La paranoïa prit vite le dessus chez ces deux autocrates qui n’autorisent aucune opposition. Les assassinats de personnalités politiques rwandaises en Ouganda, les arrestations et les mauvais traitements infligés réciproquement à leurs nationaux, l’embargo sur les produits de première nécessité, la fermeture des postes-frontières ont porté à leur paroxysme les problèmes entre l’Ouganda et le Rwanda mais surtout les rivalités exacerbées entre les deux chefs de guerre.
Paul Kagame n’admet pas que son ancien compagnon de route puisse rencontrer des leaders de son opposition comme ceux du Congrès national rwandais ou héberger des Rwandais hostiles à son régime comme Tibert Rujugiro, richissime homme d’affaires et magnat du tabac, qui ne cache pas son opposition active à Paul Kagame. Yoweri Museveni soupçonne son ancien protégé de préparer son renversement et de mener des actions subversives. C’est le prétexte à de nombreuses purges dans l’armée et les services sécurité dont les principales victimes sont des Tutsis d’origine rwandaise.
Du gagnant-gagnant au perdant-perdant
Paul Kagame et Yoweri Museveni avaient conclu un pacte gagnant-gagnant. Ils sont désormais engagés dans un bras de fer perdant-perdant. Paul Kagame n’est plus le faiseur de roi en RDC. Ayant entraîné une imprudente Union africaine, qu’il présidait, Paul Kagame a tout fait pour éviter la proclamation de l’élection de Félix Tshisekedi. Il aura échoué avec les conséquences qui en découlent. Ce n’est pas son élection à la tête de l’East African Community qui le remettra en selle dans la sous-région. Il lui faudra peut-être attendre la réunion du Sommet du Commonwealth, prévue à Kigali au printemps 2020, pour espérer retrouver un rôle de leadership. En revanche, les groupes armés contre son régime s’organisent notamment en Afrique du Sud et au Zimbabwe. Yoweri Museveni proclame haut et fort qu’il est étranger à ce regain de rébellion. Bien évidemment …! Yoweri Museveni devra faire face à la montée des oppositions et des mouvements islamistes. La répression ne suffira pas. La déconnexion des services de renseignement des deux pays est plus inquiétante pour Yoweri Museveni. Sa candidature pour un sixième mandat en 2021, à 77 ans, paraît chaque jour, bien lointaine…
La région des Grands Lacs risque bien de connaître de fortes turbulences non sans conséquences pour toute l’Afrique centrale déjà en partie en ébullition.