Lors de son déplacement à Tunis, le vendredi 7 février, pour la célébration de la ratification de la nouvelle constitution tunisienne, François Hollande, accueilli par le président Moncef Marzouki, a vanté le modèle tunisien. Ces dernier mois, c’est l’attentisme qui a caractérisé une diplomatie française hésitante, traumatisée par le soutien qu’elle avait apporté au régime de Ben Ali, alors que les Américains et les Allemands étaient particulièrement actifs.
« Au plus bas dans les sondages en France, François Hollande a pu croire, l’espace d’une petite journée à Tunis, qu’il restait populaire au pays du jasmin. Comment ne l’aurait-il pas été, lors de ce déplacement express, devant les députés de l’Assemblée constituante, à qui il a chanté les louanges de la transition tunisienne. Et comment ne pas être applaudi en prononçant un discours convenu, sans la moindre aspérité! L’absence d’Angela Merkel et de nombreux autres chefs d’Etat a donné aussi un peu de relief à la présence à Tunis du président français.
On a entendu François Hollande renouveler le soutien de la France au peuple Tunisien, rendre hommage aux martyrs de la révolution et saluer l’aboutissement d’un processus semé d’embûches. « Ce texte de progrès à vocation universelle est un exemple pour les autres pays ; il consacre la démocratie participative, la nature civile de l’Etat, les droits des jeunes, des enfants et des femmes » a-t-il déclaré. Et encore: « votre responsabilité dépasse les frontières. Votre devoir est de réussir pour vous et les autres pays. La Tunisie est un exemple, par votre combat pour la liberté, vous êtes un symbole d’espoir pour le monde arabe».
Une seule image résume le bilan de cette visite en Tunisie, l’accolade entre François Hollande et Mustapha Ben Jaafar, président de l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) et membre de l’Internationale Socialiste, qui est à la tète d’un parti disloqué et se voit remrocher par beaucoup la lenteur des travaux du parlement. Or il fallait voir le bonheur de Bertrand Delanoé, grand ami de Ben Jaafar. Autoproclamé « monsieur Tunisie » de la France, malgré les liens entretenus, hier, avec le régime de Ben Ali, le maire de Paris savourait ce qu’il croit être un succès personnel, comme si l’avenir de la Tunisie se jouait là.
« Papa Hollande » VRP
En oubliant un peu vite les déclarations fort critiques de son ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, sur l’islamisme tunisien, Francois Hollande a proclamé que « l’islam est compatible avec la démocratie ». Quel islam? Dans quel cadre cette compatibilité est possible? En fonction de quelles données historiques, géographiques, assistera-ton à ce nouvel alliage entre l’islamisme et la démocratie? Comment le gouvernement de transition qui vient d’être nommé en Tunisie peut-il procéder face aux 5000 nominations de complaisance effectuées par le gouvernement islamsite d’Ennhadha dans les principaux ministères, notamment à l’Intérieur? On n’en saura pas d’avantage, à écouter Françaois Hollande. La feuille de route, a-til juste rappelé, n’en est qu’à sa première étape, les Tunisiens devront veiller à une relance économique rapide. Certes, mais soit dit en passant, ce n’est pas nécessairement en négociant en coulisses un contrat de six hélicoptères Caracal pour le groupe Eurocoptère d’un cout 300 millions d’euros, qu’ Hollande aidera la Tunisie à boucler ses fins de mois.
Depuis le départ du président Ben Ali en janvier 2011, la France a beaucoup perdu de son entregent diplomatique en Tunisie. On l’a vu infiniment moins active que les Etats-Unis et même que l’Allemagne, étonnamment présente. après la prise du pouvoir par l’armée en Egypte, les Américains et les Allemands ont fait le forcing. Le chef du mouvement islamiste Ghannouchi a été sermonné sur le thème: « Si vous n’allez pas rapidement vers des élections et si vous n’adoptez pas une constitution ouverte à la liberté de conscience et aux droits des femmes, vous risquez de finir comme l’ex président Morsi aujourd’hui emprisonné ». Dans la foulée, le FMI a conditionné un nouveau prèt de 500 millions de dollars à l’adoption du texte constitutionnel. Enfin l’ambassadeur d’Allemagne qui vient de quitter Tunis pour devenir le directeur de cabinet du ministre allemand des Affaires Etrangères a fait un forcing considérable en faveur de la nomintaion du nouveau Premier Ministre, Mehdi Jomaä, dont il est très proche. Face à cet activisme, le Quai d’Orsay s’en est tenu à une ligne consensuelle. Voyons tout le monde, mais ne fachons personne.
Un non événement
C’est le Premier Ministre algérien et possible successeur de Bouteflika comme président, Abdelmalek Sellal, a suscité l’émotion. La main sur le cœur il a affirmé que l’Algérie était aux côtés de la Tunisie, « pour le meilleur et pour le pire » ». Ce qui fait sourire quand on sait à quel point, depuis trois ans, les Algériens regardent avec méfiance la transition tunisienne porteuse à ses yeux d’insécurité aux frontières et de funeste laboratoire démocratique.
La petite sauterie de Moncef Marzouki a été pourtant troublée à la fin par l’intervention d’Ali Larijani, Président du Majlis islamique iranien, qui a jeté une ombre sur le tableau des félicitations et de l’hommage aux martyrs. Son discours éminemment politique contre un occident qui a soutenu les dictatures et qui voudrait revenir à faveur des révolutions arabes a créé un choc. L’iranien a appellé à une union des musulmans de toutes obédiences contre Israël et les Etats-Unis. La délégation américaine a, quant à elle, immédiatement quitté l’hémicycle. Et c’est au pas de course que Hollande a conclu sa brève visite en Tunisie, sans même rencontrer son homologue tunisien Marzouki. Ses conseillers ont expliqué ce départ précipité par l’intervention du président du parlement iranien.
A moins que le président français, englué dans les affaires franco-françaises, n’aie pas vraiment pris la mesure de l’enjeu que constituait la transition tunisienne.
par Mohna Mahjoub