Selon François Hollande et Jean-Yves Le Drian c’est « mission accomplie » au Mali pour l’opération Serval dont la fin a été annoncée dimanche 13 juillet. Dans le nord du pays où les groupes djihadistes sévissent toujours, les combats continuent pourtant de faire rage. Aucun accord n’a été trouvé entre le gouvernement malien et les mouvements séparatistes. Loin de se désengager, la France persiste et signe dans le pays à travers l’opération régionale de lutte contre le terrorisme « Barkhane ». Un dispositif désormais vérouillé par le traité de coopération militaire conclu avec le Mali le 16 juillet, et qui permet à Paris de maintenir son influence dans la zone. Au grand dam du voisin algérien.
Alors que de nouvelles négociations se sont ouvertes mercredi 16 juillet à Alger entre le gouvernement malien et les groupes rebelles, les combats continuent d’ensanglanter les localités du nord Mali où les touaregs du Mnla ont repris la main fin mai.
Combats violents
Au sud de Kidal, dans les communes d’Anéfis et de Tabankort, les affrontements opposent notamment les rebelles du Mnla aux milices du général touareg Elhaj Ag Gamou rallié à Bamako. Les troupes d’Ag Gamou sont notamment composées de volontaires de l’armée malienne, de membres de la tribu arabe des lemhars originaire de la région de Gao et de songhaïs. Signe que la crise sur le terrain s’enlise de plus en plus dans un conflit inter communautaire.
Ces derniers jours, l’armée malienne a d’ailleurs fait état de combats opposant notamment la branche loyaliste du Maa (Mouvement arabe de l’Azawad) qui reconnaît la souveraineté de l’Etat malien, aux touaregs du Mnla. Le Mnla accuse ce mouvement d’avoir engagé des milices pro-gouvernementale et bénéficié du soutien du général Elhaj Ag Gamou. Le commandant de zone du Maa, Mahmoud Jeïd, a pour sa part démenti être en guerre pour le compte de Bamako. Des représentants du mouvement ont même affirmé aider le Mnla à fouiller les habitations situées à proximité de Tabankort dans le but de débusquer Yoro Abdoul Salem. Ce chef de milice arabe lemhar, proche du Mujao, avait notamment déclaré la mort du franco-portugais Gilberto Rodriguèz Leal enlevé en Novembre 2012 à Nioro dans la région de Kayes. Selon des sources proches du Mnla, Yoro Abdoul Salem dirige désormais une des milices adossées à celles du général Elhaj Ag Gamou qui tente de reprendre à Kidal.
Le faux succès de Serval
Ces actions meurtrières portent un coup sévère aux accords de cessez-le-feu signés le 23 mai dernier sous les auspices du président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz. L’état de déstabilisation avancé du nord Mali permet par ailleurs aux groupes djihadistes de continuer à sévir sur le territoire. Le 14 juillet, un militaire français a été tué lors d’un attentat-suicide au nord du pays. Un drame qui apporte un lourd démenti aux déclarations de François Hollande et Jean-Yves Le Drian qui, un jour avant seulement, annonçaient la fin d’une opération Serval « menée à bien avec efficacité ». « Il n’y a plus de sanctuaire pour les groupes terroristes au Mali » avait par ailleurs déclaré François Hollande la veille du défilé du 14 juillet. C’est pourtant le groupe djihadiste Al-Mourabitoune, mené par l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, qui, trois jours plus tard, revendiquait la mort du soldat français.
La mission française au Mali est donc bien loin d’être terminée. Une fois n’est pas coutume, depuis le lancement de Serval en janvier 2013, l’armée française n’a d’ailleurs jamais cessé de revoir ses objectifs. Intervenues afin de stopper les djihadistes alliés des rebelles dans leur progression vers le sud du pays, les soldats français n’ont fait que les repousser, notamment vers le sud Libyen. Livré au chaos, cette zone constitue aujourd’hui une base arrière riche en armes et en combattants pour les djihadistes. Forcées d’abandonner l’idée d’une intervention de courte durée, les autorités françaises s’apprêtent désormais à lancer l’opération « Barkhane » qui prévoit de mobiliser 3000 hommes dans cinq pays du Sahel. L’essentiel de l’unité de commandement devrait se trouver à N’Djamena.
Coopération ou ingérence ?
Une révolution de façade qui ne change rien sur le terrain malien. « Le millier de soldats présents à Gao restera à Gao et leurs compétences seront les mêmes » confie une source sécuritaire malienne. Preuve que le Mali reste un maillon clé de la stratégie française au Sahel, ce redéploiement intervient au moment de la signature du traité de coopération militaire longtemps retardée entre les deux pays. Jean-Yves Le Drian a annoncé que l’accord doit « renforcer la coopération militaire entre le Mali et la France dans les domaines du renseignement, de la formation, de l’échange d’informations pour assurer la sécurité sur le territoire malien et dans le Sahel. » Au Mali, ce programme est bien loin de faire l’unanimité. Partout dans le pays, des voix s’élèvent pour dénoncer l’ingérence de l’ancienne puissance coloniale accusée qui plus est de faire le jeu des rebelles du nord.
Le Mnla, dont les responsables du ministère de la défense français ont répété tout au long de l’année 2013 qu’il n’était « ni un ami ni un ennemi », est en effet l’allié de toujours des services et des militaires français. Force d’appui de la France dans la lutte contre le terrorisme, le Mnla a par aillleurs joué un rôle clé pour la libération d’otages français dans la région. Après la signature de cet accord, explique un officier malien, « si la France ne prend pas position clairement pour le pouvoir de Bamako, elle risque d’être définitivement assimilée à une force d’occupation. »
L’un des points les plus épineux de ce traité est celui du statut de la base militaire aérienne de Tessalit qui fait l’objet de nombreuses convoitises. Située à la frontière algérienne, elle constitue en effet un verrou stratégique pour la lutte contre le terrorisme. Longtemps sous la coupe du commandement français en Afrique-Occidentale française, elle a notamment servi à la surveillance des indépendantistes algériens du FLN. Si le premier ministre Moussa Mara a assuré qu’il n’était en aucun cas prévu de céder cette base à la France, le flou plane sur la marge de manœuvre dont bénéficieront réellement les troupes françaises.
Bras de fer France-Algérie
Sans surprise, ces manœuvres déplaisent fortement au voisin algérien qui a tenté de les faire échouer. Selon une source sécuritaire malienne, l’ancien ministre de la défense Soumeylou Boubèye Maïga aurait œuvré au retardement de la signature du traité initialement prévue pour janvier 2014. Ancien patron des services de renseignement maliens originaire de Gao, Soumeylou Boubèye Maïga est en effet l’homme des bonnes relations avec l’Algérie. Poussé vers la porte après la déroute de l’armée malienne à Kidal le 21 mai au grand dam d’Alger, il vient d’être nommé médiateur de la crise centrafricaine. « Une façon de l’éloigner et d’ouvrir la voie à Paris », explique la même source. Une thèse que contredisent cependant plusieurs observateurs qui considèrent avant tout ces retards comme le fait de la Présidence qui joue la fibre nationaliste. Quoi qu’il en soit, l’accord de coopération militaire rejoue en filigrane l’éternel bras de fer entre la France et l’Algérie qui souhaite à tout prix maintenir Paris hors de sa zone d’influence sahélienne.
De son côté, Alger s’accroche à son rôle de médiateur qui lui permet de garder la main sur le dossier de la crise malienne. Coupée du reste du Mali, la région de Kidal dépend de facto presque entièrement de l’Algérie depuis 2012 pour sa survie économique. De nombreux rebelles touaregs se méfient pourtant du grand voisin du nord qui n’a jamais tenu ses promesses lors des accords de Tamanrasset (1992) et d’Alger (2006) scellant les précédentes rébellions.
Lancées dans un contexte extrêmement houleux, les nouvelles négociations qui se sont ouvertes le 16 juillet ne s’annoncent pas plus faciles. Les groupes du nord sont toujours divisés. Les trois principaux groupes rebelles, Mnla, le Hcua, et le Maa ont d’ores et déjà exigé d’être être les seuls interlocuteurs de Bamako, excluant ainsi les groupes dissidents également invités mais jugés trop proches du pouvoir malien. Surtout, les questions de fond concernant le statut de Kidal et du nord Mali n’ont toujours pas été abordées et s’annoncent plus qu’agitées. Les groupes rebelles souhaitent un statut spécifique pour l’Azawad, le grand territoire du Nord-Mali où se trouvent les Touaregs. Une question sur laquelle, les autorités maliennes ne sont pas prêtes à transiger. Au lancement des négociations, le ministre des affaires étrangères malien, Abdoulaye Diop, a d’ailleurs exclu d’emblée toute option d’indépendance ou d’autonomie. « Tous les présents à Alger savent que l’intégrité du territoire est non négociable » renchérit une source proche de la présidence.