Pour la première fois de son histoire, l’Algérie participera à la fête nationale du 14 juillet à Paris. L’invitation a été lancée à l’initiative de François Hollande à l’occasion du centenaire de la première guerre mondiale. Symboliquement, trois militaires algériens seront présents lors d’une animation sur la place de la Concorde. Une décision qui provoque un tollé dans les deux pays. Notre chroniqueur, Hichem Aboud, décrypte les raisons de cette polémique et dénonce le silence de la « famille révolutionnaire » sur les abus des autorités au pouvoir.
Même s’il ne s’agit que d’une participation à une animation et non pas à la parade militaire des Champs Elysées, la présence de l’Algérie à la cérémonie du 14 juillet en France est un évènement inédit dans l’histoire des deux pays. Il n’a d’ailleurs pas manqué de susciter bon nombre d’interrogations et protestations des deux côtés de la méditerranée. Preuve, que 52 ans après la fin de la guerre d’Algérie, les plaies sont toujours ouvertes. Les relations entre les deux Etats demeurent passionnelles malgré un brassage de population plus important et un nombre croissant de binationaux et d’aspirants à la naturalisation.
Levée de bouclier au Front national
Sur la rive nord de la méditerranée, c’est l’extrême droite, par la voix du Front National, qui se distingue le plus et affiche clairement son hostilité à la présence des militaires algériens, « même s’il ne s’agit que de trois bidasses ». Le député du FN Gilbert Collard a cosigné un communiqué de presse avec le député européen Louis Alliot et le conseiller municipal de Perpignan Mohamed Bellebou, président de « France-Harkis », pour dénoncer l’intrusion algérienne dans le défilé du 14 juillet. Les signataires invoquent un problème d’ordre moral et politique.
« Problème politique d’abord car l’Algérie est un Etat policier dirigé d’une main de fer par une caste prédatrice et un autocrate qui ne se distinguent pas pour leur respect du suffrage et des droits de l’Homme. S’ajoutent à cela des insultes permanentes adressées à la France et des obstructions dans des dossiers aussi emblématiques que celui de l’assassinat des moines de Tibhirine » , écrivent-ils. « Problème moral ensuite (…), l’armée algérienne est née au sein même du FLN, organisation terroriste qui a massacré et spolié des dizaines de milliers de personnes sans jamais exprimer le moindre remords ou adresser la moindre compassion envers les victimes ». Tout est résumé dans ces deux arguments qui sont, aussi étonnant que cela puisse paraître, développés par une bonne partie de la classe politique algérienne du côté de la rive sud de la méditerranée.
Une hostilité partagée
Le secrétaire général de l’Organisation National des Moudjahidine (les anciens combattants de la guerre d’Algérie 1954-1962) évoque, lui aussi, dans une déclaration publique faite dimanche 6 juillet, la même problématique. «On pourra imaginer un défilé militaire ensemble lorsque l’ancienne puissance coloniale présentera ses excuses pour les crimes commis en Algérie» Le rejoignent, dans cette position, des chefs de partis politiques et à leur tête Abderrazak Mokri, président du Mouvement de la Paix Sociale, un parti islamiste qui faisait partie de la coalition présidentielle. Tous développent pratiquement les mêmes arguments que Gilbert Collard et ses compagnons. Pour eux, «La politique étrangère algérienne repose sur le patrimoine de la guerre de Libération. Entre les Algériens et les Français, il y a un contentieux. Les militaires algériens ne doivent pas défiler avec les militaires français. Il y a une histoire entre nous. Et les Français refusent la repentance alors qu’ils demandent toujours aux Turcs un acte de repentance par rapport à ce qui s’est passé avec les Arméniens. »
La culture de l’hostilité, pour ne pas dire la haine, pour tout ce qui est français, a toujours servi d’instrument au pouvoir algérien pour compenser son illégitimité en jouant sur la fibre patriotique. Une posture consistant à systématiquement mettre en cause la main de l’étranger (pour ne pas direcelle de la France) à chaque fois que la rue bouge ou qu’un danger vient menacer un système rejeté par la quasi-totalité de la population y compris, souvent, par ceux qui en tirent profit. Tout récemment, Louiza Hannoune, la secrétaire général du parti des Travailleurs (trotskiste) et candidate malheureuse à la présidentielle à quatre reprises, n’a pas manqué de s’attaquer à la France, la rendant responsable de tous les maux qui rongent l’Algérie et les pays arabes touchés par les révoltes qui ont emporté Ben Ali, Kadhafi et Moubarak.
La France, paradis des « révolutionnaires » algériens
La famille révolutionnaire, « qui n’a plus de révolutionnaire que le nom », composée des organisations des anciens moudjahidine, des enfants de chouhada (martyrs de la guerre de libération) et des enfants de moudjahidine, est montée, elle aussi, au front de la contestation pour dénoncer et appeler à l’annulation de la participation de l’armée algérienne au défilé du 14 juillet à Paris.
Mais, aussi, paradoxal que cela puisse paraître, cette famille révolutionnaire a à sa tête le secrétaire général de l’Organisation Nationale des Moudjahidine, Saïd Abadou dont le parti, le RND, est pour la participation à la parade militaire. Tout comme lui, la secrétaire générale du parti des travailleurs devenue depuis quelques temps l’avocate numéro un du pouvoir de Bouteflika ne trouve pas d’inconvénient à aller se soigner dans les hôpitaux français ou inscrire ses enfants dans les universités françaises. Par ailleurs beaucoup de membres de la nomenklatura algérienne n’hésitent pas à envoyer leurs épouses accoucher dans les cliniques de l’ancienne puissance coloniale pour obtenir facilement la nationalité française par le droit du sol.
En revanche, aucune réaction de leur part quand ils apprennent que des membres du cercle au pouvoir détournent les deniers publics pour les investir dans des appartements, hôtels et commerces dans l’hexagone. Ils ne s’offusquent pas quand le secrétaire général de l’emblématique FLN s’achète des biens en France et constitue une Société Civile Immobilière dont lui, son épouse et ses enfants sont actionnaires. Un bon moyen d’assurer à tout le monde un avenir radieux sur les rives de la Seine. Sur ces sujets, ils restent muets comme une carpe.
Muets aussi, quand leur président de la république est admis pour un long séjour à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce puis à l’institut des Invalides réservé uniquement à ceux qui ont redu de grands services à la France. L’hospitalisation s’est déroulée sans l’accompagnement des hommes de l’Etat qui sont restés dans l’ignorance totale de ce qui se passait derrière les murs de l’hôpital. Aucune voix ne s’est élevée quand ce même président de la république se réunissait, dans une salle de l’institut des Invalides de Paris, avec son chef du gouvernement et le chef d’Etat-major de son armée sous le portrait de François Hollande et du drapeau français. L’image a été largement diffusée par la télévision algérienne et relayée par de nombreuses chaînes de télévisions étrangères et les réseaux sociaux.
Omerta généralisée
Ces voix qui s’élèvent contre une normalisation avec la France ne s’étaient pas offusquées quand des milliers de jeunes algériens exprimaient leur désir de fuir l’Algérie devant les chefs de l’Etat français, Chirac, Sarkozy et Hollande lors de leurs visites successives à Alger en leur réclamant des visas pour la France. Ces manifestations se déroulaient devant le président Bouteflika qui ne semblait pas éprouver la moindre gêne. La scène s’est produite à trois reprises. Et, cerise sur le gâteau, un citoyen algérien a poussé le bouchon plus loin en faisant le baisemain à François Hollande sous les yeux du président algérien. Interrogé par les media algériens, le bonhomme disait ne pas regretter son geste et avoir « baisé une main propre ».
Aucune de ces gardiens du temple du patriotisme, qui jouent aux vierges effarouchées, n’a exprimé la moindre protestation contre ces despotes qui forcent des enfants de moudjahidine et de martyrs à solliciter l’asile politique en France parce qu’en Algérie il leur est interdit de s’exprimer et d’agir librement.
Où était passée cette « famille révolutionnaire » quand la célébration du cinquantenaire de l’indépendance, le 5 juillet 2012, s’est faite dans un climat morose? Une célébration marquée par le silence assourdissant du président de la république (il n’était pas encore malade) qui n’avait pas daigné adresser un mot au peuple pour le féliciter en cette mémorable occasion. Pourquoi ces patriotes ne s’interrogent-ils pas sur l’interdiction de parader faite à leur armée depuis belle lurette ? Même pour la célébration du cinquantenaire de l’indépendance il n’y a pas eu de défilé militaire. Cette année, le 5 juillet s’est limité au dépôt d’une gerbe de fleurs sur la tombe du président Houari Boumediene transformé pour la circonstance en carré des martyrs au cimetière d’El-Alia. Sur un fauteuil roulant, Bouteflika ne pouvait pas effectuer ce geste protocolaire au monument des martyrs à cause des escaliers. C’est ce qui explique le choix du cimetière d’El-Alia qui n’a pas connu pareille cérémonie depuis 32 ans. Même la traditionnelle cérémonie de remise de grades aux nouveaux promus de l’armée s’est déroulée le 3 juillet et non pas le 5. Le président ne s’y est même pas rendu.
L’année 2014 étant l’année du 60ème anniversaire du déclenchement de la guerre de libération et alors que le 1er novembre est tout proche, rien n’indique que les pouvoirs publics préparent quelque chose de grandiose pour commémorer cette date considérée comme la plus importante dans l’histoire du pays. La famille révolutionnaire autoproclamée ne semble pas s’en soucier.
Ces « bons patriotes » ont bien vibré durant le mondial brésilien et exprimé une fierté démesurée par les exploits d’une sélection nationale de football dont les joueurs sont nés et formés en France. Le staff technique et le staff médical viennent de l’hexagone, également. Même le caméraman de l’équipe est français. Tout ce beau monde (hormis cinq ou six joueurs et un entraîneur adjoint) présente un passeport français aux postes frontaliers dans les pays où ils se rendent pour défendre les couleurs algériennes. Personne ne s’est demandé pourquoi, après 52 années d’indépendance, l’Algérie n’arrive plus rien à produire. Pas même un bon footballeur bien que les potentialités existent à profusion. Pourtant, il y a 32 années de cela, l’équipe participait au mondial ibérique avec une équipe pleine de jeunes stars du football « made in Algeria ». Même leur équipement était fabriqué dans les ateliers d’une société étatique.
Bouteflika, le donneur d’ordre
Il y a, cependant, une chose très importante que semblent ou feignent ignorer ces « bons patriotes ». Ils n’ont pas le courage de dénoncer, fut-ce du bout des lèvres, le donneur d’ordre de cette participation à la fête nationale française. C’est le président Bouteflika lui-même (ou son frère Saïd agissant en son nom) qui a donné ordre au commandement militaire d’envoyer des soldats algériens parader sur les Champs Elysées. Réticent au début et ne s’attendant guère à pareille décision, le commandement militaire a fini par acquiescer quand bien même le général de corps d’armée Gaïd Salah, le plus vieux soldat de la planète, chef d’Etat-major de l’armée et vice-ministre de la défense nationale, est connu pour être un farouche adversaire (de l’ombre) des anciens officiers déserteurs de l’armée française qui s’étaient emparés des rouages du pouvoir dans les années 90.
Hormis Bouteflika qui pourrait prendre pareille décision ? Quelqu’un d’autre serait tombé sous le coup de la haute trahison. Pour une simple déclaration à un media français, qui ne soit pas du goût des hommes du pouvoir, on est vite taxé de « harki » (suprême offense pour un algérien). En Algérie, on est habitué aux injonctions et aux ordres venus d’en haut. Et en haut il n’y a que Bouteflika ou son frère si l’on s’accorde à dire que le président n’est pas en possession de toutes ses facultés mentales et physiques. Cela est connu par l’algérien lambda qui n’est pas aussi dupe que le pensent ses gouvernants.
« La famille révolutionnaire » doit, donc, bien savoir que c’est Bouteflika qui envoie trois militaires algériens participer à une animation sur la place de la concorde à Paris. Cela leur rappellera bien la concorde civile concoctée par Bouteflika. Cette concorde qui permet, aujourd’hui, à Madani Mezrag dont la tête était mise à prix en sa qualité de chef de l’Armée Islamique du Salut qualifiée d’organisation terroriste avant l’arrivée de Bouteflika au pouvoir, d’être reçu au palais présidentiel en grandes pompes pour donner son avis sur la mouture de la future constitution que veut se tailler le président durant ce quatrième mandat. Mandat marqué jusqu’ici par une activité réduite à recevoir de temps à autre une personnalité étrangère dans sa résidence de Zéralda et non pas au siège de la présidence d’El-Mouradia qui demeure vacant depuis plus d’une année.
Une fois le donneur d’ordre connu, « la famille révolutionnaire » oserait-elle élever le la voix pour s’opposer à la participation de l’armée algérienne à la fête nationale française? Chiche ! Qu’ils osent.