Ces derniers mois, avec la montée en puissance de l’Etat islamique (EI), l’étoile du Frère Omsen, de son vrai nom Oumar Diaby, a un peu pâlit sur les terrains de bataille syriens. Figure de proue de Jahbat al Nosra, l’organisation djihadiste concurrente affiliée à Al Qaïda, ce franco-sénégalais de 36 ans faisait encore figure, début 2014, d’ennemi public numéro 1 pour les services antiterroristes français. Aujourd’hui, l’homme se fait plus discret
Le Frère Omsen, de son vrai nom Oumar Diaby, qui avait régnait sur la principale katiba (brigade) de combattants français en Syrie, longtemps basé dans la région d’Alep, se serait aujourd’hui replié derrière la frontière turque. Son compte Facebook, sa principale arme de recrutement massif a été désactivé. Traqué par les services, abandonné par un nombre croissant de ses soldats et même menacé de mort par ses concurrents de l’EI qui l’ont décrété apostat, Omsen a pris du champ avec la lutte armée. Il se concentre aujourd’hui sur son « cœur de métier » historique : la production de vidéos islamistes de propagande à destination d’un public de désœuvrés dans les banlieues françaises. A destination de ceux qui lui ressemble.
Complicité d’homicide dès l’age de 19 ans
Frère Omsen, de son vrai nom Oumar Diaby, est l’un de ces enfants des quartiers déshérités des grandes villes. Né au Sénégal, il y a 36 ans, arrivé à Nice encore enfant, le jeune Diaby est d’abord un petit délinquant de cité avec un casier long comme un vendredi de prière. Un petit voyou qui expérimente son premier séjour derrière les barreaux en 1995 pour complicité d’homicide volontaire. Il a alors 19 ans. Impliqué dans un règlement de compte entre les bandes des quartiers de l’Ariane et du Moulin, sur fond de trafic de shit, le jeune homme a tué un rival en le percutant avec sa voiture. Il prend cinq ans. Pas suffisant pour l’assagir. Au contraire, il prend du galon dans la hiérarchie du milieu des cités. En 2002 et 2003, il est mis en cause dans le braquage de deux bijouteries à Monaco. Retour derrière les barreaux. Mais cette fois-ci, il va en ressortir transformé.
En prison, le franco-sénégalais a découvert la religion. L’Islam radical. L’homme d’un naturel charismatique a trouvé sa voie. Il devient une sorte de grand frère de la cité Bon-Voyage à Nice, partageant son temps entre prêche enflammé et petits trafics. Il s’est rebaptisé « Frère Omsen ». C’est sous ce nom qu’il se lance en 2005 dans la production vidéo. Une idée en or pour séduire son public de jeunes en déshérence scolaire, incapables de lire les livres sacrés mais scotché sur des mauvais séries policières piratées sur internet. « Avec un ordinateur et de simple logiciels de montage et de trucages, Diaby s’est mis à concevoir des clips délirants religieusement mais très efficace esthétiquement », relate un membre de la communauté du renseignement.
Le Web comme un tremplin
L’homme devient une personnalité sur le web djihadiste. Ses vidéos diffusées sur internet avec un succès croissant, n’échappent pas longtemps aux services antiterroristes. Sa rhétorique islamiste est minutieusement disséqué. « Sa thématique rappelle la notion « Al Wala wa-l-bara » (« l’alliance et le désaveu ») c’est-à-dire l’obligation pour le croyant de sceller un lien indestructible avec ses frères élus et celle de rejeter toute personne, y compris musulman, qui est susceptible de compromissions avec la société impie. Le rejet de ces musulmans « indignes » occupe une place importante dans la démonstration, analyse un rapport du Ministère de l’Intérieur (dans ses vidéos, ndlr). «La seule manière pour le musulman d’éviter cette corruption généralisée de l’Islam est de fuir ces terre de mécréance ».
Omsen, figure de la « djihadosphère » française est surveillé. Pour sa fréquentation du groupe Forsane Alizza (les cavaliers de la Fierté), un groupe de fondamentalistes démantelé après l’affaire Merah, ses (maigres) avoirs sont même gelés par les autorités. Mais les services n’ont pas encore détecté la réelle dangerosité de Frère Omsen.
C’est un peu par hasard, que ces projets concrètement belliqueux sont découverts. En décembre 2011, Frère Omsen, recherché dans une affaire de vol et recel en bande de pièces automobiles volées, est arrêté à la gare de Nice. Les enquêteurs s’aperçoivent alors qu’il s’apprêtait à embarquer pour la Tunisie et avait prévu de rejoindre l’Afghanistan via la Libye. Omsen est de nouveau incarcéré. Mais l’incrimination terroriste ne tient guère devant la justice. Remis en liberté avec bracelet électronique au printemps 2012, il en profite pour terminer sa grande œuvre de vidéaste, une sorte de documentaire mêlant extraits de journaux télévisés, harangues inspirés, musique religieuse et effets spéciaux de pacotille. Le film baptisé « 19HH- destination terre sainte » est censé présenter l’histoire de l’humanité. Pour Omsen, elle se résume bien évidemment à l’oppression des musulmans par l’Occident. L’opus se conclut clairement par un appel à la hijra: « il faut quitter la terre de mécréance avec femmes et enfants comme l’avaient fait Moussa (Moïse) et Mahomet ( lors de la fuite vers Médine) ».
Du Sénégal à la Syrie, via la Mauritanie
C’est d’ailleurs ce qu’il fait à l’été 2012. Echappant à la surveillance judiciaire, il disparaît au Sénégal. Et, finalement, rejoint la Syrie par la mer, un an plus tard, après un détour par la Mauritanie et la Tunisie. Il ne dispose semble-t-il d’aucun contact bien établi en terre syrienne et hésite à sous la bannière de laquelle s’enrôler. « A l’époque, les combattants français arrivant en Syrie faisaient de frequent aller-retours entre l’Etat Islamique et Jabhat al Nosra, souvent sur un coup de tête, après avoir été séduit par le discours de tel ou tel émir », explique Romain Caillet, chercheur à l’Institut français du Proche-Orient à Beyrouth. Le frère Omsen se fixe chez Jahbat al Nosra, officiellement pour des raisons religieuses : « Les gens de l’Etat islamique sont en fait de jeunes ignorants sans formation religieuse sérieuse », expliquait-il, au printemps au Nouvel Observateur. En réalité, il semble que le djihadiste franco-sénégalais ait surtout choisi le camp qui lui donnait toute latitude pour constituer sa propre katiba de français. Les mains libres, Oumar Diaby va utiliser toute son aura dans la djihadosphère pour devenir le principal recruteur de Français pour la Syrie. Outre une partie de sa famille dont des enfants mineurs rapatriés du Sénégal, il tente de convertir à la Guerre Sainte les dizaines de « fans » qui sont ses « amis » sur Facebook. Son principal adjoint, Mourad Fares un djihadiste originaire de Thonon-les-bains en Haute Savoie, se charge de l’intendance, faisant passer les candidats au djihad arrivés à la frontière turque à travers la frontière syrienne.
Début 2014, la katiba des Français compte pas loin de 80 membres, tous venus de France ou de Belgique. C’est par exemple le groupe de Frère Omsen que deux mineurs de Toulouse, Yacine, 15 ans et Ayoub, 16 ans, rejoignent pendant quelques semaines en janvier 2014. Las ! Déçus par la morne vie sur le front et restés en contact avec leur famille les deux lycéens rentreront en France, quelques semaines plus tard, pour être mis en examen pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». C’est le début du déclin pour le groupe de Frère Omsen.
Deux de ses hommes, un étudiant grenoblois et un jeune roubaisien sont tués au combat quelques semaines plus tard. Un petit groupe de copains de Strasbourg, venus expérimenter le djihad font également défection et rentrent effrayés en France, où ils sont arrêtés et incarcérés. L’identité de son passeur en chef, Mourad Fares, est dévoilé publiquement par les autorités. La publicité est du plus mauvais effet. Des membres de la katiba des Français rejoignent en nombre les rangs de l’Etat islamique, plus dans le vent et mieux armés. Depuis, Frère Omsen, esseulé, erre quelque part entre le Nord de la Syrie et la Turquie. Censuré partout sur le web à la demande de la Direction générale de la Sécurité Intérieure (DGSI), il peine à mettre la dernière main à sa dernière vidéo. Début août, le web-prédicateur Omsen annonçait un nouveau retard pour la diffusion d’une nouvelle trilogie de son l’histoire du monde en vidéo censée être terminé au printemps dernier. Coupable ? « La nouvelle vague de censure provenant de Facebook » écrivait-il. « Nous sommes pour le moment très dépendant de Facebook », avouait-il, en hommage involontaire au site fondé par le juif américain Mark Zuckerberg, américain et juif, sans lequel le djihad n’est plus grand-chose sur la Toile.