Condamné en première instance à six ans de prison dans deux dossiers vides, le bloggeur et journaliste Maher Zid doit être jugé en appel le vendredi 22 février.
La condamnation des plumitifs et autres journalistes d’enquête dans la Tunisie post Ben Ali devient une fâcheuse habitude. Dans ce petit pays pionnier depuis le fameux printemps de 2011, on avait pris l’habitude de considérer que la liberté d’expression constituait une heureuse exception tunisienne. Le monde arabe et maghrébin était retombé sous une lourde chape de privation de liberté, mais la Tunisie portait l’espoir d’une société où les valeurs démocratiques et les traditions islamistes seraient réconciliées.
Or comme a du le constater dans un récent rapport l’excellente ONG « Human Rights Watch », de nombreux bloggeurs sont poursuivis et emprisonnés à Tunis dans de conditions qui n’ont rien à envier avec celles qui existaient pendant les vingt quatre années de la dictature du général Ben Ali.
Des procès en rafales
Notre confrère Maher Zid paie très cher sa passion pour l’information et le courage qu’il montre, depuis 2011, pour dénoncer les atteintes aux droits humains et les dérives sécuritaires dans son pays. Les sympathies qu’il a toujours manifestées pour les idées islamistes, en a fait en effet une cible privilégiée d’une partie de l’appareil sécuritaire et d’une justice plus corrompue que jamais.
Par ailleurs, le livre fort instructif et rigoureux qu’il vient de terminer mais sans le publier encore, sur le comportement suspect des forces sécuritaires dans le déclenchement de l’attentat qui eut lieu en mai 2016 à Mnihla, ne lui vaut pas que des amis en haut lieu. Ainsi l’ancien ministre de l’Intérieur, Lotfi Brahem, patron de la Garde Nationale, la gendarmerie tunisienne, au moment des faits (1) cherche à neutraliser un Maher Zid devenu sa bête noire pour avoir mené cette fort belle remarquable sur des agissements apparemment peu déontologiques.
Le secret des sources piétiné
Dans les deux dossiers vides où notre confrèe a été jugé en première instance (sur la dizaine de plaintes qui ont déposées contre lui!), il a déja écopé de six ans de prison. C’est cher payé pour user d’une liberté d’information devenue, veut)on croire, la marque de fabrique du modèle tunisien.
Lors d’un premier procès, Maher Zid a été condamné à quatre ans de prison, pour avoir détenu des PV du ministère de la Justice. A ce tarif là, la plupart des journalistes dits d’investigation, devraient être placés en détention.
Le seul crime qui lui est reproché, puisque crime il y aurait, serait d’avoir dérobé les documents lors d’un stage de quatre mois au ministère de la Justice en 2011. Autant d’accusations qu’il réfute. Il s’est procuré, explique-t-il, comme le font beaucoup de ses confrères, des PV de justice grâce aux liens qu’il avait tissés avec des magistrats et des avocats. Ce dont sont venus témoigner certaines de ses « sources » d’information.
Filmez, vous serez condamné!
Dans le deuxième procès qui lui a été intenté, la justice tunisienne a condamné Maher Sid pour avoir filmé le docteur Sahbi Amri, un personnage haut en couleur qui, sur son fauteuil roulant, s’en prenait violemment au chef de l’Etat, Beji Caïd Essebsi. Ce qui a valu à cet activiste quelques années de prison dans cette Tunisie que l’on ne reconnait plus.
Le moins qu’on puisse dire est que le mouvement islamiste Ennahdha n’a guère la reconnaissance du ventre? Pas un mot de soutien, aucune pression sur le gouvernement auquel ils participent comme ministre, pour défendre l’allié objectif qu’aura été Maher Sid, par ses écrits, pendant les huit années de la transition démocratique. Il parait qu’en privé certains dirigeants Nahdhaouis lui ont adressé quelques discrets messages de sympathie. C’est peu.
Si en instance, le vendredi 24 février, Saher Zid voit sa condamnation confirmée par la cour d’appel, le printemps tunisien ressemblera un peu plus à un hiver arabe. Une deuxième Egypte? Personne nepeut espérer un tel sort à ce pays qui a montré la voie à suivre.
(1) Pour avoir écrit un article en juin 2018 sur « les ambitions déçues » de Lotfi Brahem, Mondafrique est poursuivi en justice à Paris et à Tunis. La recevabilité de la plainte de l’ancien ministre doit être examinée par le TGI de Paris le 6 avril 2019. Nous reviendrons sur ce contentieux.