Les « enfants de Sankara », héritiers du leader politique assassiné en 1987, ont mis dehors le président Blaise Campaoré. Rencontre avec Abdou, l’un de ces « bébés Sankara »
Abdou raconte la scène comme s’il s’en souvenait : « J’étais dans les bras de ma maman quand Thomas Sankara a été assassiné ». Ce 15 octobre 1987, Abdou est à peine âgé de quelques mois. Le président du Conseil national révolutionnaire du Burkina Faso vient d’être tué lors d’un coup d’Etat sanglant. Blaise Compaoré s’est emparé du pouvoir, auquel il s’accrochera pendant 27 ans – l’âge exact d’Abdou aujourd’hui. « Je n’ai pas connu d’autres présidents que lui », soupire le jeune technicien en génie civil. « J’ai trop vu sa tête ! ».
Régime oppresseur
Depuis qu’il a le droit de vote, jamais Abdou n’a donné sa voix à Blaise Compaoré. Chaque élection était, pour lui, une occasion d’adresser à cet indéboulonnable président une sorte de « dégage ». « Depuis que j’ai compris que des étudiants, des journalistes et d’autres personnes qui critiquaient le pouvoir disparaissaient sans suite ni justice, j’ai commencé à me mobiliser contre ce régime », se souvient Abdou. Le jeune homme est originaire de Koudougou. La troisième ville du pays a une réputation de rebelle. Ses habitants, peut-être plus qu’ailleurs, sont particulièrement sensibles à l’injustice. En 1998, la cité s’est violemment révoltée après la disparition d’un des siens, le journaliste Norbert Zongo, assassiné alors qu’il enquêtait sur le frère du président. « Chaque 13 décembre, nous continuons à réclamer justice pour lui », rappelle Abdou, qui n’était encore qu’un petit garçon à l’époque des faits.
En 2011, une autre affaire Zongo, une autre injustice, met Koudougou à feu et à sang. Cette fois, il s’agit d’un élève, Justin, passé à tabac dans un commissariat de la ville. Sa mort révolte ses camarades, qui descendent dans la rue et crient leur soif de justice. Abdou est dans les cortèges. Le mouvement fait tâche d’huile et se répand à travers tout le pays. Pendant des semaines, les étudiants, les magistrats, les enseignants, les militaires, la garde présidentielle, les commerçants manifestent à Koudougou, Ouagadougou, Bobo… Ras-le-bol de l’injustice, ras-le-bol des prix qui flambent, ras-le-bol du système politique en place qui favorise toujours les mêmes. Le pouvoir de « Blaise », tout juste réélu pour un quatrième mandat, vacille au son du « dégage » qui fit tomber quelques mois plus tôt Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Egypte.
« Ce mouvement de 2011, c’était juste le début. Nous étions déterminés à en finir avec le régime en place », dit Abdou. « Nous avions demandé à Blaise Compaoré de finir son mandat et partir s’il voulait passer par la grande porte. Mais il s’est entêté. Il a voulu modifier la constitution pour rester plus longtemps au pouvoir. Il pensait être au-dessus du peuple. Il ignorait que les enfants de Sankara avaient grandi ». Abdou évoque le leader burkinabè assassiné avec admiration. Beaucoup de ceux qui ont conduit le soulèvement populaire qui a poussé Blaise Compaoré à la démission le 31 octobre dernier sont, comme lui, des jeunes nés dans les années 1980 qui se revendiquent comme les héritiers du révolutionnaire qui fit tant pour le pays des Hommes intègres. « Il disait que si quelqu’un le tuait, des milliers de Sankara naîtraient », rappelle Abdou. « Blaise Compaoré a pu régner 27 ans parce que nous, les enfants de Sankara, nous n’avions pas grandi ».
Génération rebelle
Les gamins sont devenus des hommes. Aujourd’hui, ils espèrent que personne ne confisquera « leur » révolution. « L’armée à intérêt à remettre le pouvoir aux civils. Sinon, ils savent ce qui les attend ! », prévient Abdou, prêt à redescendre dans la rue à la moindre incartade du colonel Zida, le chef de l’Etat auto-proclamé en cette période de transition. Abdou est confiant. « Le Burkina Faso ne va pas sombrer dans le chaos maintenant. Le Burkinabè est un homme de paix. Si nous sommes sortis, c’est parce que notre dignité, et surtout notre comportement paisible étaient abusés par le gouvernement. L’homme intègre n’avait qu’un seul objectif : le départ de Blaise. Après sa démission, tout a repris, comme si de rien n’était ». Dès le lendemain, les manifestants nettoyaient les rues, soutenaient les blessés et leurs familles.
Son avenir à lui, Abdou, l’envisage dans la politique. Les événements de ces dernières semaines lui ont donné quelques idées : « je voudrais être président des jeunes de l’Union pour le progrès et le changement dans mon quartier. Si on ne fait pas la politique nous, on se fera toujours manipuler par les assoiffés du pouvoir ». La revanche des enfants de Sankara ne fait que commencer.