L’Afrique vit une longue période de croissance économique, notamment dans certains pays comme l’Éthiopie ou la Côte d’Ivoire. Mais les peuples sont de plus en plus pauvres.
Une chronique de Moussa Mara, ancien Premier ministre malien
Les chiffres publiés montrent que les pays asiatiques, notamment la Chine, ont su accroitre les revenus de leurs populations de manière significative au cours des vingt dernières années.
Ce qui n’est pas le cas des pays africains qui abritent aujourd’hui la majorité des pauvres de la planète. Pire, même à certains endroits le nombre de pauvres augmentent en Afrique
La croissance économique dans nos pays reste fragile et demeure liée à des facteurs que nous ne maitrisons pas tels que la pluviométrie et les conditions climatiques ou encore le cours des matières
premières. Dans certains pays, la croissance est tirée par quelques secteurs dont l’impact sur les populations reste limité. C’est le cas des mines, des télécommunications, de la finance ou de certains services. Les actionnaires des grandes compagnies présentes dans ces secteurs bénéficient nettement
plus de la croissance africaine que les africains eux-mêmes.
« On ne mange pas sur une route »
Dans nos pays, les priorités gouvernementales sont presque toujours portées sur les infrastructures et l’énergie. Cela peut se
comprendre mais même quand des réalisations sont constatées, leur incidence n’est pas immédiatement perceptible sur les revenus des populations comme le rappelle éloquemment le célèbre dicton ivoirien : « on ne mange pas les routes ».
Il est vrai que l’effet d’une route se fait souvent attendre, notamment quand elle peine à se traduire par un accroissement des échanges économiques,
des relations entre les acteurs, une plus grande facilitation des créations de richesse et une fréquentation qui lui assurent une certaine rentabilité.
Il est encore plus frappant de constater que les États ne semblent pas faire de la question des revenus
des populations leur priorité. La redistribution des fruits collectifs ne touche pas les populations les plus défavorisées. Nous n’avons pas de politique économique à long terme et maintenons les yeux
braqués sur les déficits, la masse monétaire, les ratios d’endettement…Nous créons nous-mêmes des carcans comptables dans lesquels nous nous maintenons et qui se traduisent par l’assimilation des
populations à des facteurs de dépenses plutôt que des sources de prospérité. La moindre des revendications populaires est analysée à son aune budgétaire et financier, en termes de coûts et non d’opportunités de progrès.
Toujours plus de croissance, toujours plus de pauvreté
Le résultat de cette situation est l’observation d’un taux de croissance moyen de l’ordre de 5% mais avec toujours plus de mécontentement, de pauvreté, de chômage et de migration de nos populations
vers des cieux jugés plus prometteurs.
Ces constats reviennent à établir que l’enjeu en Afrique ne doit pas être seulement la croissance, bien présente et souvent à des niveaux appréciables. Le défi ne doit pas être non plus uniquement la démographie qui, bien que pesant sur la réduction de la pauvreté, reste inférieure à la croissance en moyenne et n’empêche donc pas l’accroissement du revenu moyen par habitant. Il est impératif de mettre en lumière le fait que le vrai enjeu stratégique pour le Continent est celui du revenu de ses
populations. C’est notre aptitude à sortir de la pauvreté la plus grande partie des Africains qui déterminera l’avenir du Continent.
Dans cette optique, les élites dirigeantes africaines doivent
accorder plus d’attention au sort de leurs administrés et prioriser les questions économiques, souvent plus difficiles à traiter que les questions sécuritaires ou politiques. Ils doivent, pour ce faire, revoir leurs
priorités et stratégies ainsi que leurs modes de gouvernance.
Il est urgent qu’on s’y prenne autrement, qu’on change de paradigme économique et qu’on s’oriente vers nos populations, leur bien-être, leur prospérité et leurs revenus, peu importe où elles se trouvent
et qui elles sont ! Il devient désormais obligatoire de réorienter nos réflexions, nos politiques et nos moyens vers cette direction souvent ignorée par les décideurs continentaux et par les partenaires qui
nous accompagnent.