Après la tuerie de Charlie Hebdo, il pleut un méchant crachin sur les trottoirs de Saint Denis dans le 9-3. La ville est en deuil
Il dégouline un mauvais crachin sur les trottoirs sales de la ville. Les visages disparaissent sous les capuches et les parapluies. En ce jour de deuil national, Saint-Denis arbore une tête de circonstance. Dans un café du centre ville fréquenté par des Beurs et des Blacks, l’ambiance paraît légère au nouvel arrivant. Salutations convenues. « Ca va ? Tranquille ? » interroge un habitué. Derrière son comptoir, le patron kabyle arbore un grand sourire. « Excuse, j’ai pas mis mon gilet pare-balles », lui lance le journaliste. Son visage s’éclaire et il murmure : « C’est plutôt un gilet anti-cons que tu dois acheter ! »
Pages hippiques
« Ils ne tueront pas la liberté », clame à la Une « le Parisien » qui traîne sur le comptoir. Au coin du bar, trois maghrébins commentent la tuerie de la veille. « Ils disent de ne faire d’amalgames, mais beaucoup de gens le font », lâche, inquiet, le plus âgé d’entre eux, barbu, la cinquantaine. « Allez le 9, pousse le 9 », crie un turfiste devant l’écran de télé qui retransmet les courses hippiques du jour. Manifestement, il a joué une partie de son RSA sur ce numéro. L’ambiance retombe.
Les regards sont posés sur les pages hippiques du journal. « Ils ont tué Charlie », crie, provocateur, un consommateur attablé au fond de la salle. On ne sait pas si c’est du lard ou du cochon et personne n’attrape ses paroles au vol. Il fait un flop. Personne n’a envie de commenter les événements de la veille. Et, à la respirer de plus près, l’atmosphère est plus lourde qu’il n’y paraît. Les conversations en français se convertissent en arabe à l’approche du Blanc, dont le visage est pourtant connu. Et, les regards plus méfiants.
Manque de couilles
Sur la terrasse, deux autochtones discutent à l’écart. « Moi, je vous dis, les Français n’ont pas de couilles à tolérer des choses comme ça », s’emporte un petit trapu. « Vous êtes français ? » « Non je suis portugais. Ca fait plus de trente ans que je suis ici et je ne suis pas prêt à demander la nationalité d’un tel pays. » Visage fermé, un quadragénaire l’approuve. Et, jette, en s’éloignant, un « je pars à la chasse » qui ne laisse pas d’équivoque sur ses sympathies politiques. « Salamalec ». Le Portugais vient de saluer un de ses amis arabes. Ils plaisantent quelques instants ensemble. « Tu vois, j’ai plein d’amis ici », glisse t-il au journaliste. « Pour ne pas avoir de problèmes, je dis comme eux. »
Plus loin dans un cyber , un Arabe se laisse aller : « J’ai mal au cœur. Tout ça me fait frissonner. » Des Blacks, interrogés sur l’attentat, sont moins loquaces. « No comment, tranche l’un d’eux. Ici, on ne sait pas qui est qui, donc on ferme sa gueule. » Dans la communauté noire, c’est la peur qui domine. Sur le trottoir, un Ivoirien se lâche : « Vos affaires de droits de l’homme vont vous tuer vous les Français. Si une telle chose était arrivée dans mon pays, il y a longtemps que les terroristes auraient été descendus. Mais, chez vous, les flics doivent demander trois fois pardon avant de tirer. »