Les révélations du Monde sur le gigantesque système de fraude fiscale mis en place par HSBC secouent 130 000 personnes morales ou physiques. Le trio gagnant du continent africain est représenté dans l’ordre par l’Afrique du Sud, le Maroc et le Kenya
Selon des documents obtenus par le journal français « Le Monde », plusieurs personnalités africaines auraient placé des sommes d’argent colossales auprès de la filiale suisse de la banque anglaise HSBC (HSBC Private Bank). Au total, ce sont quelques 50 milliards par an qui passent dans les circuits illicites du blanchiment d’argent. Certains pays, comme La Tanzanie, le Sénégal ou la Côte d’Ivoire ont vu des sommes, représentant jusqu’à plus de 30% de leur budget santé, transiter dans le système de la filiale suisse.
« Le trio d’or »
L’Afrique du Sud préside la liste avec un contingent de 1 787 clients détenant 2 221 comptes.
En haut de la liste figure Fana Hlongwane qui possède une vingtaine de comptes dont le montant total s’élève à 12.7 millions de dollars. Homme d’affaires spécialisé dans les secteurs des équipements militaires, il fut conseiller spécial du ministre de la Défense Joe Modise de 1995 à 1998. « Il est entre autres accusé de « fraude et de corruption » dans l’affaire de contrats d’armements suspects signés à la fin des années 1990 (Arms Deal) « qui inquiéte l’actuel président Jacob Zuma » rapporte « Le Monde ».
Le Maroc figure en deuxième position avec 1 068 clients chez HSBC pour un montant qui dépasse le milliard et demi de dollars. Parmi eux, Fouad Filali, ex-beau-frère du roi et ex-PDG du holding royal SNI, figurait dans les fichiers de la banque « en connexion avec des entités légales dont les avoirs dépassaient 16 millions de dollars».
On trouve également « Sa Majesté le roi Mohammed VI », codétenteur d’un compte ouvert le 11 octobre 2006 avec son secrétaire particulier, Mounir El-Majidi.
Le Kenya complète le trio d’Or avec 742 clients pour un montant de plus d’un demi-milliard de dollars. « Le Monde » a promis de consacrer prochainement des articles spécifiques sur ce pays, tout comme sur le Gabon et La Guinée équatoriale.
Le Nigeria cumule 236 clients pour un total de 266 millions de dollars.
Aliko Dangote, avec une fortune estimée à 25 milliards de dollars, est considéré comme l’homme le plus riche d’Afrique. Il occupe d’ailleurs le 23e rang au classement mondial 2014 du magazine américain « Forbes ». Aucun montant n’est indiqué sur sa fiche.
Chief Bode, 82 ans, homme d’affaire présent dans les secteurs des télécommunications, de l’immobilier au Nigeria et à Londres, mais également dans la finance, l’agroalimentaire, le transport maritime, la pêche, l’importation la distribution, la production d’allumettes, de bière, de biscuits… Bref, dans tout ! Il aurait dissimulé près de 24 millions de dollars en Suisse, une fraction de sa fortune colossale estimée à 1,2 milliard de dollars, selon Ventures Africa.
Côte d’Ivoire et le Sénégal
Ils sont plus de 382 clients pour 190 millions de dollars en Côte d’Ivoire et plus de 310 clients ayant 188,5 millions de dollars au Sénégal, selon les documents de HSBC. Ce sont deux pays « où la communauté libanaise monopolise le fichier client HSBC … leurs comptes sont parfois crédités de plus de 35 millions de dollars. Ils forment le club des millionnaires ivoiriens de HSBC.»
On trouve d’autres personnalités connues du grand public comme Patrick Bédié, le fils de l’ancien président ivoirien Henri Konan Bédié, qui a fait carrière dans le négoce du café-cacao. Ou encore un petit-fils de Félix Houphouët-Boigny. Les sommes qui ont été déposées sur ces deux comptes ne sont pas indiquées dans les documents du Ciji.
Erythrée
Ghebreselassi Kidane, 37 ans, « qui se présente chez HSBC comme « chauffeur de voiture », domicilié à Asmara, dispose depuis 2007 de plus de 106 millions de dollars.
Hassen Abdalla Beshir, référencé comme un « banquier » possède quant à lui « plus de 209 millions. « Aucune information n’est disponible sur ces deux personnages, dans un pays qu’Amnesty International qualifie d’immense centre de détention, où des citoyens prisonniers de leur propre pays sont régulièrement raflés par l’armée, contraints à travailler pour un État phagocyté par le parti ».
Mali
Selon « Le Monde » « Tony Azar » qui possède depuis 2007 un compte riche de 35,3 millions de dollars « est de loin le plus riche des 99 Maliens » adeptes du blanchiment d’argent.
Tunisie
22 millions d’euros pour le seul compte de Belhassen Trabelsi (réfugié au Canada avec sa famille depuis la révolution de janvier 2011). Il est le frère de Leila Trabelsi, l’épouse de l’ex-dictateur tunisien Zine el Abidine Ben Ali.
Tarek Bouchamaoui, un homme d’affaires tunisien et frère de Wided Bouchamaoui (la patronne des patrons tunisiens !) détenteur de 43 millions d’euros.
République démocratique du Congo
En RDC, la grande majorité des clients millionnaires de HSBC Private Bank sont des industriels d’origine belge, des entrepreneurs issus des communautés juive ou libanaise. Comme Hassan, riche importateur de produits pharmaceutiques et industriels, également à l’œuvre en Angola, dont le compte ouvert en 2006 abrite 3 millions de dollars. Un haut responsable congolais de l’usine de planification de Kinshasa dispose, lui, de beaucoup plus : 60 millions de dollars. Ce qui reste modeste au regard des fortunes brassées par un cartel d’hommes d’affaires israéliens où l’on retrouve Nir Livnat, diamantaire établi à Johannesburg, Daniel Steinmetz, dont le frère Benny est au cœur de l’affaire Simandou en Guinée, ou encore Mozes Victor Konig, dont le compte est crédité de plus de 120 millions de dollars répartis entre plusieurs sociétés.
D’autres pays africains sont touchés par le scandale Swiss Leaks comme la République Centrafricaine (467 592 dollars), le Burundi (3,26 millions de dollars), Djibouti,L’Egypte (31 millions de dollars) ou encore La République Démocratique du Congoet Zimbabwe (22 millions d’euros).
Des pertes conséquentes
Selon le bilan du « Panel de haut niveau sur les flux financiers illicites » de l’Union africaine, paru en juillet 2014, entre 50 et 60 milliards de dollars échappent chaque année aux États africains. L’évasion et l’évitement fiscal coûtent chaque année au continent noir plus que ce que lui rapporte l’aide au développement, soit 46,1 milliards de dollars. L’estimation donnée par le panel est certainement sous-estimée, puisqu’elle « exclut souvent certaines formes de flux financiers » incalculables comme les flux provenant « de la corruption et du trafic de drogues, de la traite des personnes et du trafic des armes à feu »