La fronde grandissante contre Ali Bongo pousse François Hollande à prendre ses distances et le groupe Total à perdre patience face à l’Etat gabonais.
Cela fait deux semaines, deux longues semaines que l’un des avions de la République du Gabon est immobilisé sur une piste annexe de l’aéroport d’Orly. Cet appareil, un Boeing 777, a été saisi à la demande d’une société suisse spécialisée dans le transport des personnalités de marque, qui réclame huit millions de dollars d’impayés.
Suite à ces révélations du Figaro, la présidence gabonaise s’est dit « étonnée » par la procédure judiciaire visant cet appareil, estimant qu’elle concerne une période antérieure à l’élection du président Ali Bongo Ondimba. « Alors que l’aéronef immatriculé TR-KPR se trouve en France pour des travaux de maintenance, nous apprenons qu’il fait l’objet d’une procédure pour des faits antérieurs à 2009, explique ce communiqué, visiblement ignorant du principe de continuité de l’Etat. La présidence (…) marque son étonnement dans la mesure où d’une part, cet appareil de l’Etat est couvert par les conventions internationales, et d’autre part, les faits, objets de la procédure ne concernent ni l’acquisition dudit aéronef ni son exploitation. »
Hollande aux abonnés absents
L’appareil est rivé au tarmac depuis le jour de sa saisie, dans l’attente d’une décision de la justice française. A priori anodine, l’« affaire » a pris des proportions diplomatiques nouvelles ces derniers jours. Dans un contexte de tension croissante au Gabon, Ali Bongo Ondimba n’a pu compter sur aucune intervention des autorités françaises.
Sans attendre cet épisode aéroportuaire, des voix hostiles au régime gabonais ont commencé à se faire entendre en France : le Parti Communiste Français, à travers notamment un article mis en ligne le 19 décembre 2014, l’UNEF (le 23 décembre 2014 en soutien aux étudiants arbitrairement arrêtés et maltraités en prison pour avoir manifesté pour des conditions d’étude dignes) ou encore Europe Ecologie Les Verts, dans un communiqué du 25 décembre 2014, soutiennent la population gabonaise dans son combat.
Total vent debout
Le président de la République, François Hollande, avait abordé le sujet à mots couverts lors de la remise du prix Chirac et du discours du sommet de la Francophonie le 29 novembre 2014, répétant qu’il se tenait aux côtés des peuples qui aspirent à la démocratie et à la liberté. Ces derniers jours, l’Elysée a reçu une piqûre de rappel sur la gravité de la situation au Gabon. Le fondateur de l’association environnementale Rainforest, Marc Ona Essangui, a remis à Hélène Le Gal, conseillère Afrique du chef de l’Etat français, un mémorandum soulignant le risque d’embrasement du pays si Ali Bongo continuait à se maintenir au pouvoir par la force. Avec sa communauté française de plus de 10 000 personnes (si l’on s’en tient aux expatriés immatriculées au Consulat à Libreville) et ses importants intérêts économiques, la France et son président ne sauraient longtemps faire fi de ce qui se passe au Gabon.
Un « lâchage » d’Ali Bongo par la France n’est plus à écarter aujourd’hui. Les affaires étant toujours les affaires, l’élément décisif de cette dégradation des relations entre Libreville et Paris a pour nom Total. La compagnie pétrolière française n’a toujours pas digéré la procédure engagée à son encontre en février 2014 par l’Etat gabonais. Total Gabon avait alors reçu un avis de redressement fiscal de 805 millions de dollars, assorti d’un avis de mise en recouvrement partiel, à la suite du contrôle fiscal dont la société avait fait l’objet au titre des années 2008 à 2010. Depuis, beaucoup des éminences de Total ne veulent plus entendre parler d’Ali Bongo et de ses méthodes, jugées en infraction avec les règles tacites de la « Françafrique ». La grogne sociale, et les pertes qu’elle engendre pour Total, n’a rien fait pour rétablir sa cote. Vu comme un nouveau Laurent Gbagbo, conciliant dans le fond mais ingérable sur la forme, ABO est en train d’épuiser son crédit auprès des milieux économiques français. Jusqu’au game-over ?