Ex-président du Parlement et principal opposant du président nigérien Mahamadou Issoufou, Hama Amadou doit être jugé en appel lundi 27 avril dans une affaire de trafic de bébés.
Bête noire du président nigérien Mahamadou Issoufou avec qui il mène un bras de fer sans merci, Hama Amadou, 65 ans, est un vieux de la vieille de la politique nigérienne. Premier ministre pendant neuf ans sous la présidence de Mamadou Tandja, ce peul de culture djerma – la deuxième ethnie du pays – qui n’a pas la réputation d’être un tendre, parle d’une voix calme aux journalistes, deux saillantes cicatrices cruciformes aux joues. Si Hama Amadou aime se définir lui-même comme un « libéral », il a pourtant soutenu la candidature du socialiste Mahamadou Issoufou en 2011 avant de prendre la tête de l’Assemblée nationale puis de claquer la porte de la coalition au pouvoir en août 2013. Depuis, le divorce consommé entre les deux anciens alliés s’est transformé en une guerre d’ambitions à couteaux tirés. Coup de théâtre un an plus tard, accusé par la justice nigérienne d’être impliqué dans un trafic de bébés qu’il dénonce comme une manoeuvre politique, Hama prend la fuite vers le Burkina Faso où il entretient une amitié de longue date avec le président Blaise Compaoré toujours en poste à l’époque. Il s’exile ensuite à Paris où il patiente depuis huit mois « le temps que la roue tourne » sourit-il. Son procès en appel au Niger dans l’affaire du trafic de bébé est prévu pour le lundi 27 avril. Entretien avec ce ténor de la politique nigérienne
Mondafrique. Cela fait maintenant trois ans que Mahamadou Issoufou est à la tête du pays. Quel bilan tirez-vous de son mandat ?
Hama Amadou. Issoufou n’a ni bilan, ni avenir. D’un point de vue strictement politique, je dirais que depuis trente ans, son régime est celui qui a le plus déçu. Lors de son élection, beaucoup ont cru en sa capacité à apporter des changements positifs dans la vie quotidienne des citoyens. C’est l’une des raisons pour lesquelles je l’ai moi-même soutenu. Je me suis trompé. Aujourd’hui la corruption a atteint des sommets. Nous assistons au pillage systématique des ressources nationales au profit d’une petite côterie dans l’entourage du président. Par exemple, les revenus issus du pétrole n’ont aucun impact sur le budget national. Je suis bien placé pour le dire puisqu’en qualité de président de l’assemblée nationale, je dirigeais les débats sur le budget. Pourtant, c’est en s’appuyant sur les revenus issus de cette nouvelle ressource qu’Issoufou a déclaré en 2012 que le Niger avait un taux de croissance de 11,6%. Comment peut-on avancer un tel chiffre ? Le secteur industriel reste à l’état embryonnaire. Les PME dont le développement est freiné par un taux de pression fiscale exagéré se réfugient dans le secteur informel. L’exploitation de l’uranium elle-même connaît de grosses difficultés.
Le Niger qui est l’un des pays les plus pauvres du monde est noyé sous les problèmes. Le système éducatif est en faillite et produit 70% d’analphabètes. La démographie est galopante : une femme a en moyenne 7,6 enfants et la population devrait doubler dans moins de 20 ans. Des pénuries alimentaires frappent régulièrement le pays qui manque cruellement d’infrastructures. Quelles mesures ont été adoptées ?
Dans le domaine social, le Niger reste irrémédiablement en bas du classement de l’Indice de Développement Humain. En 2011, le parti du président avait prévu de mobiliser 6000 milliards de francs CFA sur la période du mandat. Aujourd’hui on ne sait toujours pas si ces fonds ont été soulevés ni s’ils ont fait l’objet d’un redistribution et dans quels domaines.
Concernant la sécurité alimentaire, le pouvoir en place avait lancé le programme « 3N » (Les Nigériens nourrissent les nigériens) destiné à mettre un terme aux pénuries en aidant les agriculteurs. Ce n’est ni plus ni moins qu’un éléphant blanc. Ce programme n’a aboutit à aucune action concrète. Il prévoyait notamment de faire bénéficier les paysans de davantage d’engrais pour améliorer la production. Or aujourd’hui, la quantité distribuée est d’environ 0,5kg par hectare et par an, bien loin des 50kg par hectare préconisé par l’Union Africaine à l’horizon 2015. Pourtant, les besoins dans ce secteur sont énormes. 86% de la population nigérienne vit de l’agriculture et de l’élevage. Autre signe de l’échec de cette politique, le commissaire en charge du programme Amadou Alaouri Diallo a quitté précipitamment la semaine dernière ses fonctions pour un nouveau poste à la FAO à Rome.
Le Sahel dans son ensemble est aujourd’hui une zone de turbulences qui rend les avancées difficiles. Tous les maux du Niger ne peuvent être mis sur le dos du seul président.
Certes ! Mais n’est-ce pas le rôle d’un président que de tenir ses engagements pour remédier aux problèmes ? Or moi je ne vois non seulement aucune amélioration mais je constate en plus que la corruption a fait un pas en avant et qu’aucun projet ne se concrétise.
Pourtant certains projets voient le jour comme par exemple la ligne de chemin de fer reliant Niamey au port de Cotonou dans laquelle Bolloré va investir 1 milliard d’euros.
Oui mais y a t il eu un appel d’offre ? Non, on a clairement contourné le code des marchés publics. Y a t il eu une étude technique avant la pose des rails ? Non plus. Plusieurs syndicats ont d’ailleurs indiqué que l’écartement des rails n’est pas conforme aux standards internationaux et pointé les risques d’accidents.
L’an dernier, Areva et le Niger se sont livrés un véritable bras de fer pour négocier le renouvellement des contrats d’exploitation de deux mines d’uranium en vigueur depuis des décennies. Il s’agissait de permettre au pays de tirer davantage de revenus de l’extraction de l’uranium.
En fait, l’accord n’a jamais été formalisé. Aucun document détaillant le résultat des négociations n’a été présenté à l’Assemblée ni publié. Le ministre des mines s’est contenté de nous tenir un discours vague à la tribune. A l’époque, l’objectif était de faire en sorte qu’Areva se soumette à la loi de 2006 qui prévoyait une redevance de 12 % de la valeur du minerai extrait, contre 5,5 % actuellement. On ne pouvait se permettre de ne pas appliquer cette loi à Areva sans risquer de devoir accorder les mêmes avantages aux autres entreprises. Parmi les mesures envisagées pour augmenter les revenus du Niger issus de l’exploitation de l’uranium, il était prévu de faire appliquer la TVA sur les produits et activités intermédiaires. En effet, de nombreux produits utilisés pour exploiter et extraire l’uranium sont importés. Or, le président a fini par céder sur ce point lors des négociations et a annulé la mesure en arguant que l’application de la TVA avait été neutralisée parce que l’uranium est un produit d’exportation et que, comme c’est prévu par la loi pour ce type de produits, la TVA ne peut s’appliquer. L’argumentation est passée à côté de la question.
Donc pour vous, les négociations ont donné l’avantage à Areva ?
Pas vraiment non plus. C’est là tout le paradoxe : ce résultat n’est satisfaisant pour personne. Aucune condition n’est suffisamment favorable pour permettre à Arevz de poursuivre son exploitation. L’entreprise connaît d’énormes difficultés financières et les pays occidentaux ont tendance à geler leurs projets de centrales nucléaires. Les stocks d’invendus n’incitent plus Areva à produire plus d’uranium. D’où le gel de l’exploitation de la mine d’Imouraren qu’on disait si prometteuse. Par ailleurs, la situation sécuritaire devenue extrêmement dissuasive pour les entreprises.
Justement, avec une frontière commune avec le sud libyen, base arrière de groupes terroristes, le nord du Nigéria en proie au chaos de Boko Haram et une frontière commune avec le Mali, le Niger fait face à une situation sécuritaire extrêmement précaire.
Le Niger est menacé c’est certain. La sécurité du pays ne pourra être assurée qu’à travers une mutualisation des forces et des moyens de l’ensemble des pays de la CEDEAO et dans le cadre d’une coopération internationale contre le terrorisme. Il faut également travailler de manière plus étroite avec l’Algérie. Le Niger, le Mali, le Tchad et l’Algérie doivent s’entendre pour créer les conditions de l’émergence d’un Etat en Libye capable d’assurer davantage de sécurité dans la partie sud du pays.
Au sud, le Nigéria doit mieux s’organiser pour contrer les actions de Boko Haram à l’intérieur du pays. Là encore, la coopération en matière de lutte contre le terrorisme entre le Niger, le Tchad et le Cameroun est essentielle. Il faut à tout prix priver Boko Haram de la possibilité d’avoir un terrain de repli.
L’Algérie est soupçonnée de jouer un rôle trouble dans cette zone qu’elle considère comme sa zone d’influence et où elle souhaite préserver ses intérêts. De même, il existe des soupçons sur les complicités entre le Tchad et Boko Haram. N’est-il pas risqué de faire alliance avec ces Etats dans ces conditions ?
C’est de ne pas s’allier avec l’Algérie qui est risqué dans cette zone ! Sans une coopération avec eux, la France n’aurait pu intervenir comme elle l’a fait au Mali. Si les avions français avaient du contourner l’Algérie pour se rendre dans la zone, les résultats n’auraient pas été les mêmes. S’entendre avec l’Algérie est d’une nécessité impérieuse pour le Mali et le Niger.
Côté tchadien, je ne crois pas du tout que Boko Haram ait pu s’entendre d’une quelconque façon avec Idriss Déby qui est à la tête d’un régime considéré comme « infidèle » par les intégristes. Par ailleurs le Tchad aurait beaucoup à perdre si Boko Haram se renforçait dans cette zone. Si la secte parvenait à prendre le contrôle de la route qui relie le Cameroun et le Tchad, principale voie d’approvisionnement du pays, l’impact économique sur l’ensemle du pays serait désastreux. D’autant que l’oléoduc qui évacue le pétrole tchadien vers le Cameroun passe par cette même zone.
Selon vous, le nouveau président nigérian Muhammadu Buhari peut-il apporter des solutions ?
Oui. Beaucoup de choses vont changer dans le bon sens. C’est un homme intègre qui croit en la force du Nigéria et qui aspire à rendre à l’Afrique de l’Ouest sa grandeur. Souvenons-nous que pendant la guerre du Sierra Leone, c’est le Nigéria qui envoyait des troupes pour tenter de stabiliser le pays. C’est le rôle naturel du Nigéria d’être une puissance régionale influente.
Mais pourra-t-il maîtriser une armée nigérian minée par la corruption qui a souvent employé des méthodes brutales et innefficaces contre Boko Haram ?
Buhari est un général. Il connaît les principaux chefs de l’armée dont il va nécessairement recomposer la direction pour atteindre les objectifs qu’il aura lui-même fixés.
Mahamadou Issoufou a plusieurs fois appelé la France à assurer un « service après vente en Libye » à travers une intervention dans le sud du pays. C’est une position soutenue par une partie du ministère de la défense français mais à laquelle s’oppose l’Elysée. Quelle est votre opinion ?
Je suis contre toute intervention dans le sud Libyen. D’abord, contre qui se battrait-on ? La Libye est fondée sur un système tribal qui rend, dans l’état actuel des choses, toute solution militaire compliquée et risquée. En revanche il existe un embryon d’Etat reconnu par la communauté internationale à Tobrouk. Il faut le soutenir et aider à reconstruire une armée. C’est ce qui a été fait en Somalie. Il a donc fallu reconnaître et appuyer le peu d’Etat qui avait été mis sur pied dans ce pays après des années de chaos pour tenter de le faire réexister.
De violentes émeutes ont éclaté au Niger en janvier dernier après la publication des caricatures du prophète par Charlie Hebdo. Est-ce le signe d’une radicalisation de la société et d’une montée d’un sentiment anti-occidental ?
Non. Ces émeutes ne sont pas le fruit d’un sentiment anti-occidental. Par contre, il y a un décalage certain entre les apsirations du peuple et la manière de faire du président qui a affirmé « Je suis Charlie » sur les antennes. C’est cela qui a déclenché la plus grande vague de colère. Les assassinats des journalistes de Charlie Hebdo sont une infamie que l’islam condamne d’ailleurs fermement. Mais dans un pays à 99% musulman, les caricatures du prophète peuvent être vécues comme une provocation.
Les prochaines élections présidentielles sont prévues pour 2016. Comment envisagez-vous votre avenir politique après le procès de lundi ?
Je serai candidat. Et il y aura nécessairement une alternance. Si je ne l’emporte pas, ce sera l’un de mes alliés dans l’opposition. C’est arithmétique. Le PNDS, est minoritaire dans le pays où il n’est fort que dans la région de Tahoua, dans le centre-ouest du pays. En face, les trois partis d’opposition (MNSD, CDS, Moden Fa Lumana Africa) représentent environ 75% de l’électorat nigérien et contrôlent l’extrême ouest, le centre, et les villes de Zinder et Maradi à l’est qui à elles seules représentent la moitié de l’électorat en terme de population. De surcroît, depuis la période de la démocratisation et l’instauration du multipartisme en 1991, le Niger a toujours été gouverné par une coalition. Issoufou cherche à perturber les états-majors des partis d’oppositon en débauchant certains de ses membres. Mais il ne peut changer les fidélités électorales.
Depuis l’arrivée de François Hollande au pouvoir, le Niger est considéré comme un allié incontournable au Sahel pour la lutte antiterroriste et la libération des otages. Comment interprétez-vous ce rapprochement ?
Les liens entre ces deux Etats ont toujours été très fort. Ce n’est pas l’œuvre des socialistes. La francophonie est née au Niger. Le hasard a fait que deux pouvoirs socialistes se sont retrouvés au pouvoir en même temps et que le Niger a sollicité l’aide de l’ancienne métropole. Il est évident que les pays de la CEDEAO ont sollicité l’intervention de la France. Quand un fléau vous dépasse vous cherchez de l’aide.
Pour ce qui est des otages, il faut rappeler que c’est à nos pays que ces drames nuisent le plus. Il y a à peine 2000 français au Niger. Si le Quai d’Orsay décide de signaler le pays comme une zone rouge où les français ne doivent pas se rendre, cela nuit à nos intérêts économiques. Donc nous ne pouvons que nous associer à ces libérations. C’est dans notre intérêt pour, à terme, faire venir les investisseurs et les touristes.
Vous entretenez de bonnes relations avec l’ex président burkinabé Blaise Compaoré dont l’un des adversaires, Salif Diallo, est conseiller auprès de la présidence nigérienne. Des rumeurs circulent sur la possible contribution du Niger à la destabilisation de Blaise. Qu’en pensez-vous ?
Blaise Compaoré a beaucoup soutenu Issoufou quand il était dans l’opposition. Or, aider Issoufou ne vous met aucunement à l’abri des virages politiques. J’en suis la meilleure preuve. Kadhafi aussi l’a aidé et il n’a pas hésité à livrer son fils, Saadi, à ses ennemis. Si la rumeur dit qu’il a contribué à la chute de Blaise, je ne peux pas dire que c’est vrai mais j’ai des raisons de ne pas en douter.
Votre jugement en appel est prévu pour lundi prochain. Comment appréhendez-vous ce procès ?
Quand on est innocent on a la conscience tranquille. Aucun magistrat honnête et loyal ne pourrait remettre en cause la décision du tribunal correctionnel qui s’était déclaré incompétent. Mais le monde est ce qu’il est. Tout est possible.