Après l’attentat meurtrier contre le musée du Bardo, les autorités tunisiennes tentent de reprendre la main sur des mosquées passées sous contrôle salafiste. Non sans difficultés
La plus grande mosquée de Tunis, la Zitouna, a finalement été débarrassée des éléments radicaux qui s’en étaient emparés depuis début 2012, sous le regard bienveillant de l’administration de l’époque dirigée par Ennahdha. L’actuel ministre des Affaires religieuses, Othman Battikh, y a donc prononcé un prêche, vendredi 3 avril, dans une volonté de marquer le coup après le long squat organisé par Houcine Laâbidi, l’imam autoproclamé connu pour ses prises de position extrémistes.
Laxisme passé
Dans le même temps le même ministère, dans un effort conjoint avec le ministère de l’Intérieur, affiche son volontarisme sur l’épineux dossier de la « récupération » de certaines mosquées (estimées à 180) qui demeurent aux mains d’imams et de fidèles aux regards davantage tournés vers Le Caire ou Riyad que vers l’avenue Bourguiba ou La Goulette.
Mais comme dans bien d’autres domaines le gouvernement tunisien — à supposer qu’il en ait la réelle ambition — a les mains liées pour procéder à d’authentiques réformes par les ténors d’un « islamisme modéré » à qui il ne faut pas trop en demander non plus. Il y a visiblement encore loin de la coupe aux lèvres avant la pacification de mosquées travaillées au corps par des années de laxisme.
Othman Battikh a été nommé mufti de la République en 2008 par Ben Ali, ce qui est déjà beaucoup trop pour beaucoup de monde dans cette Tunisie post 14 janvier où certains partis politiques n’hésitent pas à pratiquer la surenchère idéologique, souffrant régulièrement de violentes poussées de « révolutionnite aigüe ». L’insupportable scandale saute aux yeux, Bourguiba et Ben Ali ont créé puis entretenu une nation d’ivrognes mécréants, de déchets de la francophonie amateurs de Charles Aznavour à qui il faut redonner le sens des vraies valeurs. Celles de la liberté du port du niqab, de la prise d’assaut de l’ambassade américaine ou encore celle d’organiser des barbecues dans le djebel Châambi en compagnie d’Abou Yiadh ou de Boubaker al-Hakim, alias Abou Mouqatel…
L’ancien « mufti-de-la-République-nommé-par-Ben-Ali » a d’ailleurs été un temps gentiment remisé au placard et remplacé par Hamda Saïed, nommé le samedi 6 juillet 2013 par un Moncef Marzouki à l’exécration de plus en plus à géométrie variable. Proche du wahhabisme, partisan de la polygamie, élu pendant 5 ans sur une liste du RCD (le parti de l’ex-président Ben Ali ! On n’est pas à une contradiction près quand on est révolutionnaire) il semble que le cas Hamda Saïed ait fait vibrer la corde sensible de l’ancien président provisoire, Moncef Marzouki, toujours prompt à défendre les minorités opprimées. Ou pas. Début 2015, après ses années de placard, Othman Battikh refait surface et est nommé ministre des Affaires religieuses dans le gouvernement de Habib Essid. Et c’est donc à lui qu’incombe la lourde tâche de remettre un semblant d’ordre dans certaines mosquées tunisiennes aux airs de Jalalabad.
L’illusion de l’islam « modéré »
Il est vrai que le travail avait déjà été quelque peu entrepris sous le gouvernement de Mehdi Jomâa en 2014. Mais la situation est désormais beaucoup plus embrouillée, avec un parti islamiste Ennahdha qui n’en finit plus de faire le dos rond — par pure stratégie politique — et des attentats ou des attaques, contre les forces de l’ordre ou des touristes, quasi hebdomadaires. Sans même parler de la faille libyenne, qui court depuis Tobrouk jusqu’à Tripoli et qui, au nom de la tectonique des plaques, engendre des secousses de magnitude diverse en Tunisie.
Le dernier épisode en date, survenu quelques jours à peine après la récupération de la Zitouna, voit Ridha Jaouadi, imam de la mosquée Sidi Lakhmi à Sfax, organiser un mouvement de protestation à l’encontre du ministre des Affaires religieuses, Othman Battikh. La raison ? L’imam serait sur le point d’être remplacé par son ministère de tutelle et ne l’entend pas de cette oreille. Il faut savoir que Ridha Jaouadi, en dehors du fait qu’il s’est — lui aussi — emparé de sa mosquée à Sfax en en délogeant par la force son prédécesseur, s’est illustré de nombreuses fois par des prêches d’une rare violence.
Mort en martyre, takfir et taghout sont régulièrement au programme. Démonstration dans ce prêche (en arabe) datant du 7 décembre 2012 :
Soutenu par une « organisation syndicale » née après le 14 janvier 2011 et baptisée Organisation tunisienne du travail, qui se veut une rivale nadhaouie compatible de la centrale syndicale historique, l’UGTT, l’imam de la mosquée de Sfax a réussi son forcing et a finalement obtenu gain de cause auprès de son administration le jeudi 16 avril. Ainsi, au nom de la garantie de la « neutralité des mosquées » et du principe voulant que l’État ne s’ingère pas dans les affaires religieuses, autant d’acquis de la révolution… l’État tunisien s’est engagé à réintégrer les imams précédemment limogés à la condition de leur engagement à respecter la loi.
En résumé les islamistes, pas les fameux et illusoires « modérés » chers à Rached Ghannouchi, le leader d’Ennahdha, ne lâchent rien et font montre d’un réel sens de l’opportunisme politique, profitant d’un vent de libéralisme qui, pour l’instant, leur sied à merveille. Mais aussi d’une grande pugnacité devant un État tunisien titubant sous les coups des récents attentats, des promesses de soutien et de dons non tenues formulées par la communauté internationale lors du sommet de Deauville en 2011, d’un endettement chronique et abyssal et d’un chômage massif des jeunes.
Malgré les récentes et toujours répétées déclarations d’intention de François Hollande, force est de constater que les paroles ont été suivies de très peu d’effet et que l’aide financière apportée par les États-Unis et l’Allemagne est certes bienvenue, mais insuffisante. Mais cette fois, avec Daesh qui semble réussir son implantation dans une Libye atomisée par les rivalités, aucun responsable politique occidental ne pourra prétendre « on ne savait pas ». Le strict minimum de l’honnêteté consistera alors à reconnaître « on savait… mais on s’en foutait. »