Le Maroc a désormais une loi protégeant les femmes contre les violences basées sur le genre. Cette avancée, bien qu’applaudie à l’international, plaît moyennement aux féministes, comme nous l’expliquer Zahia Amoummou, avocate et militante marocaine.
par Nouhad Fathi
Le 14 février dernier, et après plus de dix ans de gestation, la loi 103-13 contre les violences faites aux femmes a enfin été adoptée par la Chambre de représentants. Qu’est-ce qui change pour la femme marocaine ? D’abord une prise en compte de la vulnérabilité des victimes exposées à davantage de violence. Ainsi, les peines concernant les menaces, l’enlèvement et la séquestration sont doublées, s’ils sont perpétrés par un proche de la victime, et l’expulsion du domicile conjugal est désormais passible d’un à trois mois de prison et d’une amende. Fait nouveau, la législation marocaine reconnaît enfin la nécessité de protéger la femme dans l’espace public en condamnant les injures sexistes et le harcèlement sexuel, et dans l’espace privé en incriminant les enregistrements vidéo pris à l’insu de la victime et en punissant l’envoi de photos de pénis non sollicitées de plusieurs mois d’emprisonnement. C’est bien tout cela. Mais cette loi chaleureusement applaudie à l’international déplaît aux féministes marocaines. Pour cause, même si elle condamne le mariage forcé — à condition que ce soit la victime elle-même qui porte plainte —, la loi 103-13 n’interdit pas le mariage des mineures et ne mentionne pas le viol conjugal. Zahia Ammoumou, avocate au barreau de Casablanca et militante féministe, nous explique pourquoi la bataille des droits des femmes est loin d’être gagnée.
Quelle est l’utilité d’une telle loi alors que le Code pénal marocain punit différentes formes de violence, y compris celles à l’encontre des femmes ?
C’est vrai que nous avons un Code pénal qui pénalise toute sorte de violences, sauf la violence morale. Ceci dit, le Code pénal intègre les violences contre les femmes dans son chapitre 8 qui recense les « crimes et délits contre l’ordre des familles et la moralité publique », ce qui sous-entend que la femme est la principale responsable de la bienséance dans la société marocaine. C’est pour cela que quand une victime de viol porte plainte, on lui demande ce qu’elle faisait à tel endroit à telle heure et ce qu’elle portait. Résultat, les femmes victimes de violence n’osent pas porter plainte. Dans les centres d’écoutes, les militantes ont constaté une augmentation du nombre de cas de violence et ont réclamé une loi spécifique pour protéger ces femmes.
Les militantes féministes ont exprimé leur désaccord avec cette loi. Que lui reprochent-elles au juste ?
Cette loi date d’il y a plus de 10 ans. La première ministre a avoir osé la proposer en concertation avec les associations féministes, c’était Yasmina Baddou (membre du parti de l’Istiqlal et secrétaire d’État chargée de la Famille, de l’Enfance et des Personnes handicapées sous le gouvernement Driss Jettou entre 2002 et 2007, NDLR). Après, la loi est restée dans la chambre des Conseillers et il y a eu un silence absolu jusqu’à l’arrivée de Bassima Hakkaoui en 2011. Cette année-là, les associations ont ressorti le dossier et ont constitué une coalition, le Printemps de la dignité, pour proposer des recommandations issues d’observations sur le terrain. Il y a eu également différentes marches nationales appelant à l’adoption définitive de cette loi. Malheureusement, tout ce travail n’a pas été pris en compte par madame Hakkaoui. Pour preuve, cette loi n’incrimine pas le viol conjugal malgré les appels des associations féministes.
Pourquoi à votre avis ?
Parce qu’au Maroc, on légifère encore en prenant en compte l’impératif religieux. On se demande comment une femme peut être violée par son propre mari, alors qu’elle est tenue de le satisfaire sexuellement.
Pensez-vous que cette loi fera réellement avancer la condition des femmes ?
En tant que technicienne de la loi, je ne peux pas juger une loi sur papier, il faut que j’attende de voir son application. Notre société est encore profondément conservatrice et patriarcale, tout comme les juges, les avocats et toute personne qui sera amenée à appliquer cette loi. C’est bien d’avoir une loi qui nous donne une bonne image à l’international, mais il faut aussi organiser les procédures légales qui protégeront réellement les femmes. Les moyens de preuve demeurent traditionnels et ils sont à la charge de la femme. C’est elle qui doit fournir un certificat médical et apporter des témoins, alors que dans les affaires de meurtre, par exemple, c’est la police qui se mobilise pour mener son investigation. Comment apporter des témoins alors que souvent, les cas de violence se passent dans un cadre privé ? Et comment prouver un cas de violence psychologique qui ne laisse pas de cicatrices visibles ? Les femmes ont perdu confiance en la justice, car leurs plaintes ne sont pas prises au sérieux.
Que faut-il faire d’autre si cette loi est insuffisante ?
Il faut prendre au sérieux les plaintes des femmes, surtout quand elles se multiplient, et changer les moyens de preuve de sorte qu’ils ne soient plus à la charge de la présumée victime. La police doit aussi faire un vrai travail d’investigation et ne plus se contenter d’attendre des preuves, il faut qu’elle se déplace et recueille les témoignages des voisins, par exemple. Enfin, la solution ultime est l’éducation. Il y a un décalage entre ce que nous apportent les lois et la réalité de notre société qui légitime la maltraitance des femmes et qui autorise les vieux et les petits à l’agresser. Et cela ne sera possible qu’à travers une réforme des manuels scolaires et une amélioration de la représentation des femmes dans les médias.