Célébrée au Panthéon le 27 mai, Germaine Tillion fut une grande résistante, mais aussi -ce qu’on oublie- une héroïne de la guerre d’Algérie.
Deux femmes, deux hommes entrent donc au Panthéon : quatre figures de la Résistance, dont seulement deux -les femmes- Geneviève Anthonioz-de Gaulle et Germaine Tillion, ont longtemps survécu au combat contre la barbarie nazie. Pierre Brossolette et Jean Zay disparurent en 1944, le premier en se défenestrant des locaux de la Gestapo pour ne pas risquer de parler sous la torture, le second assassiné.
Germaine Tillion, sauveuse obstinée
Toutes deux rescapées de Ravensbruck, Geneviève Anthonioz-de Gaulle et Germaine Tillion restèrent amies toute leur vie. La première, présidente d’ADT-Quart Monde » toujours par « refus de l’inacceptable » est morte en 2002, après avoir ouvert à l’Assemblée Nationale un débat au sujet des exclusions, la seconde a vécu jusqu’à l’année de ses 101 ans en 2008, quatre ans après avoir une fois encore, inlassablement protesté, contre la torture, en Irak cette fois. Combat de sa vie d’ethnologue en Algérie, ce pays où elle avait effectué des séjours de recherche dans les Aurès entre 1934 et 1940 et où elle retourna à partir de 1954, chargée de mission par Mendès-France pour vérifier s’il n’y avait pas d’exactions contre la population civile. Horrifiée par l’appauvrissement accéléré des zones rurales, elle met en place des centres sociaux, et met en avant la nécessité de donner aux femmes les bases d’un enseignement.
Puis l’été 1957, Germaine Tillon, accompagne la mission d’enquête de la CICRC dans les camps et les prisons en Algérie. Elle rencontre clandestinement Yacef Saadi , responsable FLN de la zone d’Alger et tente d’amorcer une négociation pour mettre fin, d’un côté, aux attentats contre la population civile et, de l’autre, aux exécutions capitales. Echange avec lui plusieurs lettres jusqu’à son arrestation par l’armée, fin septembre. Elle intervient alors auprès d’André Boulloche pour que Saadi soit remis aux autorités judiciaires, plutôt que militaires. Jusqu’à la fin de la guerre, Tillion multipliera ainsi les démarches en faveur des condamnés à mort, contre la torture et les attentats terroristes, n’hésitant pas à intervenir auprès du général de Gaulle.
« Le terrorisme est la justification des tortures aux yeux d’une certaine opinion. Aux yeux d’une autre opinion, les tortures et les exécutions sont la justification du terrorrisme » résumera-t-elle en 1960, obstinée à sauver des vies, quelques soient les opinions des rivaux en guerre, ces «ennemis complémentaires», pris par l’horreur. Tillion sait tout du « versant atroce » de l’humanité. Elle observe en totale empathie, avec tendresse parfois, et dans le tréfonds couve l’humour, cette distance indéfectible. «Je ne me suis jamais considérée que comme un simple témoin…», assure-t-elle toutefois. Un « témoin » qui fit sauver des dizaines de condamnés, se fit insulter par le général Massu pour avoir dénoncé la torture , mais également par Simone de Beauvoir pour n’en être pas devenue une «porteuse de valises».
Les « ennemis complémentaires » de Germaine Tillon
Elle revendiquait sa position «centriste» («entendons par là que je ne haïssais frénétiquement personne»). La voici qui intervenient aussi bien pour des «terroristes» algériens que pour des putschistes emprisonnés relevait chez elle d’une méthode, sinon d’un mode d’être modestement intrépide, superlativement arrimé à une objectivité bien tempérée : « on ne devrait pas observer les autres sans s’observer d’abord soi même . »
Certes le nom de Germaine Tillon restera davantage associé à son héroisme de jeune femme entrée en résistance dès juin 40, mais c’est donc plutôt de son engagement au sujet de l’Algérie jusques et y compris durant les années de plomb que le metteur en scène Jean Quercy montre dans ce spectacle « Dialogues » où il adapte « Les Ennemis complémentaires ». L’actrice Sophie Millon prête ses traits et sa présence énergique, voire joyeuse, à l’ethnologue rescapée, cette obstinée exceptionnelle qui publia en 1957 « L’Afrique bascule vers l’avenir » et qui toute sa vie aima à répéter : « Comprendre ce qui vous écrase. C’est peut-être cela qu’on peut appeler exister » A côté d’elle, avec elle, en face d’elle Nidal El Mellouhi, dans le rôle de Yacef Saadi, le rebelle, et Fatima El Hassouni, jeune algérienne à travers les années, chanteuse aussi, plus Eric Auvray tour à tour dans la peau d’un journaliste, ou d’André Boulloche, ou…du sinistre Robert Lacoste.
Du théâtre à dessein pédagogique, un documentaire découpé au scalpel, « à la recherche du vrai et du juste ». Le style est bien là. Enlevé. Grave. De la gravité évidente du combat sans répit de Germaine Tillion.
Contacts pour les prochaines représentations : www@theatre-averse.org